Le Conseil d’État a rendu, le 7 mai 2025, une décision précisant les modalités de calcul du délai de la prescription quadriennale pour les dommages corporels. Un agent public, victime d’accidents de service en 2005 et 2016, a sollicité une indemnité provisionnelle en réparation de ses préjudices. Son état de santé fut déclaré consolidé le 23 décembre 2015 par la commission de réforme compétente selon les pièces du dossier. Le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté sa demande initiale en raison de la tardivité prévisible de l’action au fond. Saisi en appel, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé cette ordonnance et accordé une provision indemnitaire. Le ministre de l’intérieur s’est alors pourvu en cassation contre cette décision devant la haute juridiction administrative pour obtenir l’annulation de l’ordonnance. La question posée au juge de cassation portait sur la détermination exacte du terme d’un délai de prescription débutant le premier janvier 2016. Le Conseil d’État censure le raisonnement d’appel en rappelant que le délai de quatre ans expirait nécessairement le 31 décembre 2019. L’étude de cette solution suppose d’analyser d’abord la précision apportée au décompte temporel avant d’en mesurer les conséquences sur l’extinction des créances.
**I. Une clarification bienvenue du décompte de la prescription quadriennale**
**A. La fixation du point de départ du délai de prescription**
La loi du 31 décembre 1968 prévoit que les créances sur les personnes publiques se prescrivent par quatre ans au profit de l’État. Le point de départ est fixé au premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis par le créancier. Pour les dommages corporels, le Conseil d’État affirme que ce délai court à partir du « premier jour de l’année suivant celle de la consolidation ». Cette règle garantit à la victime une connaissance suffisante de l’étendue de son préjudice avant que le temps ne s’écoule irrémédiablement. En l’espèce, la consolidation étant intervenue en décembre 2015, le délai a commencé son cours légal le 1er janvier 2016 selon les constatations. Cette interprétation souveraine assure une sécurité juridique indispensable tant pour l’administration débitrice que pour les agents victimes d’accidents dans leur service.
**B. La sanction d’une erreur de calcul arithmétique**
Le juge d’appel avait estimé que le délai expirerait le 31 décembre 2020 pour une prescription débutant le premier jour de l’année 2016. Le Conseil d’État censure fermement cette appréciation en relevant que le juge des référés de Bordeaux « a commis une erreur de droit » manifeste. Le délai de quatre ans comprend en effet l’année de départ et les trois années suivantes selon un décompte strictement calendaire et annuel. En retenant la date du 31 décembre 2020 au lieu du 31 décembre 2019, la cour administrative d’appel a ajouté une année indue. Cette rectification rappelle l’exigence de rigueur mathématique qui s’impose aux juridictions du fond lors de l’examen de la recevabilité des demandes indemnitaires. La haute juridiction rétablit ainsi l’application exacte des dispositions de la loi relative à la prescription des créances publiques sur le territoire.
**II. Une application rigoureuse emportant l’extinction de la créance indemnitaire**
**A. L’inefficacité des démarches administratives tardives**
L’interruption de la prescription nécessite une demande de paiement ou une réclamation écrite adressée à l’autorité administrative compétente avant l’expiration du terme légal. L’intéressé a formulé sa première demande indemnitaire le 30 décembre 2020, soit un an après la date butoir fixée par le droit positif. Le Conseil d’État constate souverainement que « la créance était prescrite » à la date de cette première saisine de l’administration préfectorale par le requérant. Aucun acte interruptif n’étant intervenu entre 2016 et 2019, le droit à réparation s’est définitivement éteint par le seul effet du temps écoulé. La demande de provision fondée sur l’article R. 541-1 du code de justice administrative devenait dès lors dépourvue de toute base légale sérieuse. Cette sévérité illustre la volonté de protéger les deniers publics contre des réclamations trop éloignées du fait générateur du dommage corporel initial.
**B. Les conséquences sur le régime du référé-provision**
L’octroi d’une provision par le juge des référés suppose que l’existence de l’obligation ne soit pas sérieusement contestable selon les textes en vigueur. La prescription acquise constitue une exception péremptoire qui fait disparaître le caractère non contestable de la créance dont se prévaut l’agent public victime. En réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État confirme le rejet de la demande de provision initialement prononcé par le premier juge administratif. Cette décision souligne que le juge des référés doit exercer un contrôle vigilant sur les conditions de délai régissant l’action indemnitaire au fond. La solution retenue évite le versement de sommes importantes alors que l’action principale est manifestement vouée à l’échec pour cause de prescription. La protection de la sécurité juridique l’emporte ici sur la considération des préjudices subis par l’agent dans l’exercice de ses missions régaliennes.