5ème chambre du Conseil d’État, le 18 février 2025, n°496726

Par une décision rendue le 18 février 2025, le Conseil d’État précise l’office du juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Une fonctionnaire appartenant au corps de commandement de la police nationale a fait l’objet d’une mesure de révocation prononcée par une autorité ministérielle le 18 novembre 2022. La requérante a sollicité la suspension de cette décision devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa demande le 22 juillet 2024. Pour motiver son refus, le premier juge s’est exclusivement fondé sur la particulière gravité des manquements reprochés à l’intéressée dans l’exercice de ses fonctions. Saisie d’un pourvoi, la Haute Assemblée doit déterminer si l’appréciation des faits reprochés suffit à écarter tout doute sérieux sur la légalité d’une sanction disciplinaire. Le juge de cassation censure l’ordonnance attaquée pour erreur de droit mais rejette finalement la demande de suspension après avoir lui-même examiné les moyens de la requête. Cette solution souligne la nécessité de distinguer l’opportunité de la sanction de sa régularité juridique (I), avant de confirmer le bien-fondé de la révocation litigieuse (II).

I. La sanction d’un raisonnement jurisprudentiel entaché d’erreur de droit

A. L’insuffisance du seul constat de la gravité des manquements professionnels

Le tribunal administratif avait considéré que « compte tenu de la gravité des manquements de la requérante aux obligations qui incombent à tout fonctionnaire », le doute sérieux faisait défaut. Cette motivation suggère que l’indignité du comportement de l’agent primerait sur l’examen de la validité formelle et substantielle de l’acte administratif contesté par le justiciable. Le juge des référés semble avoir ainsi substitué un jugement moral et disciplinaire à l’analyse juridique imposée par les dispositions de l’article L. 521-1 précité. Or, la condition tenant à l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision demeure indépendante de la nature plus ou moins condamnable des faits. En se bornant à relever la faute de l’agent pour justifier le maintien de la sanction, le juge a méconnu l’étendue de sa mission juridictionnelle.

B. L’obligation de répondre aux moyens de légalité interne et externe

La Haute Juridiction administrative relève qu’en « déduisant ainsi de l’appréciation qu’il a portée sur le comportement… l’absence de doute sérieux sur la légalité », le juge a commis une erreur de droit. L’ordonnance est censurée car elle omet d’examiner les « plusieurs moyens de légalité tant externe qu’interne » qui étaient expressément soulevés par la requérante au soutien de ses prétentions. Le juge de l’urgence ne saurait se dispenser d’une analyse méthodique des critiques formulées contre l’acte, même si les faits paraissent établis et graves. Cette exigence garantit que le contrôle du juge porte bien sur la légalité objective de la décision et non sur une simple appréciation de l’opportunité. Une fois cette erreur de droit sanctionnée, le Conseil d’État choisit de régler l’affaire au fond conformément aux facultés offertes par le contentieux administratif.

II. Le rejet de la suspension par le juge réglant l’affaire au fond

A. L’absence de doute sérieux quant à la régularité de la procédure disciplinaire

Statuant en référé, le Conseil d’État examine d’abord les griefs relatifs à la régularité de la procédure disciplinaire ayant conduit à l’éviction définitive de la fonctionnaire. La requérante soutenait notamment qu’elle n’avait pas été informée de son droit de se taire lors de l’entretien préalable ou devant les instances paritaires. Elle critiquait également le refus de l’administration de reporter la séance du conseil de discipline, ainsi qu’une motivation qu’elle jugeait insuffisante au regard des prescriptions légales. Toutefois, le juge estime qu’en l’état de l’instruction, aucun de ces moyens n’est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité. La procédure semble avoir respecté les garanties fondamentales offertes aux agents publics, permettant ainsi à l’administration de statuer valablement sur le dossier de l’intéressée.

B. La confirmation de la validité substantielle de la décision de révocation

Le contrôle s’exerce ensuite sur la légalité interne, incluant la loyauté des preuves recueillies par l’administration et le respect de la vie privée garanti par les conventions internationales. La requérante invoquait une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, tout en contestant la réalité et la portée des faits reprochés. Le Conseil d’État considère néanmoins que l’administration n’a commis aucune erreur de fait ou d’appréciation manifeste en prononçant une révocation proportionnée à la nature des manquements. La décision finale conclut qu’aucun moyen n’est « propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » administrative de sanction. Par conséquent, la demande de suspension est rejetée, validant ainsi provisoirement le maintien de la mesure disciplinaire malgré l’annulation de l’ordonnance de première instance.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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