Par une décision en date du 14 avril 2025, le Conseil d’État a exercé son office de juge de cassation sur une ordonnance de référé-suspension. En l’espèce, un conducteur, après avoir vu son permis de conduire invalidé pour solde de points nul, avait obtenu un nouveau permis probatoire ne comportant qu’une partie des catégories de véhicules qu’il était autorisé à conduire précédemment. Face au refus de l’administration de réintégrer l’ensemble de ses anciennes catégories, l’intéressé a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon. Ce dernier a suspendu la décision de refus et a enjoint au préfet de délivrer un permis incluant plusieurs catégories, dont certaines qui n’étaient pas mentionnées sur l’ancien titre de conduite. Le ministre de l’intérieur a alors formé un pourvoi en cassation, contestant l’injonction pour trois catégories spécifiques. Le Conseil d’État était ainsi amené à préciser l’étendue des pouvoirs du juge des référés ainsi que les conditions matérielles de restitution des droits à conduire après une invalidation. Il censure partiellement l’ordonnance du premier juge, annulant l’injonction pour deux des catégories contestées, mais la confirmant pour la troisième.
Cette décision illustre le contrôle rigoureux exercé par le juge de cassation sur les décisions des juges du fond, tant sur le plan de la régularité procédurale que sur l’application du droit substantiel. Il convient ainsi d’examiner la double censure opérée par le Conseil d’État, rappelant les limites du pouvoir du juge des référés (I), avant d’analyser la validation du droit à restitution d’une catégorie, qui clarifie les conditions de recouvrement du permis de conduire (II).
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I. La censure des erreurs du juge des référés : un rappel à l’orthodoxie du contrôle juridictionnel
Le Conseil d’État annule l’ordonnance du premier juge sur deux points distincts, en sanctionnant d’une part une erreur de droit manifeste et d’autre part une méconnaissance de l’office du juge. Il rappelle ainsi que le pouvoir d’injonction est strictement encadré, ne pouvant porter que sur des droits légalement existants (A) et devant se limiter à l’objet précis de la demande dont le juge est saisi (B).
A. L’annulation pour octroi d’un droit sans existence légale
Le Conseil d’État relève que le juge des référés a enjoint à l’administration de délivrer un permis de conduire incluant une catégorie « CBE ». Or, le juge de cassation constate que si cette mention figurait bien dans la demande du requérant, « celle-ci n’a pas d’existence légale ». La Haute Juridiction en déduit logiquement que le juge des référés a commis une erreur de droit en faisant droit à une telle prétention. En effet, l’administration se trouvait en situation de compétence liée pour rejeter une demande portant sur un objet juridiquement inexistant. Par conséquent, aucun moyen soulevé par le requérant ne pouvait créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus sur ce point. Cette cassation, bien que portant sur un aspect factuel et technique, est l’occasion pour le Conseil d’État de réaffirmer un principe fondamental : le juge ne peut ordonner à l’administration de prendre une mesure qui serait elle-même illégale. Le pouvoir d’injonction, aussi étendu soit-il, trouve sa limite absolue dans le respect de la légalité que le juge a précisément pour mission de garantir.
B. La sanction du dépassement de l’objet du litige
Le pourvoi du ministre portait également sur l’injonction de délivrer la catégorie C1E. Sur ce point, le Conseil d’État opère un contrôle différent. Il ne se prononce pas sur le fond du droit mais sur le périmètre de la demande initiale. Il constate que le requérant avait seulement sollicité la restitution des catégories qu’il détenait sur son permis antérieur. Après vérification des pièces du dossier, il apparaît que la catégorie C1E « ne figurait pas au nombre des catégories que comportait son permis antérieur ». Le juge de cassation en conclut que le premier juge a statué au-delà de ce qui lui était demandé, qualifiant cette erreur de « méprise sur la portée des écritures dont il était saisi ». Cette censure pour *ultra petita* rappelle une autre règle essentielle de la procédure contentieuse. Le juge est lié par les conclusions des parties et ne peut accorder plus ou autre chose que ce qui est demandé. En l’espèce, le juge des référés, en incluant une catégorie non sollicitée car jamais détenue, a outrepassé son office et violé le principe dispositif qui structure le procès administratif.
Après avoir ainsi rectifié les erreurs manifestes du premier juge, le Conseil d’État se penche sur le fond du droit applicable à la dernière catégorie contestée, offrant une clarification substantielle sur les conditions de recouvrement des droits à conduire.
II. La confirmation du droit à restitution de la catégorie A : une interprétation finaliste des conditions de recouvrement
Le Conseil d’État rejette le pourvoi du ministre en ce qu’il concernait la catégorie A du permis de conduire. Cette partie de la décision est la plus riche sur le plan du droit matériel, car elle écarte un argumentaire administratif restrictif (A) et précise de manière notable le régime applicable à la restitution des droits à conduire après invalidation (B).
A. Le rejet d’un moyen ministériel jugé inopérant
Le ministre soutenait que l’intéressé ne pouvait recouvrer la catégorie A de son permis, faute d’avoir suivi la formation spécifique prévue par l’article D. 221-3 du code de la route. Le Conseil d’État écarte cet argument en le jugeant inopérant. Il relève d’abord que le juge des référés avait fondé sa décision sur un autre texte, à savoir l’arrêté du 17 janvier 2013, rendant le moyen soulevé par le ministre sans lien direct avec la motivation de l’ordonnance attaquée. Mais le juge de cassation ne s’arrête pas à ce constat procédural. Il choisit d’examiner le bien-fondé de l’argument au fond, dans un considérant qui dépasse la simple réponse au pourvoi. Il affirme ainsi sa volonté de trancher la question de droit sous-jacente et de ne pas laisser subsister d’incertitude sur ce point.
B. La clarification des exigences pour le recouvrement des droits à conduire
Le Conseil d’État livre une interprétation claire et pragmatique des textes en vigueur. Il précise, dans un *obiter dictum* de principe, que les dispositions relatives à la formation complémentaire pour l’obtention de la catégorie A par les titulaires de la catégorie A2 ne s’appliquent pas dans le cas d’une demande de restitution d’un permis invalidé. Il énonce en effet que « ces dispositions n’imposent pas au titulaire d’un permis annulé ou invalidé qui comportait la catégorie A, de justifier, pour recouvrer le droit de conduire des véhicules de cette catégorie, du suivi d’une formation ». La seule condition est que le conducteur satisfasse à l’ensemble des exigences prévues par l’article R. 224-20 du code de la route, qui gouverne spécifiquement le recouvrement des droits après une annulation ou une invalidation. Cette solution distingue ainsi le régime de l’acquisition initiale d’une catégorie de permis de celui de sa simple restitution. La portée de cette décision est significative : elle protège les droits acquis des conducteurs et évite que l’administration n’impose des contraintes supplémentaires non prévues par les textes spécifiques. Elle consacre une lecture logique et équitable du droit, considérant que la sanction de l’invalidation n’a pas pour effet d’effacer les compétences déjà validées par l’obtention antérieure du permis.