6ème – 5ème chambres réunies du Conseil d’État, le 16 juin 2025, n°490826

Par une décision du 16 juin 2025, le Conseil d’État se prononce sur l’étendue de la responsabilité d’un agent lié au regard des obligations professionnelles incombant au prestataire de services d’investissement pour le compte duquel il agit. En l’espèce, la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers avait prononcé d’importantes sanctions pécuniaires et professionnelles à l’encontre d’une société française, agent lié d’une entreprise d’investissement chypriote, ainsi qu’à l’encontre de son dirigeant. La décision de sanction était fondée sur plusieurs manquements, notamment relatifs à l’évaluation des clients, à l’information sur les risques des produits financiers et au respect des règles de promotion. La société et son dirigeant ont formé un recours devant le Conseil d’État, ne contestant que les manquements relatifs aux obligations qui, selon eux, pesaient exclusivement sur le prestataire de services d’investissement. Ils avançaient que leur statut d’intermédiaire mandataire faisait obstacle à ce que de telles fautes leur soient directement imputées. Se posait ainsi au Conseil d’État la question de savoir si un agent lié peut être sanctionné pour des manquements aux obligations professionnelles qui sont propres au prestataire de services d’investissement qu’il représente. La haute juridiction administrative y répond par l’affirmative, en jugeant que « la qualité d’agent lié ne fait pas obstacle à ce que lui soient directement imputés des manquements aux obligations professionnelles qui sont applicables au prestataire de services d’investissement pour le compte duquel il intervient ». Par cette clarification, le Conseil d’État établit que la responsabilité de l’agent lié peut être engagée du fait des manquements de son mandant (I), une solution dont la portée renforce l’efficacité du dispositif de régulation financière (II).

I. L’affirmation d’une responsabilité de l’agent lié pour les manquements de son mandant

Le Conseil d’État fonde sa solution sur une interprétation combinée des textes régissant la compétence de l’autorité de régulation (A) pour en déduire que le statut d’agent lié ne constitue pas un motif d’exonération de responsabilité (B).

A. Une imputabilité fondée sur la compétence de surveillance de l’autorité de régulation

La décision rappelle le cadre légal qui habilite l’Autorité des marchés financiers à contrôler et sanctionner les agents liés. En visant les articles L. 545-1, L. 621-9 et L. 621-15 du code monétaire et financier, le juge administratif souligne que le régulateur dispose d’une compétence générale pour veiller au respect des obligations professionnelles par ces intermédiaires. Cette compétence s’exerce que ces obligations soient définies par les textes nationaux, les règlements européens ou les règles professionnelles approuvées. Le raisonnement s’appuie sur le fait que les agents liés agissent « pour le compte » d’un prestataire de services d’investissement, ce qui les place de facto dans le périmètre de surveillance de l’autorité.

Partant, la décision écarte toute distinction entre les obligations qui seraient propres à l’agent lié et celles qui pèseraient sur le prestataire de services d’investissement. La compétence de l’Autorité des marchés financiers est définie de manière globale, lui permettant de sanctionner tout manquement constaté dans le cadre de l’activité de l’agent, sans avoir à déterminer si la source de l’obligation se trouve chez le mandataire ou chez le mandant. Le juge consacre ainsi une vision fonctionnelle du contrôle, attachée à l’activité de service d’investissement fournie au client final sur le territoire national.

B. Le rejet du statut d’intermédiaire comme mécanisme d’exonération

Au-delà du fondement textuel de la compétence du régulateur, le Conseil d’État établit un principe de responsabilité plus large pour l’agent lié. En affirmant que sa qualité « ne fait pas obstacle » à l’imputation directe des manquements du prestataire, la juridiction administrative refuse de considérer le mandat comme un écran juridique qui protégerait l’intermédiaire. L’agent lié, bien qu’agissant pour le compte d’un tiers, participe matériellement à la réalisation des opérations qui peuvent constituer un manquement. Il n’est donc pas un simple exécutant passif mais un acteur de la chaîne de distribution des produits financiers.

Cette approche met fin à l’argument qui consisterait pour l’agent à se retrancher derrière les instructions ou les défaillances de son mandant, notamment lorsque celui-ci est établi dans un autre État membre de l’Union européenne. En jugeant que les fautes du prestataire peuvent être « directement imputés » à son agent, le Conseil d’État opère une forme de transparence dans la relation de mandat au regard du droit de la régulation. La responsabilité de l’agent est ainsi engagée non pas au titre de ses seules obligations spécifiques, mais également au titre de sa participation à une activité irrégulière initiée par le prestataire qu’il représente.

II. La portée d’une clarification au service de l’ordre public financier

En retenant cette conception extensive de la responsabilité de l’agent lié, la décision commentée ne se limite pas à une interprétation technique des textes ; elle poursuit une finalité de protection dont il convient de mesurer les implications (A) et les conséquences pratiques pour les professionnels du secteur (B).

A. La consolidation de la protection de l’investisseur

La solution retenue par le Conseil d’État apparaît pleinement conforme aux objectifs de la régulation financière, en particulier la protection des investisseurs. Elle empêche qu’un prestataire de services d’investissement, notamment étranger, puisse se prévaloir de sa distance géographique et de l’interposition d’un agent lié pour se soustraire au respect des règles applicables en France. En rendant l’agent localement responsable, le juge garantit à l’épargnant un interlocuteur identifiable et soumis au pouvoir de sanction du régulateur national.

Cette interprétation s’inscrit dans la lignée de l’esprit de la directive sur les marchés d’instruments financiers (MIFID II), qui vise à harmoniser par le haut le niveau de protection des clients dans l’Union européenne. La décision du 16 juin 2025 constitue une application concrète de ce principe, en s’assurant que l’utilisation d’agents liés ne devienne pas une faille dans le dispositif de surveillance des marchés et de protection des clientèles non professionnelles. Elle renforce ainsi l’intégrité du marché et la confiance du public dans les services d’investissement.

B. Le renforcement des obligations de diligence des intermédiaires financiers

Sur le plan pratique, cette jurisprudence emporte des conséquences significatives pour les agents liés et les prestataires de services d’investissement. Elle incite les premiers à exercer une diligence accrue quant à la conformité des services et produits de leur mandant. L’agent lié ne peut plus se contenter d’appliquer les instructions du prestataire sans s’assurer de leur régularité. Il se voit ainsi investi d’une obligation implicite de contrôle et de vigilance sur les activités qu’il déploie pour le compte de son mandant.

Cette responsabilisation accrue pourrait conduire à une redéfinition des relations contractuelles entre les prestataires et leurs agents, ces derniers pouvant exiger davantage de garanties ou de moyens de contrôle sur la conformité des opérations. Pour les prestataires, cette décision souligne l’importance d’une supervision rigoureuse de leur réseau d’agents liés, leur propre responsabilité étant susceptible d’être engagée en cascade. En définitive, cette clarification contribue à responsabiliser l’ensemble de la chaîne d’intermédiation financière, au bénéfice de la sécurité des transactions et de la protection de l’épargne.

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