4ème chambre du Conseil d’État, le 6 août 2025, n°498848

Par une décision en date du 6 août 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité d’une procédure de promotion interne au sein d’une université. En l’espèce, une maîtresse de conférences avait présenté sa candidature à un poste de professeur des universités par le biais d’une voie temporaire de promotion. Suite au refus du président de l’université de proposer sa nomination, l’intéressée a saisi la haute juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir, contestant la régularité de la procédure suivie. Elle soutenait notamment que le comité de promotion chargé d’examiner sa candidature n’avait pas respecté les étapes prévues par la réglementation applicable. Il revenait donc au Conseil d’État de déterminer si l’omission, par un comité de promotion universitaire, de formuler ses avis formels sur une candidature avant de procéder à l’audition du candidat constitue une irrégularité de nature à vicier la décision finale de l’autorité administrative. À cette question, la haute juridiction administrative a répondu par l’affirmative, considérant qu’une telle omission procédurale prive le candidat d’une garantie et justifie l’annulation de la décision de refus.

Cette solution, qui rappelle l’importance du respect des formes dans le déroulement des procédures administratives, mérite d’être analysée. Elle met en lumière la nature substantielle de certaines garanties procédurales (I), tout en réaffirmant le rôle du formalisme comme un instrument de protection des administrés (II).

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I. La censure d’une procédure séquentielle viciée

Le Conseil d’État fonde sa décision d’annulation sur le constat d’une irrégularité dans le déroulement de la procédure d’évaluation, en relevant d’abord le caractère impératif de l’évaluation en deux temps qui incombait au comité de promotion (A), avant de qualifier ce manquement de perte d’une garantie pour la candidate (B).

A. Le caractère impératif d’une évaluation en deux temps par le comité de promotion

La procédure de promotion interne, telle qu’organisée par le décret du 20 décembre 2021, repose sur une succession d’étapes précisément définies, visant à éclairer la décision finale de l’autorité compétente. Le Conseil d’État prend soin de détailler ce mécanisme, qui prévoit l’intervention successive de plusieurs instances. Après un premier examen par le Conseil national des universités, le dossier du candidat est transmis à un comité de promotion interne à l’établissement. Ce comité doit, dans un premier temps, rendre deux avis distincts sur la base du dossier, l’un portant sur l’aptitude professionnelle et l’autre sur les acquis de l’expérience professionnelle. Ce n’est qu’après cette phase d’évaluation sur pièces que le comité établit la liste des candidats qu’il décide d’entendre en audition.

Or, en l’espèce, le juge administratif constate que cette séquence n’a pas été respectée. Il relève qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier que le comité de promotion ait, avant de procéder aux auditions, rendu sur la candidature de (…) les deux avis prévus par les dispositions » réglementaires. La seule trace d’un avis émis par le comité figurait dans le compte rendu de l’audition elle-même, ce qui démontrait que l’évaluation sur dossier et l’audition avaient été confondues, ou du moins que la première n’avait pas formellement précédé la seconde. Cette chronologie est pourtant essentielle, car elle garantit que l’audition vient compléter une appréciation déjà mûrie sur la base d’éléments objectifs et non l’inverse. En censurant cette pratique, le Conseil d’État réaffirme que les étapes d’une procédure administrative ne sont pas de simples formalités interchangeables, mais participent d’une logique d’ensemble destinée à assurer la rigueur du processus décisionnel.

B. La qualification de l’irrégularité procédurale en perte d’une garantie

La seule constatation d’une irrégularité de procédure ne suffit pas toujours à entraîner l’annulation d’un acte administratif. Encore faut-il, selon une jurisprudence bien établie, que cette irrégularité ait exercé une influence sur le sens de la décision prise ou qu’elle ait privé l’intéressé d’une garantie. C’est cette seconde branche de l’alternative que le Conseil d’État retient explicitement ici pour justifier sa censure. Il juge en effet que « l’irrégularité mentionnée au point précédent ayant privé la requérante d’une garantie », celle-ci est fondée à demander l’annulation de la décision contestée. Cette qualification n’est pas neutre et révèle la portée que le juge attache à la formalité omise.

