5ème – 6ème chambres réunies du Conseil d’État, le 10 juillet 2025, n°490949

Par une décision rendue le 10 juillet 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité d’une délibération par laquelle l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique qualifie une personne de « personnalité politique ». En l’espèce, un intervenant médiatique, ancien responsable au sein de formations politiques, avait été regardé comme une personnalité politique par l’autorité de régulation, impliquant le décompte de son temps de parole sur les services de radio et de télévision au titre du pluralisme des courants de pensée et d’opinion. L’intéressé a formé un recours gracieux, lequel fut rejeté par une décision de l’autorité administrative. Il a alors saisi la haute juridiction d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la délibération initiale, estimant que cette qualification portait une atteinte injustifiée à sa liberté d’expression et qu’elle reposait sur une qualification juridique inexacte. Le requérant soutenait en substance que sa participation au débat public en tant que commentateur ne pouvait justifier une telle mesure. Il revenait donc au Conseil d’État de déterminer les critères et les limites du pouvoir de l’autorité de régulation pour identifier une personnalité politique aux fins de garantir le pluralisme dans les médias. La haute juridiction administrative a rejeté la requête, jugeant que l’autorité de régulation n’avait pas commis d’erreur en fondant sa décision sur un faisceau d’indices pertinent, et que la mesure ne constituait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Le Conseil d’État valide ainsi la méthode d’appréciation de l’autorité de régulation (I), tout en rendant une décision dont la portée semble principalement pragmatique (II).

I. La consolidation du pouvoir d’appréciation du régulateur audiovisuel

Le Conseil d’État conforte la position de l’autorité de régulation en rappelant le fondement de sa mission de garant du pluralisme (A), ce qui le conduit à valider une appréciation factuelle pour qualifier une personnalité politique (B).

A. Une compétence fondée sur l’objectif constitutionnel de pluralisme

La décision commentée s’inscrit dans le cadre de la mission fondamentale confiée par le législateur à l’autorité de régulation. Le Conseil d’État prend soin de rappeler que la loi du 30 septembre 1986 charge cette autorité de garantir « le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision ». Il en déduit que le régulateur est non seulement compétent mais aussi tenu d’exercer pleinement sa mission, en disposant pour cela « d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, les règles propres à assurer une présentation équilibrée de l’ensemble du débat politique national ». Cette compétence inclut logiquement celle de « se prononcer sur l’identification des personnes devant être regardées comme des personnalités politiques ». En réaffirmant ce principe, la haute juridiction légitime l’action de l’autorité administrative, non comme une simple faculté, mais comme une obligation découlant directement d’un objectif de valeur constitutionnelle. Le contrôle du juge demeure, mais il s’exercera de manière restreinte sur une prérogative jugée essentielle à l’équilibre démocratique.

B. La validation d’une qualification par un faisceau d’indices

Le principal apport de la décision réside dans la validation des critères retenus par l’autorité de régulation pour justifier sa qualification. Le Conseil d’État ne se satisfait pas d’une approche formelle qui limiterait la notion de personnalité politique aux seuls détenteurs d’un mandat électif ou de fonctions exécutives. Il entérine une méthode fondée sur un faisceau d’indices factuels, considérant que l’autorité administrative n’a pas commis « une inexacte qualification juridique ». La haute juridiction relève ainsi plusieurs éléments déterminants : le fait que l’intéressé ait « exercé d’importantes responsabilités au sein de diverses formations politiques », qu’il « participe activement au débat politique national », qu’il ait « déclaré son intention de peser sur les échéances électorales à venir » et qu’il préside un cercle de réflexion visant à « préparer l’alternance politique ». Cette approche pragmatique permet de saisir la réalité de l’influence d’un acteur dans le débat public, au-delà de son statut officiel. Elle consacre une définition fonctionnelle de la personnalité politique, liée à son rôle effectif dans l’animation de la vie politique nationale.

II. Une solution pragmatique à la portée maîtrisée

En dépit de sa logique apparente, la solution soulève la question de son équilibre avec les libertés publiques (A) et s’analyse avant tout comme une décision d’espèce dont la généralisation reste incertaine (B).

A. La conciliation contestable entre pluralisme et liberté d’expression

Le requérant soulevait l’incompatibilité de la mesure avec la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le Conseil d’État écarte cet argument en opérant une balance des intérêts en présence. Il juge que la qualification de personnalité politique n’emporte pas une atteinte disproportionnée à cette liberté, en se fondant sur l’objectif poursuivi et sur les effets limités de la mesure. Selon la juridiction, la décision « ne remet pas en cause la possibilité pour la personnalité ainsi désignée de s’exprimer dans les médias audiovisuels ». Si cette affirmation est exacte, elle occulte néanmoins l’effet potentiellement dissuasif d’une telle classification pour les commentateurs et intellectuels engagés. La frontière entre une opinion critique et une action politique devient ténue, risquant de conduire certains intervenants à une forme d’autocensure pour ne pas voir leur temps de parole décompté et ainsi, indirectement, limité par les éditeurs de services audiovisuels soucieux de leurs équilibres. La protection du pluralisme pourrait ainsi paradoxalement appauvrir la diversité des voix critiques non affiliées.

B. Une confirmation d’une méthode plus qu’un arrêt de principe

La décision du Conseil d’État apparaît davantage comme une validation d’espèce que comme la formulation d’une nouvelle règle générale. En approuvant une méthode fondée sur un faisceau d’indices, la haute juridiction renforce le pouvoir d’appréciation au cas par cas de l’autorité de régulation. La solution est intimement liée aux faits de la cause et à la combinaison spécifique des éléments retenus. Par conséquent, elle n’offre pas une sécurité juridique absolue aux intervenants médiatiques, dont la qualification dépendra toujours d’une analyse contextuelle de leurs activités et de leurs déclarations. Si cette flexibilité est nécessaire à l’efficacité de la régulation, elle introduit une part d’incertitude. Loin de poser un principe intangible, l’arrêt consolide une démarche pragmatique et fonctionnelle. Sa portée future résidera moins dans la définition de la personnalité politique que dans la confirmation de la latitude laissée à l’autorité administrative pour l’identifier, sous le contrôle d’un juge qui se limite à l’erreur manifeste d’appréciation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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