6ème – 5ème chambres réunies du Conseil d’État, le 13 juin 2025, n°471548

Le Conseil d’État a rendu, le 13 juin 2025, une décision fondamentale précisant les contours de la responsabilité des acteurs de la gestion d’actifs. Une société de gestion étrangère avait investi les fonds de plusieurs organismes de placement collectif dans des titres de créance dépourvus de liquidité suffisante. Suite à des retraits massifs d’investisseurs, l’autorité de régulation a sanctionné lourdement la société ainsi que ses deux principaux dirigeants exécutifs. Les requérants contestaient la compétence de l’autorité nationale suite au retrait de leur État d’origine de l’Union européenne. La question posée au juge portait sur la pérennité du pouvoir de sanction et la rigueur des obligations de liquidité et de valorisation. La haute juridiction administrative rejette les recours en confirmant la régularité de la procédure et la gravité exceptionnelle des fautes de gestion. La solution retenue valide l’extension de la compétence territoriale et la sévérité des sanctions pécuniaires au regard du préjudice subi par l’épargne. L’analyse portera d’abord sur la compétence de l’autorité de régulation avant d’étudier la caractérisation des manquements aux obligations professionnelles.

I. La confirmation du pouvoir de sanction et de la régularité de l’instance

A. Le maintien de la compétence juridictionnelle malgré l’évolution du cadre international

Le juge administratif affirme que l’autorité nationale demeure compétente pour sanctionner des faits commis avant la sortie d’un État de l’Union européenne. Cette compétence s’exerce dès lors que les manquements ont été réalisés dans le cadre de la gestion de fonds agréés sur le territoire. La décision précise que l’absence de dispositions spécifiques dans l’accord de retrait ne saurait faire obstacle à l’exercice d’un tel pouvoir répressif. L’autorité de régulation peut donc valablement poursuivre une société étrangère pour des violations antérieures de ses obligations professionnelles définies par le droit national. Le Conseil d’État souligne que « la circonstance que… la société n’était plus établie dans un État membre… n’est pas de nature… à faire obstacle à l’exercice de cette compétence ». Cette position garantit l’efficacité du contrôle administratif sur les activités transfrontalières exercées avant tout changement de statut juridique international de l’entité.

B. La validité des garanties procédurales et de la composition de la formation

Les requérants invoquaient l’irrégularité de la composition de la commission des sanctions en raison d’une situation d’incompatibilité touchant l’un de ses membres. Le juge écarte ce moyen en distinguant les règles applicables aux différents mandats exercés simultanément par un magistrat au sein d’autorités indépendantes. L’indépendance des membres de la commission est protégée par la durée fixe de leur mandat, lequel survit à d’éventuels changements de statut professionnel. Concernant les droits de la défense, le juge précise les modalités d’application du droit de se taire lors des phases de contrôle administratif. Cette garantie ne s’applique pas aux investigations préliminaires mais doit être respectée dès l’engagement formel de la procédure de sanction disciplinaire. Le juge considère que « le droit de se taire ne s’applique pas lors des contrôles ou enquêtes… diligentés antérieurement à la notification des griefs ».

II. La sévérité renouvelée face aux manquements professionnels caractérisés

A. L’impératif de liquidité et de valorisation transparente des instruments financiers

La juridiction administrative rappelle que l’éligibilité d’un titre dépend strictement de sa liquidité pour honorer les demandes de rachat des porteurs de parts. La société de gestion a acquis délibérément des actifs dont elle connaissait la faible liquidité tout en négligeant d’évaluer leur impact réel. Le manquement est caractérisé par l’insuffisante anticipation des risques de liquidité liés à un retrait massif de l’épargne investie dans ces fonds. Le juge affirme que « l’acquisition… de titres financiers dont elle connaissait dès l’origine la faible liquidité compromettait la capacité de ces fonds à honorer les demandes ». L’obligation de valorisation périodique et fiable a également été méconnue par l’absence d’informations précises provenant de l’émetteur ou d’analyses financières indépendantes. Ces défaillances systémiques dans le processus de gestion des risques justifient la sévérité du constat opéré par la commission des sanctions.

B. La validation d’une sanction pécuniaire proportionnée à la gravité des faits

Le montant exceptionnel de la sanction pécuniaire est validé en raison de la nature délibérée et répétée des violations des règles financières élémentaires. Ces fautes ont entraîné le blocage durable des avoirs d’investisseurs souvent non professionnels suite au cantonnement obligatoire des actifs devenus totalement illiquides. Le Conseil d’État retient une « méconnaissance délibérée et particulièrement grave des règles fondamentales relatives au fonctionnement » des organismes de placement collectif en valeurs mobilières. La responsabilité des dirigeants est personnellement engagée puisqu’ils ont directement ordonné les investissements litigieux dans le cadre de leurs fonctions exécutives respectives. Le juge estime que les amendes infligées correspondent à la capacité financière des intéressés et à la gravité des préjudices causés aux tiers. La publication non anonyme de la décision complète l’arsenal répressif afin de prévenir toute réitération de tels comportements sur les marchés financiers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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