4ème chambre du Conseil d’État, le 25 février 2025, n°499888

Par une décision du 25 février 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur le pourvoi formé par un praticien à l’encontre d’une sanction disciplinaire. En l’espèce, un médecin avait fait l’objet d’une plainte de la part du conseil départemental de l’ordre des médecins pour ne pas avoir respecté ses obligations déontologiques. Il lui était notamment reproché de ne pas avoir justifié d’un certificat de contre-indication à une vaccination obligatoire et d’avoir poursuivi son activité malgré une décision de suspension. La chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins lui avait infligé une interdiction d’exercice de six mois, dont trois avec sursis. Saisie en appel par le praticien et par le conseil départemental, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins avait porté cette sanction à une interdiction d’un an, dont six mois avec sursis. Le praticien a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, assorti d’une demande de sursis à exécution, en soutenant que la décision était entachée d’erreur de droit, d’insuffisance de motivation et que la sanction était disproportionnée. Il convenait donc pour la haute juridiction administrative de déterminer si les arguments avancés par le requérant constituaient des moyens sérieux de nature à justifier l’admission de son pourvoi en cassation. Le Conseil d’État a répondu par la négative, considérant qu’aucun des moyens soulevés n’était de nature à permettre l’admission du pourvoi, ce qui a rendu sans objet la demande de sursis à exécution.

La décision commentée illustre avec clarté le rôle de filtre joué par la procédure d’admission des pourvois, qui conduit le Conseil d’État à exercer un contrôle restreint sur les décisions disciplinaires (I). Ce faisant, elle confirme indirectement l’appréciation souveraine des juges du fond quant à la caractérisation de la faute déontologique et à la proportionnalité de la sanction (II).

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I. L’exercice d’un contrôle restreint par le juge de cassation

Le rejet du pourvoi par le biais de la procédure d’admission préalable met en lumière la nature spécifique du contrôle de cassation, celui-ci se limitant à la vérification de l’existence de moyens sérieux sans réexaminer l’affaire au fond.

A. L’application de la procédure préalable d’admission

Le Conseil d’État fonde sa décision sur l’article L. 822-1 du code de justice administrative, qui instaure un mécanisme de filtrage des pourvois. Cette procédure lui permet de refuser par une décision juridictionnelle l’admission d’un pourvoi qui serait irrecevable ou, comme en l’espèce, qui ne serait « fondé sur aucun moyen sérieux ». La haute juridiction ne se prononce donc pas sur le bien-fondé de la sanction elle-même mais sur la seule qualité des arguments juridiques invoqués par le demandeur. En joignant le pourvoi au fond et la requête en sursis à exécution, le Conseil d’État adopte une démarche pragmatique et unifiée pour statuer sur l’ensemble des demandes du praticien. L’objet de son office n’est pas de déterminer si le médecin a effectivement commis une faute, mais d’évaluer si les critiques formulées à l’encontre de la décision de la chambre disciplinaire nationale soulèvent une question de droit suffisamment importante ou une erreur manifeste pour justifier un examen complet de l’affaire.

B. Le rejet des moyens comme étant non sérieux

Le Conseil d’État examine successivement les trois arguments présentés par le praticien pour les écarter de manière lapidaire. Le requérant soutenait premièrement que la chambre disciplinaire avait commis une erreur de droit et une dénaturation des pièces du dossier. Il contestait la qualification de manquement déontologique pour ne pas avoir fourni de certificat de contre-indication et pour avoir ignoré la lettre de suspension de l’agence régionale de santé. Deuxièmement, il avançait une erreur de droit et une insuffisance de motivation, arguant que sa situation vaccinale, désormais complète, n’avait pas été prise en compte. Enfin, il critiquait le caractère disproportionné de la sanction. Le Conseil d’État juge qu’« aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission du pourvoi ». Cette formule, bien que concise, signifie que les arguments du requérant ne remettent pas sérieusement en cause la logique juridique de la décision attaquée, fermant ainsi la voie à une cassation et confirmant implicitement la solidité de l’analyse des juges du fond.

II. La confirmation de l’autorité des juridictions disciplinaires

En refusant d’admettre le pourvoi, le Conseil d’État conforte la position des chambres disciplinaires ordinales, tant dans leur appréciation de la faute professionnelle que dans leur pouvoir de sanction.

A. La validation implicite de la caractérisation de la faute déontologique

Bien qu’il ne statue pas directement sur le fond, le rejet du pourvoi pour absence de moyen sérieux revient à valider l’interprétation du droit retenue par la chambre disciplinaire nationale. La haute juridiction administrative considère implicitement qu’il n’y a pas d’erreur de droit manifeste dans le fait de juger qu’un médecin commet une faute en ne respectant pas les obligations sanitaires qui lui incombent et en désobéissant à une mesure de police administrative. Le fait que le praticien se soit mis en conformité avec ses obligations vaccinales postérieurement aux faits reprochés est jugé sans incidence sur la matérialité de l’infraction initiale. Cette position rappelle que la faute disciplinaire s’apprécie au moment où elle a été commise, et que le repentir ultérieur du professionnel, s’il peut être pris en compte dans la modulation de la sanction, n’efface pas le manquement originel à ses devoirs.

B. La portée limitée du contrôle sur la proportionnalité de la sanction

Le dernier moyen soulevé par le requérant portait sur le caractère prétendument excessif de la sanction d’un an d’interdiction d’exercice, dont six mois avec sursis. En jugeant cet argument non sérieux, le Conseil d’État réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle l’appréciation de la proportionnalité d’une sanction disciplinaire relève du pouvoir souverain des juges du fond. Le juge de cassation ne censure une sanction que dans le cas où celle-ci serait manifestement hors de proportion avec la gravité des faits reprochés. En l’espèce, le refus d’admission signale que la sanction infligée, bien que sévère, n’a pas été jugée comme excédant de manière évidente ce qui était nécessaire pour réprimer un double manquement : le non-respect d’une obligation de santé publique et le refus de se soumettre à une décision administrative de suspension. La décision renforce ainsi l’autonomie des juridictions ordinales dans l’exercice de leur pouvoir disciplinaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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