5ème chambre du Conseil d’État, le 4 avril 2025, n°495293

Par une décision en date du 4 avril 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les critères d’admission d’un pourvoi en cassation formé contre une ordonnance d’un tribunal administratif, dans le contexte d’un litige relatif à la suspension d’un agent public en raison de l’obligation vaccinale contre la covid-19.

Un agent d’un établissement hospitalier public avait été suspendu de ses fonctions par une décision du directeur des ressources humaines en date du 21 septembre 2021, au motif qu’il ne respectait pas son obligation vaccinale. Par la suite, deux autres décisions des 22 septembre et 2 novembre 2021 ont mis fin à son congé de maladie et ont refusé la prolongation de celui-ci. L’agent a alors saisi le tribunal administratif de Montpellier pour demander l’annulation de ces trois décisions.

Par une ordonnance du 28 juin 2023, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif a rejeté la demande de l’agent. Saisie d’un pourvoi, la cour administrative d’appel de Toulouse l’a transmis au Conseil d’État, qui a été invité à se prononcer sur l’admission dudit pourvoi. La requérante soulevait plusieurs moyens, tenant tant à l’irrégularité de l’ordonnance, notamment une omission de statuer, qu’à des erreurs de droit sur le fond du litige.

Le problème de droit soumis à la Haute juridiction administrative consistait donc à déterminer si les moyens invoqués par la requérante, et en particulier l’oubli par le premier juge de se prononcer sur une partie des conclusions, constituaient un « moyen sérieux » au sens de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, justifiant une admission, même partielle, du pourvoi en cassation.

Le Conseil d’État répond par l’affirmative concernant le grief d’omission de statuer, tout en écartant les autres moyens. Il décide ainsi que « les conclusions du pourvoi dirigées contre l’ordonnance du 28 juin 2023 (…) en tant qu’elle omet de statuer sur les conclusions présentées par Mme B… (…) sont admises ». En revanche, il juge qu’« aucun des moyens soulevés n’est de nature à permettre l’admission du surplus des conclusions du pourvoi ».

Il convient dès lors d’analyser la portée de cette décision, qui illustre la fonction de filtre de la procédure d’admission des pourvois. Le Conseil d’État consacre ainsi la sanction d’une irrégularité procédurale manifeste (I), tout en confirmant sa marge d’appréciation souveraine quant au caractère non sérieux des moyens de fond (II).

I. La consécration de l’omission de statuer comme un moyen sérieux d’admission

Le Conseil d’État fait une application rigoureuse de l’article L. 822-1 du code de justice administrative en admettant le pourvoi sur le fondement d’une irrégularité procédurale. Cette solution met en lumière l’importance de l’obligation pour le juge de répondre à l’ensemble des demandes (A), conférant ainsi une portée particulière à ce vice de procédure dans le cadre de l’admission (B).

A. L’obligation pour le juge de statuer sur toutes les conclusions

L’omission de statuer constitue une irrégularité qui vicie la décision juridictionnelle, car elle prive le justiciable de son droit à ce que sa cause soit entièrement entendue par un juge. En l’espèce, la requérante avait demandé l’annulation de trois décisions distinctes, mais le tribunal administratif n’avait, dans son ordonnance, pas examiné les conclusions relatives aux décisions des 22 septembre et 2 novembre 2021. Ce faisant, le premier juge a manqué à son office, qui lui impose de se prononcer sur tout ce qui est demandé, et seulement sur ce qui est demandé.

La censure d’une telle omission est classique et fondamentale, car elle garantit l’effectivité du droit au recours juridictionnel. En considérant ce moyen comme « sérieux », le Conseil d’État rappelle que les règles de procédure ne sont pas de simples formes, mais des garanties substantielles pour les parties au litige. La régularité du jugement est une condition préalable à l’examen de sa valeur au fond, et son absence justifie à elle seule que la cassation soit envisagée. La décision d’admission sur ce seul point est donc une réaffirmation de l’exigence de rigueur qui pèse sur les juridictions du fond, y compris lorsqu’elles statuent par ordonnance.

