En matière de contentieux du permis de conduire, la question de la preuve de l’information préalable du conducteur revêt une importance capitale. Un arrêt rendu par le Conseil d’État le 20 décembre 2024 vient préciser les modalités d’administration de cette preuve par l’autorité administrative. En l’espèce, un conducteur s’est vu retirer des points de son permis de conduire à la suite de plusieurs infractions, dont une commise le 30 janvier 2021. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande d’annulation de ces décisions de retrait de points.
Par un jugement du 27 février 2024, la juridiction de première instance a fait droit à sa demande concernant l’infraction du 30 janvier 2021. Les premiers juges ont estimé que l’administration n’apportait pas la preuve de la délivrance de l’information préalable exigée par le code de la route, en l’absence de signature sur le procès-verbal électronique et de paiement de l’amende. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer a alors formé un pourvoi en cassation contre ce jugement. Il soutenait que le fait pour le conducteur d’avoir formulé une requête en exonération suffisait à établir qu’il avait bien reçu l’avis de contravention contenant les informations requises, et que le tribunal avait, en jugeant le contraire, dénaturé les pièces du dossier. Le conducteur, quant à lui, se bornait à nier avoir formulé une telle requête.
Il revenait donc au Conseil d’État de déterminer si la preuve de la formulation d’une requête en exonération par le conducteur peut suffire à établir que celui-ci a bien reçu l’information préalable au retrait de points. La Haute Juridiction administrative a répondu par l’affirmative. Elle a jugé que les éléments produits par le ministre, notamment un document faisant état de la réception de la requête en exonération de l’intéressé, étaient suffisants pour prouver la réception de l’avis de contravention. Par conséquent, en jugeant que la preuve n’était pas rapportée, le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
Cette solution conduit la haute assemblée à reconnaître la validité des modes de preuve indirects pour établir l’accomplissement d’une formalité substantielle (I), ce qui a pour effet de renforcer l’efficacité de la procédure de retrait de points face aux contestations dilatoires (II).
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I. La charge de la preuve de l’information préalable aménagée par le comportement du contrevenant
Le Conseil d’État, tout en rappelant le caractère essentiel de l’information préalable due au conducteur (A), admet que la preuve de sa délivrance peut résulter d’une démarche active de ce dernier (B).
A. Le rappel du principe d’une information préalable substantielle
La légalité d’une décision de retrait de points est subordonnée au respect d’une garantie fondamentale pour le conducteur. Le Conseil d’État prend soin de rappeler dans son premier considérant que, selon les articles L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route, l’administration ne peut légalement procéder à un retrait de points que si l’auteur de l’infraction a préalablement reçu un document contenant les informations légales. Ces informations constituent une « garantie essentielle en ce qu’elles mettent l’intéressé en mesure de contester la réalité de l’infraction et d’en mesurer les conséquences sur la validité de son permis ».
La jurisprudence administrative est constante sur ce point, érigeant cette information en condition de légalité de la décision administrative. C’est sur l’administration que pèse la charge de prouver que cette formalité a bien été accomplie. En première instance, le tribunal administratif a appliqué cette règle de manière rigoureuse, en considérant que l’absence de signature sur un procès-verbal électronique et de paiement de l’amende faisait défaut. Le jugement s’inscrivait ainsi dans une logique de protection maximale des droits du conducteur, exigeant de l’administration une preuve directe et irréfutable de la délivrance de l’information.
B. L’admission d’une preuve déduite de la contestation de l’amende
Face à cette exigence, le Conseil d’État adopte une approche plus pragmatique de l’administration de la preuve. Il ne s’en tient pas à la seule vérification des preuves directes de la notification mais analyse le comportement du contrevenant lui-même. Le ministre avait en effet produit un « dossier transmis à Monsieur l’officier du ministère public » qui attestait de la réception d’une requête en exonération de la part du conducteur. Pour la Haute Juridiction, cette pièce est déterminante.
Le raisonnement est simple et logique : on ne peut contester un avis de contravention que l’on n’a pas reçu. En formulant une telle requête, le conducteur a nécessairement eu connaissance de l’avis de contravention, lequel doit comporter l’ensemble des informations légales. Dès lors, la preuve de la contestation vaut preuve de la notification. La simple dénégation du conducteur, qui s’est borné à soutenir « qu’il n’a reçu aucun courrier de l’administration et qu’il n’a formulé aucune requête », est jugée insuffisante face aux éléments circonstanciés produits par l’administration. La décision déplace ainsi le débat probatoire : face à une preuve indirecte mais crédible de l’administration, une simple allégation contraire du requérant est inopérante.
II. La portée de la décision : le renforcement de la sécurité juridique de la procédure de retrait de points
En censurant l’appréciation des premiers juges (A), le Conseil d’État consacre une solution réaliste qui sécurise la procédure administrative et prévient les manœuvres de mauvaise foi (B).
A. La censure de l’appréciation du juge du fond pour dénaturation
Le moyen d’annulation retenu par le Conseil d’État est celui de la dénaturation des pièces du dossier. Ce contrôle, que le juge de cassation exerce de manière restreinte, lui permet de sanctionner une erreur manifeste dans l’appréciation des faits par les juges du fond. En l’espèce, le Conseil d’État a estimé qu’en écartant les éléments produits par le ministre, la magistrate du tribunal administratif de Paris « a dénaturé les pièces du dossier ».
Cette censure est significative car elle souligne que le juge du fond ne peut ignorer des pièces qui, bien qu’indirectes, établissent un faisceau d’indices concordants. Le document faisant état de la requête en exonération, même s’il n’émane pas directement du conducteur, constituait un élément suffisamment probant pour que son rejet s’apparente à une méconnaissance de la réalité factuelle du dossier. Cette position réaffirme le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond tout en lui fixant des limites, notamment lorsque les faits établis par une pièce ne sont pas raisonnablement contestables.
B. La consécration d’une approche pragmatique et préventive
Au-delà du cas d’espèce, cette décision a une portée pratique considérable pour l’administration. Elle valide un mode de preuve adapté à la dématérialisation des procédures, où la preuve de la notification par accusé de réception ou signature n’est pas toujours aisée à rapporter. Admettre que l’action du contrevenant lui-même peut pallier cette difficulté confère une plus grande sécurité juridique aux décisions de retrait de points.
Cette solution permet également de lutter contre les stratégies contentieuses qui reposeraient sur une dénégation systématique de la réception des avis. En liant la preuve de la notification à la propre démarche de contestation de l’intéressé, le Conseil d’État moralise en quelque sorte le débat probatoire. Un conducteur ne peut plus, de bonne foi, à la fois contester une amende et prétendre ignorer tout de la procédure engagée contre lui. La décision renforce ainsi l’effectivité du système du permis à points, en assurant que l’obligation d’information, bien que fondamentale, ne devienne pas un obstacle insurmontable pour l’action administrative.