Par une décision en date du 16 juin 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité d’un décret modifiant la période de chasse du sanglier et encadrant la pratique de l’agrainage dissuasif.
En l’espèce, un décret en date du 28 décembre 2023 a modifié plusieurs dispositions du code de l’environnement. Ses articles 3 et 4 ont respectivement prolongé la période de chasse spécifique du sanglier jusqu’au 31 mai et précisé les conditions de recours à l’agrainage dissuasif, dans le but de réduire les dégâts causés par le grand gibier aux activités agricoles. Une association de protection de l’environnement a formé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de ces deux articles. La requérante soulevait, à l’appui de sa demande, des moyens de légalité tant externe, tenant à une prétendue méconnaissance des règles de participation du public, qu’interne, relatifs à une violation de plusieurs principes du droit de l’environnement. Elle arguait notamment que la prolongation de la période de chasse contrevenait au principe de prélèvement raisonnable et à l’équilibre agro-sylvo-cynégétique, et que l’encadrement de l’agrainage était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Le pouvoir réglementaire, soutenu par une fédération de chasseurs intervenue en défense, a conclu au rejet de la requête.
Il était ainsi demandé au Conseil d’État de déterminer si des mesures réglementaires allongeant la période de chasse au sanglier et fixant les conditions de l’agrainage, prises dans un objectif de réduction des dégâts agricoles, portaient une atteinte illégale aux principes fondamentaux du droit de l’environnement, notamment celui de prélèvement raisonnable et de non-régression de la protection environnementale.
Le Conseil d’État rejette la requête. Il juge que les dispositions attaquées ne méconnaissent aucun des principes invoqués. Concernant la prolongation de la chasse, il relève que la mesure est conditionnée et justifiée par la protection des semis, dans un contexte d’abondance de l’espèce. S’agissant de l’agrainage, la Haute Juridiction estime que le décret fixe des « conditions minimales » qui « n’ont pas, par elles-mêmes, pour effet de méconnaître l’interdiction du nourrissage des sangliers », laissant aux schémas départementaux le soin de les adapter aux spécificités locales.
Cette décision illustre une approche pragmatique du contrôle de la réglementation en matière de chasse, où le juge administratif valide la recherche d’un équilibre entre la protection de la biodiversité et la gestion des activités humaines (I). Cependant, en validant des mesures qui assouplissent les périodes et pratiques de régulation, elle soulève la question de la portée réelle des grands principes du droit de l’environnement face aux impératifs économiques (II).
I. La validation d’une gestion pragmatique de la faune sauvage
Le Conseil d’État approuve le dispositif réglementaire en considérant que les mesures adoptées sont à la fois justifiées par leur objectif (A) et suffisamment encadrées par le renvoi à l’autorité locale (B).
A. La consécration d’une période de chasse complémentaire justifiée par des impératifs agricoles
La Haute Juridiction administrative valide la prolongation de la période de chasse spécifique au sanglier en s’appuyant sur une analyse factuelle et circonstanciée. Elle écarte le moyen tiré de la méconnaissance du principe de prélèvement raisonnable en soulignant le caractère conditionnel et limité de cette nouvelle période. La chasse du 1er avril au 31 mai « ne peut être pratiquée que pour la protection des semis, à l’affût ou à l’approche, voire en battue à titre exceptionnel, après autorisation préfectorale ». Le juge relève ainsi que la mesure n’est pas générale et absolue, mais subordonnée à un objectif précis de prévention des dommages agricoles, sous le contrôle du préfet.
En outre, le Conseil d’État prend soin de contextualiser sa décision en se référant aux pièces du dossier, qui attestent d’une « augmentation très significative, depuis plusieurs années, tant du nombre de spécimens de sangliers présents sur le territoire national que du montant des indemnités versées ». Ce faisant, il ancre son raisonnement non dans une application théorique du droit de l’environnement, mais dans une réalité où une espèce est jugée abondante et source de préjudices économiques. La décision valide ainsi une logique de régulation active, considérant que les dispositions attaquées, par leur nature ciblée, « n’ont pas, par elles-mêmes, pour effet de nuire au maintien de l’espèce de sanglier dans un état de conservation favorable ».