B. La qualification de l’irrégularité procédurale en moyen sérieux

La spécificité de la décision réside dans le fait que le Conseil d’État isole ce moyen procédural pour justifier l’admission partielle du pourvoi. La procédure préalable d’admission a pour objectif de désengorger la Haute juridiction en écartant les pourvois qui sont manifestement infondés ou irrecevables. Le fait qu’une omission de statuer soit jugée suffisante pour franchir ce filtre démontre le poids que le Conseil d’État accorde à la bonne administration de la justice.

Cette approche permet de distinguer clairement les vices de forme et de procédure des critiques adressées au raisonnement de fond des juges. Tandis que les premiers, lorsqu’ils sont avérés et d’une certaine gravité, ouvrent presque mécaniquement la voie de la cassation, les seconds sont soumis à une appréciation plus subjective de leur pertinence. La décision d’admettre le pourvoi sur la base de ce moyen démontre une hiérarchie implicite dans l’examen des griefs : la violation d’une règle fondamentale de procédure est un motif d’admission privilégié.

Si la Haute juridiction a ainsi affirmé l’importance du respect des règles procédurales, elle a simultanément exercé son pouvoir de filtre avec fermeté concernant les autres arguments soulevés par la requérante.

II. Le rejet des moyens de fond jugés dépourvus de caractère sérieux

En n’admettant pas le surplus des conclusions du pourvoi, le Conseil d’État illustre sa fonction régulatrice et son appréciation souveraine de ce qui constitue un « moyen sérieux ». Cette décision témoigne de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation des arguments de fond (A) et confirme la portée limitée de la procédure d’admission, qui ne préjuge pas de la solution finale du litige (B).

A. L’appréciation souveraine du caractère non sérieux des moyens

La requérante soulevait de nombreux moyens de fond, contestant la légalité de la loi du 5 août 2021 et de son décret d’application, ainsi que l’analyse du premier juge sur la compétence liée de l’administration. Elle invoquait la méconnaissance de plusieurs droits et libertés fondamentaux, tels que le principe d’égalité, le droit à l’intégrité physique ou encore le droit au travail. Le Conseil d’État a estimé qu’aucun de ces arguments n’était « de nature à permettre l’admission » du pourvoi.

Cette formule révèle le pouvoir de filtre exercé par la Haute juridiction. La notion de « moyen sérieux » n’est pas définie par les textes et relève de la seule appréciation des juges de l’admission. En l’espèce, il est probable que le Conseil d’État ait considéré que les questions soulevées avaient déjà été tranchées par sa jurisprudence antérieure ou qu’elles ne présentaient pas une complexité juridique ou une nouveauté justifiant un examen en formation de jugement. Cette appréciation souveraine permet d’écarter les pourvois qui ne feraient que réitérer des argumentations déjà jugées non fondées, assurant ainsi une certaine stabilité du droit.

B. La portée circonscrite de la décision de non-admission

La décision de ne pas admettre les moyens de fond ne constitue pas une fin de non-recevoir absolue pour la requérante sur ces points. En effet, l’admission du pourvoi pour omission de statuer entraînera l’annulation de l’ordonnance et le renvoi de l’affaire devant les juges du fond, probablement le même tribunal administratif, afin qu’il statue sur les conclusions qui avaient été omises. La requérante aura alors l’occasion de présenter à nouveau l’ensemble de ses arguments devant la juridiction de renvoi.

Toutefois, la décision de non-admission envoie un signal fort sur la faible probabilité de succès de ces moyens. Elle indique que, en l’état du droit et de la jurisprudence, les arguments tirés de la non-conventionnalité ou de l’inconstitutionnalité de l’obligation vaccinale, ou encore de l’erreur de droit concernant la compétence liée, ne sont pas perçus par la Haute juridiction comme ayant une chance sérieuse d’aboutir. La décision commentée, bien que de nature procédurale, a donc une portée indicative sur le fond du droit et sur l’issue future probable du litige pour les questions qu’elle a écartées.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture