Un arrêt rendu par le Conseil d’État le 7 mars 2025 vient préciser les contours de l’obligation d’impartialité pesant sur les membres des comités de promotion universitaire. En l’espèce, un maître de conférences s’était porté candidat à un poste de professeur des universités par la voie d’une procédure de promotion interne temporaire. Sa candidature n’ayant pas été retenue par le président de l’université, qui a proposé la nomination d’un autre candidat, il a formé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de cette décision et du décret de nomination subséquent. Le requérant soutenait que la procédure était entachée d’irrégularité en raison d’un manquement au principe d’impartialité, l’un des membres du comité de promotion ayant des liens professionnels passés avec le candidat promu et une relation conflictuelle avec lui-même. Il arguait également d’un comportement frauduleux de ce même membre. Se posait alors la question de savoir si des relations professionnelles entre un membre d’un comité de promotion et un candidat suffisent à caractériser un défaut d’impartialité, et si la non-divulgation d’une controverse scientifique par ce membre peut constituer une fraude. Le Conseil d’État rejette la requête, considérant que de simples liens professionnels ne sauraient, par eux-mêmes, établir un manquement à l’impartialité et qu’il n’appartenait pas au membre du comité de faire état d’une controverse scientifique entre candidats. Cette décision clarifie ainsi la portée du principe d’impartialité dans le cadre spécifique des promotions universitaires (I), tout en opérant une distinction nette entre l’évaluation par le comité et le contrôle de l’intégrité scientifique (II).
I. Une appréciation pragmatique de l’exigence d’impartialité
Le Conseil d’État adopte une lecture restrictive des conditions susceptibles de vicier la composition d’un comité de promotion, en refusant de déduire automatiquement la partialité de l’existence de liens professionnels (A) et en écartant les allégations non étayées de conflit personnel ou de connaissance d’un différend scientifique (B).
A. Le rejet d’une présomption de partialité issue de liens professionnels
La Haute Juridiction administrative énonce de manière claire que « la seule présence au sein d’un tel organisme chargé d’émettre un avis sur les candidatures à une promotion au choix d’une personne ayant entretenu ou entretenant des relations professionnelles avec un candidat ne peut être regardée, par elle-même, comme caractérisant un défaut d’impartialité ». En l’espèce, la cosignature d’articles scientifiques et l’animation conjointe de conférences entre un membre du comité et le candidat lauréat ne sont pas jugées suffisantes pour établir une partialité. Cette approche réaliste prend acte de la réalité des communautés scientifiques, souvent restreintes, où les collaborations sont fréquentes et ne sauraient entraîner une disqualification systématique. Une solution contraire paralyserait le fonctionnement des instances d’évaluation en rendant difficile la constitution de comités composés d’experts du domaine concerné. Le juge administratif exige donc la preuve de circonstances particulières démontrant que les liens professionnels ont concrètement altéré l’objectivité du membre du jury, un simple soupçon ne pouvant suffire.
B. L’indifférence des conflits personnels allégués et des controverses scientifiques
Le requérant invoquait également l’existence de relations conflictuelles passées avec le membre du comité mis en cause. Le Conseil d’État écarte ce moyen en relevant que les allégations « ne sont ni étayées ni justifiées ». Cette position, classique, rappelle que la charge de la preuve d’un défaut d’impartialité incombe au requérant, qui doit fournir des éléments précis et circonstanciés. Plus originale est la réponse apportée à l’argument selon lequel le membre du comité ne pouvait ignorer la contestation par le requérant de la validité des travaux du candidat promu. Le juge considère cette circonstance, à la supposer même établie, comme étant « sans incidence sur la régularité de la composition du comité de promotion ». Il refuse ainsi de faire entrer la connaissance d’un différend scientifique dans le champ des éléments pouvant caractériser, a priori, un risque de partialité. La décision circonscrit ainsi le contrôle de l’impartialité à des éléments objectifs et personnels, distincts des débats sur le fond de la production scientifique des candidats.
Au-delà de la définition des contours de l’impartialité, la décision se prononce sur le rôle précis assigné aux membres du comité, qu’elle distingue rigoureusement d’autres mécanismes de contrôle institutionnel.
II. La stricte délimitation du rôle du comité de promotion
En répondant au second moyen du requérant, le Conseil d’État précise que la mission d’évaluation du comité de promotion ne se confond pas avec une mission d’enquête, refusant d’imposer un devoir de dénonciation à ses membres (A) et validant par là même le recours à la procédure distincte de traitement des atteintes à l’intégrité scientifique (B).
A. L’absence d’une obligation de dénonciation des controverses scientifiques
Le requérant soutenait qu’en s’abstenant de porter à la connaissance du comité les doutes qu’il avait émis sur les travaux du candidat lauréat, le membre mis en cause avait eu un comportement frauduleux. Le Conseil d’État balaie cet argument en affirmant qu’il n’appartenait pas à ce membre « de faire état au sein du comité de promotion des éléments de controverse scientifique opposant un candidat à un autre ». Cette solution délimite clairement la fonction du comité : son rôle est d’évaluer les dossiers de candidature sur la base des pièces fournies et des auditions, et non de se faire l’arbitre de différends scientifiques externes. Imposer une telle obligation de dénonciation transformerait la nature de ses délibérations, les détournant de leur objet et risquant de les enliser dans des débats complexes et étrangers à l’évaluation comparative des mérites des candidats. La fraude est ainsi écartée, le silence du membre n’étant pas constitutif d’une manœuvre destinée à tromper le comité.
B. La consécration de la voie procédurale dédiée à l’intégrité scientifique
Le juge prend soin de relever que le requérant a pu, à la suite de son audition, faire part de ses doutes au président du comité. Ce dernier a transmis le signalement au président de l’université, qui a saisi le référent à l’intégrité scientifique. L’enquête menée par cette autorité compétente a conclu à l’absence de manquement. En détaillant ce processus, le Conseil d’État valide implicitement la séparation des fonctions. L’évaluation des candidatures pour une promotion relève du comité de promotion sous le contrôle de l’autorité de nomination ; le traitement des allégations de manquement à l’intégrité scientifique relève d’une procédure distincte et spécialisée. Cette décision conforte ainsi l’architecture institutionnelle visant à garantir que chaque type de contestation soit examiné par l’organe approprié, évitant que la procédure de promotion ne devienne le lieu de règlement de tous les litiges de la vie universitaire. Elle renforce la légitimité des deux processus en les maintenant dans leurs sphères respectives.