5ème chambre du Conseil d’État, le 2 octobre 2025, n°494831

En l’espèce, un conducteur a vu la validité de son permis de conduire annulée par une décision ministérielle en raison d’un solde de points devenu nul. Cette décision faisait suite à une série d’infractions ayant entraîné des retraits de points successifs. L’intéressé a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cette décision d’invalidation ainsi que des décisions de retrait de points sous-jacentes. Par une ordonnance, sa demande a été rejetée. Le requérant a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, contestant la régularité et le bien-fondé de l’ordonnance rendue en première instance. Il soulevait plusieurs moyens, notamment une irrégularité procédurale et deux erreurs de droit relatives, d’une part, à la portée de l’obligation d’information préalable au retrait de points et, d’autre part, à l’appréciation de la date effective de ces retraits.

Le problème de droit soumis à la haute juridiction administrative portait sur la question de savoir si un juge administratif peut, sans commettre d’erreur, ignorer un désistement partiel, considérer le paiement d’une amende par recouvrement forcé comme une preuve de l’information du conducteur, et juger inopérant un moyen tiré de la chronologie des retraits de points.

Le Conseil d’État a répondu par la négative. Il a jugé que le premier juge avait entaché sa décision d’irrégularité en omettant de statuer sur un désistement partiel. Il a ensuite affirmé que le magistrat avait commis une erreur de droit en déduisant du seul paiement des amendes forfaitaires majorées la preuve de l’information du conducteur, alors même que ce dernier établissait que ces paiements résultaient d’un « recouvrement forcé ». Enfin, il a retenu une seconde erreur de droit, estimant que le moyen relatif à la date des retraits de points n’était pas inopérant, car cette date pouvait avoir une incidence directe sur le solde de points par le jeu des mécanismes de reconstitution. Par conséquent, le Conseil d’État a annulé l’ordonnance et a renvoyé l’affaire devant le tribunal administratif.

Cette décision permet ainsi de rappeler les garanties substantielles et procédurales qui entourent la procédure de retrait de points du permis de conduire (I), avant de souligner le rôle déterminant de la chronologie dans le décompte du capital de points (II).

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I. La censure d’une appréciation restrictive des garanties du conducteur

La haute juridiction administrative sanctionne une double méconnaissance par le premier juge des droits du justiciable. Elle relève d’abord une irrégularité procédurale manifeste (A) avant de rappeler avec force l’étendue de la garantie d’information due au conducteur, particulièrement en cas de paiement non spontané de l’amende (B).

A. La sanction d’une méconnaissance des règles de procédure

La première censure opérée par le Conseil d’État, bien que de nature formelle, est fondamentale pour la bonne administration de la justice. En l’espèce, le requérant avait, en cours d’instance, expressément indiqué se désister d’une partie de ses conclusions. Le juge de première instance a cependant omis de viser ce mémoire et, par conséquent, de donner acte de ce désistement partiel. En cassation, le Conseil d’État relève sobrement que « en omettant de prendre acte de ce désistement partiel, le tribunal administratif a entaché l’ordonnance attaquée d’une irrégularité ».

Cette solution, bien qu’évidente, rappelle l’obligation pour le juge de statuer sur l’ensemble des conclusions dont il est saisi, et uniquement sur celles-ci, dans leur dernier état. Le désistement, même partiel, dessaisit le juge de la partie des prétentions abandonnées. Ignorer un tel acte revient pour le juge à statuer au-delà de ce qui lui est demandé, en violation de l’office qui lui est confié. Cette rigueur procédurale garantit que la décision rendue correspond précisément à l’objet du litige tel que délimité par les parties. L’irrégularité, aussi formelle soit-elle, justifie à elle seule l’annulation de la décision, car elle porte atteinte à la structure même du procès administratif.

B. Le rappel de la portée de la garantie d’information en cas de recouvrement forcé

Le second motif d’annulation est plus substantiel et touche au cœur du contentieux du permis à points. La jurisprudence administrative a établi une présomption selon laquelle le paiement d’une amende forfaitaire vaut preuve que le contrevenant a reçu l’information sur les conséquences de ce paiement, notamment le retrait de points à venir. Toutefois, cette présomption est simple et peut être renversée. C’est précisément ce que le juge du fond a ignoré en l’espèce.

