Le Conseil d’État a rendu, le 30 juillet 2025, une décision marquante relative aux garanties procédurales dont bénéficient les professionnels devant leurs juridictions disciplinaires. Un praticien a fait l’objet d’une plainte déposée par un médecin-conseil devant la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins. Par une décision du 15 juillet 2021, la juridiction ordinale a prononcé une interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de trois ans. Saisie par le médecin, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a rejeté son appel par une décision datée du 16 avril 2024. Le professionnel de santé a alors formé un pourvoi en cassation afin d’obtenir l’annulation de la décision rendue par la juridiction nationale. La question posée à la haute juridiction administrative concerne l’obligation pour le juge disciplinaire d’informer la personne poursuivie de son droit de se taire. Le Conseil d’État considère que le défaut d’une telle information préalable entache la décision de la juridiction disciplinaire d’une irrégularité substantielle. L’analyse portera sur l’affirmation du droit au silence devant les instances disciplinaires (I), puis sur la sanction rigoureuse de l’absence d’information préalable (II).
I. L’affirmation du droit au silence devant les instances disciplinaires
A. L’ancrage constitutionnel du droit de ne pas s’accuser
Le Conseil d’État fonde sa solution sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen relatif à la présomption d’innocence. Cette norme implique selon le juge que « nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire » dans toute procédure répressive. Ces exigences constitutionnelles s’appliquent non seulement aux peines pénales mais également à toute sanction ayant le caractère d’une punition pour le justiciable. Le domaine disciplinaire entre nécessairement dans ce champ d’application puisque la mesure d’interdiction d’exercer constitue une sanction à caractère de punition. La jurisprudence administrative aligne ici les garanties de la défense sur celles existant déjà devant le juge répressif pour protéger la liberté individuelle.
B. L’étendue de l’obligation d’information pesant sur le juge
L’obligation d’information du droit de se taire s’applique « même sans texte » dès lors qu’une personne est poursuivie devant une juridiction disciplinaire. Le requérant doit être avisé de cette faculté tant au cours de l’instruction que lors de sa comparution effective devant la juridiction. Le Conseil d’État précise explicitement que cette information doit être délivrée de nouveau par la formation de jugement en cas de procédure d’appel. Cette règle garantit que le silence de la personne poursuivie reste un choix éclairé à chaque étape de l’examen de sa cause. Le juge administratif impose ainsi une obligation de faire active pour assurer le respect effectif d’un principe constitutionnel fondamental durant l’audience.
II. La sanction rigoureuse de l’absence d’information préalable
A. L’irrégularité procédurale découlant du silence des mentions
La décision attaquée ne mentionnait pas que le médecin avait été informé de son droit de se taire lors de l’audience de juillet 2023. Le Conseil d’État relève qu’il « ne ressort ni des mentions de cette décision, ni des pièces de la procédure » que cette formalité a été accomplie. L’irrégularité est alors présumée dès lors que le professionnel a été entendu par les juges sans avoir reçu l’avertissement requis par la loi. La haute juridiction considère par suite que le requérant est fondé à soutenir que la décision rendue par la chambre nationale est irrégulière. Cette exigence de mention expresse dans la décision juridictionnelle facilite le contrôle de cassation sur la régularité des débats oraux.
B. La préservation des droits de la défense sans preuve du préjudice
L’annulation est encourue « sauf s’il est établi » que l’intéressé n’a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier durant ses déclarations. En l’espèce, le juge constate qu’aucune pièce du dossier ne permet de démontrer l’absence de préjudice causé par les propos du médecin entendu. La protection du droit de se taire devient une garantie substantielle dont la méconnaissance entraîne l’annulation automatique en l’absence de preuve contraire certaine. Le Conseil d’État ordonne par conséquent l’annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale et renvoie l’affaire devant cette même juridiction. Cette solution renforce significativement la protection des droits de la défense dans le contentieux disciplinaire des professions réglementées soumis au droit administratif.