B. Un encadrement souple de l’agrainage renvoyé à l’appréciation locale
Concernant l’encadrement de l’agrainage dissuasif, le Conseil d’État adopte une posture similaire, empreinte de pragmatisme et de déférence envers l’échelon local. Face au grief d’erreur manifeste d’appréciation, il juge que le décret attaqué se borne à poser un cadre national minimal. Les dispositions réglementaires prévoient en effet un ensemble de règles générales, telles que la limitation des quantités ou la suspension durant une certaine période, tout en ménageant des possibilités de dérogation « en fonction des spécificités départementales ».
Le juge estime que cet encadrement n’est pas en soi illégal. Il considère que les exceptions prévues ne sauraient être interprétées comme autorisant de manière déguisée le nourrissage, pratique prohibée par l’article L. 425-5 du code de l’environnement. La décision met en lumière le rôle pivot du schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC), qui doit adapter ces règles aux particularités locales. En jugeant que les dispositions « n’ont pas, par elles-mêmes, pour effet de méconnaître l’interdiction du nourrissage », le Conseil d’État valide un mécanisme de subsidiarité, où la responsabilité de prévenir les abus est confiée à l’autorité préfectorale et aux instances cynégétiques locales, jugées plus à même d’apprécier la situation sur le terrain.
En validant point par point le dispositif réglementaire, le Conseil d’État fait preuve d’une lecture mesurée des objectifs de protection environnementale. Cette approche, si elle est cohérente sur le plan juridique, interroge néanmoins sur la confrontation de ces principes avec les réalités économiques et sur la portée effective des garanties écologiques.
II. La portée limitée des principes environnementaux face à l’objectif de réduction des dégâts
En rejetant les arguments de l’association requérante, la décision révèle la difficulté à faire prévaloir certains grands principes du droit de l’environnement lorsqu’ils se heurtent à des objectifs économiques (A) et confirme l’interprétation restrictive du principe de non-régression par le juge (B).
A. La difficile conciliation de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique avec la pression économique
L’article L. 425-4 du code de l’environnement définit l’équilibre agro-sylvo-cynégétique comme la recherche d’une compatibilité entre la présence d’une faune sauvage et la rentabilité des activités agricoles et sylvicoles, notamment par la « combinaison des moyens ». L’association requérante soutenait que le décret privilégiait un seul moyen, l’allongement de la chasse, au détriment d’une approche plus globale. Le Conseil d’État écarte cet argument en relevant que le décret met en œuvre « plusieurs mesures visant à réduire les dégâts », incluant la chasse et l’agrainage.
Toutefois, cette solution, bien que formellement juste, élude le débat sur la nature de l’équilibre recherché. La décision semble entériner une vision où la régulation par la chasse constitue la réponse principale et la plus directe à la problématique des dégâts agricoles. En validant une extension de la période de chasse durant une phase de sensibilité pour la faune (printemps), le juge donne une primauté à la réduction des dommages économiques sur une interprétation plus protectrice de la biodiversité. La notion d’équilibre apparaît ici moins comme une pesée à somme nulle que comme une justification permettant de légitimer des mesures de régulation renforcées lorsque la pression économique exercée par une espèce devient significative.
B. Le contrôle restreint du juge sur l’application du principe de non-régression
La décision est particulièrement éclairante quant à la portée du principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement « ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante ». L’association requérante voyait dans l’allongement de la période de chasse une régression de la protection accordée à l’espèce. Le Conseil d’État rejette le moyen de manière lapidaire, en affirmant que cette seule circonstance « n’est, en tout état de cause, pas de nature à méconnaître le principe de non-régression ».
Cette motivation confirme l’approche restrictive du juge administratif en la matière. Pour qu’une régression soit constituée, il ne suffit pas de démontrer qu’une norme nouvelle est moins-disante qu’une norme antérieure sur un point précis ; il faudrait prouver qu’elle entraîne une diminution du niveau global de protection. En l’espèce, le juge semble considérer que la mesure, étant conditionnée et justifiée par un contexte d’abondance de l’espèce et de dégâts importants, ne constitue pas un recul général et injustifié. Cette solution illustre le caractère essentiellement factuel de l’appréciation du juge et confirme que la décision commentée est avant tout une décision d’espèce, dont la portée ne saurait être généralisée pour affaiblir le principe de non-régression, mais qui démontre la difficulté de son application concrète.