Le Conseil d’État, par une décision du 30 juillet 2025, précise les limites du pouvoir d’appréciation de l’administration lors de l’autorisation du licenciement d’un salarié protégé. Un ingénieur d’études s’est vu refuser l’accès à un site nucléaire ainsi que l’habilitation au secret de la défense nationale après des enquêtes de sécurité administratives défavorables. La société employeuse a sollicité l’autorisation de licencier ce salarié en se fondant uniquement sur l’avis défavorable relatif à l’accès physique au point d’importance vitale du site. L’inspectrice du travail a refusé cette demande le 17 juin 2019 avant que la ministre ne l’annule pour autoriser la rupture le 29 novembre de la même année. Le tribunal administratif de Nîmes a annulé cet acte le 10 février 2022 en considérant que la ministre avait indûment modifié le motif de la demande initiale. La cour administrative d’appel de Toulouse a confirmé ce jugement par un arrêt rendu le 19 mars 2024 après avoir rejeté l’argumentation développée par la société employeuse. La société requérante soutient que sa demande initiale visait l’avis sécuritaire global et non le seul refus d’accès physique pour justifier la rupture du contrat de travail. Le juge de cassation doit déterminer si l’autorité administrative peut légalement substituer un motif de licenciement à celui qui a été présenté par l’employeur dans sa demande officielle. La solution confirme l’interdiction de toute substitution de motif avant d’analyser la distinction opérée entre les mesures de police administrative liées à la sécurité nucléaire et nationale.
**I. Le principe de l’interdiction de la substitution de motifs par l’autorité administrative**
**A. L’encadrement du contrôle de légalité par la demande de l’employeur**
Le Conseil d’État rappelle que l’administration est liée par le motif de rupture invoqué par l’employeur dans sa demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé. L’arrêt précise ainsi que l’autorité administrative « ne peut légalement accorder l’autorisation demandée en lui substituant un autre motif de rupture », même si ce dernier semble justifié. Cette règle limite strictement le pouvoir de la ministre qui ne peut pas modifier unilatéralement la base factuelle de la demande de licenciement pour régulariser la procédure. En effet, le contrôle de l’inspecteur du travail doit porter exclusivement sur les éléments que l’employeur a choisi de soumettre à son appréciation lors de la saisine initiale.
**B. La garantie de la procédure contradictoire et des droits de la défense**
L’interdiction de la substitution de motifs protège le salarié en garantissant que le débat contradictoire porte exclusivement sur les griefs réellement formulés par la direction de l’entreprise. Le respect de ce parallélisme entre la demande initiale et l’autorisation finale constitue une formalité substantielle dont la méconnaissance entraîne inévitablement l’annulation de l’acte administratif attaqué. La solution assure une sécurité juridique indispensable aux représentants du personnel qui bénéficient d’une protection spéciale contre les décisions arbitraires ou les changements de fondement inattendus. Cette protection procédurale rigoureuse s’applique avec une force particulière lorsque les motifs invoqués concernent des mesures de police administrative distinctes malgré leur lien avec la sécurité nationale.
**II. La distinction matérielle entre les différents motifs liés à la sécurité**
**A. L’autonomie juridique du refus d’accès et du défaut d’habilitation**
La cour administrative d’appel de Toulouse a exactement jugé que le refus d’accès à un site nucléaire et le défaut d’habilitation défense constituent deux motifs juridiquement distincts. D’une part, l’accès au site repose sur le code de la défense tandis que l’habilitation concerne la protection du secret des informations et des supports classifiés de l’État. L’employeur avait fondé sa demande sur l’avis du commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire alors que la ministre a retenu le défaut d’habilitation pour autoriser le licenciement. Cette divergence factuelle empêchait la ministre de valider la rupture du contrat de travail sans méconnaître l’étendue de sa propre compétence d’autorisation en matière de droit social.
**B. L’invalidité d’une autorisation fondée sur un fondement juridique non invoqué**
Le juge de cassation rejette l’argumentation de la société qui tentait de lier ces deux mesures de sécurité pour valider l’autorisation de licenciement accordée par la ministre. L’autorisation ministérielle était entachée d’une erreur de droit car elle reposait sur une cause de rupture différente de celle qui figurait explicitement dans la demande de l’employeur. La Haute juridiction souligne que l’administration ne peut pas compenser les imprécisions de l’employeur en choisissant elle-même le motif le plus approprié parmi les éléments du dossier. Cette décision confirme la rigueur du contrôle exercé par le juge administratif sur la motivation des décisions autorisant la rupture du contrat de travail des salariés protégés.