Le Conseil d’État rappelle sa doctrine constante : si le paiement de l’amende établit en principe que l’administration a rempli son obligation d’information, « il en va toutefois différemment si l’intéressé établit qu’il ne s’est pas acquitté spontanément de l’amende mais que celle-ci a fait l’objet d’un recouvrement forcé ». Dans une telle situation, la présomption est inversée. Ce n’est plus au conducteur de prouver qu’il n’a pas été informé, mais à l’administration de démontrer qu’elle a bien délivré une information exacte et complète. En jugeant que le paiement suffisait à établir la délivrance de l’information, alors que le requérant avait produit des pièces attestant d’une saisie administrative, le premier juge a donc commis une erreur de droit manifeste. Cette solution réaffirme que la reconnaissance de l’infraction ne peut être déduite d’un paiement contraint, qui ne traduit aucune volonté de la part du débiteur.

Au-delà de ces garanties fondamentales relatives à la procédure et à l’information du contrevenant, la haute juridiction se penche également sur une question plus technique, mais tout aussi déterminante pour le sort du permis de conduire.

II. La réaffirmation de l’importance de la chronologie dans la gestion du solde de points

Le Conseil d’État censure une troisième erreur du premier juge, relative à la pertinence du moyen contestant la date des retraits de points. Il juge que cet argument est parfaitement opérant (A), ce qui met en lumière les conséquences directes de cette chronologie sur le calcul final du solde de points (B).

A. L’opérance du moyen tiré de la date des retraits de points

En première instance, le juge avait écarté comme inopérant l’argument du requérant selon lequel l’administration aurait commis une illégalité en procédant aux retraits de points à une date erronée. Pour le juge du fond, cette question de date était sans incidence. Le Conseil d’État adopte une position diamétralement opposée. Il affirme que le magistrat « a également commis une erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen tiré de l’illégalité qu’aurait commise le ministre de l’intérieur en procédant aux retraits de points […] dès lors que cette date était susceptible d’avoir une influence sur le solde de points de son permis, par le jeu des restitutions de points ».

Cette affirmation est essentielle, car elle reconnaît que la gestion du capital de points du permis de conduire est un processus dynamique et non une simple succession d’opérations arithmétiques indépendantes. La date à laquelle un retrait de points devient effectif, c’est-à-dire la date à laquelle l’infraction est établie au sens de l’article L. 223-1 du code de la route, constitue le point de départ de plusieurs délais, notamment ceux qui régissent la reconstitution du capital de points. Juger un tel moyen inopérant revient à nier l’existence et l’application de ces mécanismes de restitution.

B. Les conséquences sur le calcul du solde de points et la validité du permis

La portée de cette censure est considérable. Le code de la route prévoit plusieurs dispositifs de reconstitution automatique de points : la réattribution d’un point perdu après six mois sans nouvelle infraction, ou la reconstitution totale du capital après un délai de deux ou trois ans. De plus, un mécanisme de reconstitution décennale existe pour les contraventions des quatre premières classes. L’application de ces règles est strictement conditionnée par la chronologie des infractions et des retraits de points qui en résultent.

En jugeant que la date des retraits était un élément pertinent, le Conseil d’État contraint le juge du fond à vérifier si, au regard de la date exacte à laquelle chaque infraction est devenue définitive, le conducteur n’aurait pas dû bénéficier d’une restitution de points avant que son solde n’atteigne zéro. Un décalage de quelques jours dans l’enregistrement d’un retrait peut ainsi modifier l’ensemble du calcul et, potentiellement, sauver la validité du permis de conduire. Cette décision confirme donc que la légalité d’une décision d’invalidation du permis repose sur une application rigoureuse et chronologiquement exacte de l’ensemble des règles de retrait et de restitution, garantissant que le conducteur ne soit pas privé de son titre de conduite sur la base d’un décompte erroné.

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