Le Conseil d’État a rendu, le 20 décembre 2024, une décision essentielle relative à l’indemnisation des conséquences dommageables d’un accident médical non fautif. Une patiente a subi une opération chirurgicale le 16 décembre 2014 au sein d’un établissement hospitalier avant de conserver des séquelles physiques durables. Le tribunal administratif de Lyon a initialement condamné l’office national d’indemnisation à réparer les préjudices subis par un jugement rendu le 22 octobre 2019. La cour administrative d’appel de Lyon a réduit le montant de l’indemnité par un arrêt du 6 juillet 2021 avant une première annulation par la haute juridiction. Saisie à nouveau, la juridiction d’appel a fixé l’indemnisation du préjudice professionnel à la somme de 80 000 euros par un arrêt du 6 avril 2023. La requérante soutient que cette évaluation est insuffisante au regard de la perte de revenus réels découlant de l’impossibilité d’accéder à une promotion. La question posée au juge de cassation concerne les modalités d’évaluation de la perte de chance de progression professionnelle pour une victime d’un certain âge. Le Conseil d’État annule l’arrêt pour dénaturation des pièces du dossier avant de régler l’affaire au fond en augmentant significativement l’indemnité accordée. Cette décision permet d’étudier la censure de la dénaturation opérée par les juges d’appel (I) avant d’analyser l’évaluation souveraine du préjudice professionnel par le juge administratif (II).
I. La censure de la dénaturation dans l’appréciation du préjudice professionnel
A. L’incohérence manifeste entre la gravité de la perte de chance et l’indemnité allouée
La cour administrative d’appel de Lyon a reconnu que la victime avait subi une « perte de chance sérieuse » de bénéficier d’une promotion interne importante. La requérante, alors âgée de quarante-sept ans, aspirait à un poste de direction au sein de l’entreprise qui l’employait lors de la survenance de l’accident. Toutefois, les juges du fond ont limité l’indemnisation du préjudice d’incidence professionnelle à une période de deux années seulement malgré la reconnaissance de cette chance. Cette restriction temporelle apparaît contradictoire avec le constat d’une évolution de carrière définitivement compromise par les séquelles physiques résultant de l’aléa thérapeutique subi. Le Conseil d’État relève ainsi une faille logique dans le raisonnement des juges d’appel qui ne tirent pas les conséquences nécessaires de leurs propres constatations factuelles. Une telle approche méconnaît le principe de la réparation intégrale du préjudice en réduisant arbitrairement la durée de la perte de revenus futurs.
B. La sanction du raisonnement erroné relatif à la durée du préjudice subi
L’arrêt est censuré car la juridiction d’appel a « dénaturé les pièces du dossier » en évaluant le différentiel de revenus sur une base temporelle trop restreinte. La haute juridiction considère que limiter l’indemnisation à deux ans pour une salariée en milieu de carrière constitue une erreur manifeste dans l’appréciation des faits. Le juge de cassation exerce ici un contrôle rigoureux sur la qualification juridique de la durée du préjudice afin de garantir une indemnisation juste et cohérente. L’annulation partielle de l’arrêt s’imposait puisque le montant alloué ne correspondait pas à la réalité du blocage professionnel induit par l’accident médical non fautif. La décision souligne l’obligation pour les juges du fond de justifier la corrélation entre la nature du poste perdu et la durée de la compensation financière. Cette exigence de motivation renforce la protection des droits des victimes d’accidents médicaux dont la trajectoire salariale est brusquement interrompue par un dommage corporel.
II. L’évaluation directe par le Conseil d’État de l’incidence professionnelle
A. La caractérisation concrète de l’interruption définitive de la progression de carrière
Statuant au fond après cassation, le Conseil d’État identifie précisément le poste de direction commerciale internationale auquel la requérante aurait pu légitimement prétendre début 2015. La décision mentionne que cette promotion aurait permis d’accéder à une rémunération annuelle brute comprise entre 78 000 et 90 000 euros selon les usages. Avant l’accident, les revenus professionnels de l’intéressée s’élevaient à la somme de 44 400 euros, ce qui démontre l’importance du saut salarial escompté par la promotion. L’instruction confirme que la victime a été privée de cette opportunité réelle en raison directe des conséquences de l’aléa thérapeutique dont elle a été la cible. Le juge administratif s’appuie sur ces données chiffrées pour établir l’existence d’un préjudice certain dépassant largement la simple compensation forfaitaire octroyée en appel. La précision des éléments financiers retenus illustre la volonté de coller au plus près de la réalité économique de la perte de chance subie.
B. La détermination d’une indemnité proportionnée aux perspectives de rémunération perdues
Le Conseil d’État fixe le montant de la réparation du préjudice d’incidence professionnelle à la somme de 350 000 euros pour solder définitivement le litige actuel. Cette somme remplace l’indemnisation initiale de 80 000 euros et traduit une « juste appréciation du préjudice » prenant en compte la durée prévisible de l’activité professionnelle. Cette évaluation globale intègre les pertes de gains futurs jusqu’à l’âge de la retraite tout en respectant les principes régissant la solidarité nationale en matière médicale. L’office national est également condamné à verser les intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2016 sur la totalité de la créance indemnitaire. Par cette solution, la haute juridiction rappelle que l’indemnisation doit couvrir l’intégralité du manque à gagner lorsque la perte de chance présente un caractère suffisant. La décision finale sécurise ainsi la situation financière de la victime en lui offrant une compensation adéquate face à l’échec définitif de ses ambitions professionnelles légitimes.