5ème – 6ème chambres réunies du Conseil d’État, le 6 mai 2025, n°476367

Le Conseil d’Etat a rendu le 6 mai 2025 une décision majeure relative au contrôle des éditeurs de services de télévision par l’autorité de régulation. Un animateur a tenu lors d’une émission en direct des propos particulièrement violents contre une élue locale. Le régulateur a infligé une amende de trois cent mille euros pour manquement au respect des droits de la personne et défaut de maîtrise de l’antenne. L’éditeur a alors saisi la juridiction administrative pour obtenir l’annulation de cette sanction pécuniaire en contestant sa légalité et sa proportionnalité. Le litige porte sur l’articulation entre le pouvoir de sanction administrative et les délits de presse ainsi que sur le maintien des mises en demeure antérieures. La haute juridiction devait déterminer si le régulateur pouvait légalement sanctionner des propos agressifs sans empiéter sur la compétence pénale ni méconnaître les délais de caducité. Le Conseil d’Etat écarte les moyens relatifs à l’incompétence mais réduit le montant de la sanction jugé excessif par les magistrats. Cette décision sera étudiée à travers la validation du pouvoir de sanction puis la modération du montant de l’amende.

I. La validation de l’exercice du pouvoir de sanction par le régulateur

A. L’autonomie de la sanction administrative face à la qualification pénale

L’autorité de régulation dispose d’un pouvoir propre qui s’exerce indépendamment des éventuelles poursuites pénales engagées par le ministère public ou les particuliers lésés. Le juge souligne que ce pouvoir de sanction administrative « s’exerce sans préjudice des poursuites que le ministère public ou les particuliers peuvent intenter » devant les tribunaux répressifs. La circonstance que les faits puissent être qualifiés d’injures au sens de la loi du 29 juillet 1881 reste « sans incidence » sur la compétence administrative. Le régulateur s’est borné à décrire le contenu de l’émission sans se fonder sur les dispositions pénales relatives à la liberté de la presse. Cette autonomie permet ainsi une réaction rapide de l’administration face aux dérives langagières constatées sur les antennes de télévision nationales. L’indépendance de la procédure administrative garantit l’efficacité du contrôle exercé sur les titulaires d’autorisations de diffusion audiovisuelle.

B. La permanence de la mise en demeure et la caractérisation du manquement

L’éditeur soutenait que la mise en demeure initiale était caduque en raison de l’écoulement d’un délai supérieur à cinq années depuis son adoption. Le Conseil d’Etat précise toutefois que le prononcé d’une sanction intermédiaire « fait obstacle à la caducité de la mise en demeure » de l’éditeur concerné. L’administration peut donc sanctionner à nouveau l’intéressé pour un manquement de même nature sans devoir réitérer préalablement une mise en demeure formelle. Les faits litigieux sont ici caractérisés par une « répétition de propos agressifs et grossiers » que leur accumulation rendait violents à l’égard de leur cible. Cette prise à partie visait manifestement à jeter l’opprobre sur la responsable politique et à la désigner à la vindicte des téléspectateurs. La persistance des manquements justifie ainsi la sévérité de l’autorité de régulation dans le cadre de sa mission de protection de l’ordre public.

II. La modération juridictionnelle du quantum de la sanction pécuniaire

A. La confirmation d’un manquement grave aux obligations de respect d’autrui

La séquence litigieuse a été analysée comme une méconnaissance grave des obligations conventionnelles relatives au respect de l’honneur et de l’image des personnes. Les juges relèvent que la séquence d’une durée de plus de cinq minutes présentait une « longue expression de l’animateur en plans fixes face à la caméra ». Ces propos n’ont été « ni limités, ni tempérés » par les interventions des autres chroniqueurs présents sur le plateau de l’émission concernée. Le Conseil d’Etat confirme l’existence d’un défaut de maîtrise de l’antenne et d’une atteinte disproportionnée aux droits de l’élue visée par l’animateur. La liberté d’expression ne saurait justifier une telle violence verbale prolongée sans aucune nuance ni contradiction sérieuse apportée durant la diffusion. Cette qualification juridique stricte rappelle les limites nécessaires à l’exercice de la communication audiovisuelle dans une société démocratique.

B. L’ajustement souverain du montant de l’amende par le juge de réformation

Bien que le manquement soit établi, le montant de la sanction pécuniaire doit rester proportionné à la gravité des faits et aux avantages tirés. La juridiction estime que « le montant de 300 000 euros de la sanction infligée » doit être regardé comme excessif au vu des circonstances particulières. Le juge administratif exerce son plein pouvoir de réformation pour ramener la somme due par l’éditeur à un niveau plus juste et équilibré. Il sera fait une « juste appréciation des circonstances de l’espèce en ramenant le montant de la sanction à 150 000 euros ». Cette réduction illustre le rôle de régulateur final du Conseil d’Etat qui veille à l’équilibre entre la répression des abus et la liberté économique. La décision finale concilie ainsi l’exigence de fermeté face aux dérapages médiatiques avec le respect du principe de proportionnalité des peines.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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