4ème chambre du Conseil d’État, le 30 juillet 2025, n°504945

Dans une décision rendue le 30 juillet 2025, le juge des référés du Conseil d’État a précisé les conditions de mise en œuvre du sursis à exécution d’une sanction disciplinaire prononcée à l’encontre d’un professionnel de santé. En l’espèce, un chirurgien-dentiste avait fait l’objet d’une plainte de la part du médecin-conseil d’un organisme de sécurité sociale. La section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des chirurgiens-dentistes l’avait sanctionné par une interdiction temporaire d’exercer pour les assurés sociaux. Saisie en appel par le praticien et par l’autorité plaignante, la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre avait aggravé cette sanction, la portant à dix mois d’interdiction et y ajoutant la condamnation à rembourser une somme supérieure à soixante mille euros à la caisse primaire d’assurance maladie. Le professionnel de santé a alors formé un pourvoi en cassation contre cette décision et a, par une requête distincte, saisi le juge des référés du Conseil d’État d’une demande de sursis à exécution. La question soulevée portait sur l’appréciation des critères permettant de suspendre une telle décision, notamment au regard de la nature des arguments juridiques présentés à l’appui du pourvoi. Par la décision commentée, le Conseil d’État accorde le sursis à exécution, considérant que les conditions posées par le code de justice administrative sont réunies. Il estime d’une part que la sanction d’interdiction risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables, et d’autre part que les moyens soulevés à l’encontre de la condamnation pécuniaire apparaissent sérieux et de nature à justifier l’annulation de la décision attaquée.

Il convient d’analyser la manière dont le juge administratif applique les conditions du sursis à exécution (I), avant d’examiner la portée protectrice de cette suspension dans le cadre du contentieux disciplinaire (II).

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I. L’application duale des conditions du sursis à exécution

Le raisonnement du Conseil d’État repose sur une application successive des deux exigences posées par l’article R. 821-5 du code de justice administrative. Il vérifie ainsi l’existence de conséquences difficilement réparables (A) puis se penche sur le caractère sérieux des moyens invoqués par le requérant (B).

A. La reconnaissance pragmatique de conséquences difficilement réparables

La première condition nécessaire à l’octroi du sursis à exécution réside dans le risque de conséquences difficilement réparables que l’exécution immédiate de la décision entraînerait. Le juge constate avec une économie de mots que « l’exécution de la décision du 10 mars 2025 de la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes, qui interdit à M. A… de donner des soins aux assurés sociaux pendant dix mois, risque d’entraîner pour lui des conséquences difficilement réparables ». Cette appréciation, bien que succincte, relève d’une analyse concrète et réaliste de la situation d’un professionnel libéral. Une interdiction d’exercice, même partielle, durant une période aussi longue est de nature à porter une atteinte grave et durable à son activité économique, à sa réputation et à la pérennité de sa patientèle. La difficulté à reconstituer une activité professionnelle après une telle interruption justifie en elle-même que cette condition soit considérée comme remplie, sans qu’il soit nécessaire pour le juge de développer une argumentation plus approfondie.

B. L’identification d’un doute sérieux sur la légalité de la sanction financière

La seconde condition, cumulative, est celle de l’existence de moyens paraissant, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation. Le Conseil d’État identifie ici un argument principal qui emporte sa conviction. Il relève ainsi que « le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d’erreur de droit en ce qu’elle le condamne à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie du Cher la somme de 63 552 euros, au titre de l’article L. 145-2 du code de la sécurité sociale, sans avoir recherché si les manquements qui lui étaient reprochés étaient constitutifs d’abus d’honoraires au sens du 4° de cet article » paraît sérieux. Le juge des référés ne se prononce pas sur le fond de l’affaire, mais il estime que l’argument soulevé est suffisamment pertinent pour créer un doute légitime sur la validité de la décision. En effet, la juridiction disciplinaire semble avoir prononcé une condamnation financière sans la rattacher explicitement à la qualification juridique précise qui pouvait seule la fonder. Ce contrôle de la qualification juridique des faits constitue une garantie fondamentale pour le professionnel sanctionné.

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II. La portée protectrice de la suspension juridictionnelle

La décision de suspendre l’exécution de la sanction révèle son rôle de garantie des droits du justiciable (A) tout en s’inscrivant dans une perspective d’attente, celle de la décision au fond (B).

A. Une mesure conservatoire garantissant les droits du praticien

En ordonnant la suspension, le juge des référés préserve les droits du requérant contre les effets potentiellement irréversibles d’une décision qui pourrait être ultérieurement annulée. La valeur de cette décision réside dans sa fonction de bouclier procédural. Elle empêche qu’une sanction, dont la base légale est sérieusement contestée, ne produise des effets dévastateurs sur le plan professionnel et financier. Le remboursement d’une somme importante, conjugué à une interdiction de pratique, placerait le professionnel dans une situation critique. Le sursis permet ainsi d’assurer une forme d’effectivité au recours en cassation, en évitant que son éventuel succès ne devienne illusoire, le préjudice étant déjà consommé. La décision rappelle que même dans le cadre d’un contentieux disciplinaire visant à sanctionner des fautes, le respect des formes et des qualifications juridiques exactes demeure une exigence impérieuse.

B. La nature provisoire de la suspension et l’orientation du litige au fond

Il est essentiel de souligner que la portée de l’arrêt est strictement limitée à la suspension. La décision ne préjuge en rien de l’issue finale du pourvoi en cassation. Elle a un caractère provisoire et conservatoire, valable uniquement « jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le pourvoi ». Néanmoins, l’analyse menée par le juge des référés sur le sérieux des moyens fournit une indication significative sur l’orientation probable du futur arrêt au fond. En pointant une erreur de droit manifeste dans le raisonnement de la juridiction disciplinaire d’appel, le Conseil d’État adresse un signal fort. Il incite implicitement les juridictions ordinales à une plus grande rigueur dans la motivation de leurs décisions, particulièrement lorsqu’elles prononcent des sanctions financières qui doivent être solidement ancrées dans les textes applicables. Cette décision d’espèce, par sa motivation, renforce ainsi le contrôle de la correcte application du droit par les instances disciplinaires professionnelles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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