La garantie dont il est question est celle, pour tout candidat, de voir son dossier examiné et apprécié de manière autonome, en amont de toute audition. Cette phase d’analyse sur pièces constitue un filtre objectif et un préalable indispensable à la phase de l’entretien, qui a pour objet « d’éclairer la décision du chef de l’établissement sur la motivation du candidat et sur son aptitude à exercer les missions ». En ne formulant pas ses avis avant l’audition, le comité de promotion a privé la candidate de la certitude que son parcours, ses travaux et ses investissements avaient fait l’objet d’une évaluation complète et formalisée, indépendamment de sa prestation orale. Le respect de cette séquence constitue donc bien une protection substantielle et non une simple formalité. En lui reconnaissant le statut de « garantie », le Conseil d’État souligne que sa violation affecte les droits du candidat dans la procédure et vicie, par voie de conséquence, la décision qui en est l’aboutissement.

II. La réaffirmation du formalisme comme protection du candidat

Au-delà de la solution d’espèce, cette décision revêt une portée plus large en ce qu’elle illustre la fonction protectrice du formalisme procédural. Elle présente ainsi une valeur pédagogique certaine en rappelant les administrations à leurs devoirs (A), tout en ayant une portée significative, bien que circonscrite, pour l’avenir des recrutements et promotions universitaires (B).

A. La valeur pédagogique d’une solution attachée à l’orthodoxie procédurale

En annulant la décision du président de l’université pour un vice de procédure, le Conseil d’État ne se contente pas de trancher un litige individuel ; il adresse un message à l’ensemble des administrations organisant des procédures de sélection. La décision réaffirme avec force que le pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité administrative pour procéder à une nomination ou à une promotion ne la dispense pas de suivre scrupuleusement les règles de procédure qui encadrent sa décision. Ce formalisme, parfois perçu comme une contrainte bureaucratique, est ici présenté sous son véritable jour : celui d’un rempart contre l’arbitraire et d’un instrument d’égalité entre les candidats.

La solution est d’autant plus éclairante qu’elle intervient dans le contexte universitaire, où le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs est cardinal. Si le juge rappelle que le chef d’établissement dispose d’un pouvoir d’appréciation propre et ne doit pas se fonder sur des motifs étrangers à l’administration de l’université, il précise aussi que ce pouvoir s’exerce « au vu de l’ensemble de ces éléments ». La régularité de la collecte de ces éléments, notamment les avis des instances collégiales, est donc une condition de la légalité de la décision finale. La rigueur procédurale apparaît alors comme le corollaire nécessaire à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, garantissant que la décision, bien que non liée par les avis, a été prise en pleine connaissance de cause et dans le respect des droits de chaque postulant.

B. La portée limitée mais certaine de la décision pour les recrutements universitaires

La portée de cet arrêt doit être correctement appréciée. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence, mais plutôt d’un rappel à l’ordre sur l’application de textes réglementaires récents relatifs à une voie de promotion dérogatoire et temporaire. La solution est donc d’abord une décision d’espèce, étroitement liée aux dispositions du décret du 20 décembre 2021. Cependant, son influence dépassera vraisemblablement le seul cadre de cette procédure. En effet, elle offre un point d’appui solide à tout candidat qui s’estimerait lésé par une irrégularité similaire dans d’autres procédures de recrutement ou de promotion au sein de la fonction publique.

En pratique, cette décision contraint les établissements d’enseignement supérieur à une vigilance accrue dans l’organisation des comités de promotion. Elle les incite à formaliser clairement chaque étape de leur processus d’évaluation et à s’assurer de la traçabilité de leurs travaux. Pour les candidats, elle renforce la sécurité juridique en confirmant qu’ils peuvent exiger le respect d’une procédure séquentielle et transparente. En définitive, en imposant la reprise de la procédure « au stade de l’établissement par le comité de promotion des avis sur le dossier de chaque candidat », le Conseil d’État assure l’effectivité de la garantie qu’il a reconnue et confère à sa décision une portée concrète, contribuant à harmoniser et à fiabiliser les pratiques universitaires en matière de gestion des carrières.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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