Par un arrêt en date du 31 décembre 2024, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité du refus de l’administration de modifier plusieurs dispositions réglementaires relatives au droit de la pêche en eau douce. Une association de protection de l’environnement avait sollicité une révision de certains articles du code de l’environnement afin de renforcer la protection des espèces piscicoles, notamment migratrices. Face au silence de l’administration, valant décision implicite de rejet, l’association a saisi la haute juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir. Elle soutenait que les dispositions en vigueur étaient contraires à des normes supérieures, incluant les principes de précaution, de participation du public, et les exigences découlant du droit de l’Union européenne. Le problème de droit soulevé consistait donc à déterminer si le refus de modifier le cadre réglementaire applicable à la pêche en eau douce portait atteinte à des principes et obligations de rang supérieur, justifiant son annulation. Le Conseil d’État a rejeté la requête dans son intégralité, jugeant que les dispositions critiquées n’étaient entachées d’aucune illégalité. La décision clarifie ainsi la portée des obligations de l’administration en matière de planification environnementale (I) et valide l’exercice des pouvoirs de police de la pêche (II).
I. La validation du cadre réglementaire de la planification et de la participation
Le Conseil d’État confirme une application mesurée des obligations procédurales, qu’il s’agisse du champ de l’évaluation environnementale (A) ou des modalités de la participation du public et de la composition des organes consultatifs (B).
A. Une interprétation stricte du champ de l’évaluation environnementale
L’association requérante soutenait que les plans de gestion des poissons migrateurs, prévus à l’article R. 436-45 du code de l’environnement, devaient être inscrits sur la liste des plans et programmes systématiquement soumis à évaluation environnementale. Le Conseil d’État écarte ce moyen en se fondant sur une analyse finaliste de ces documents. Il juge que ces plans « se bornent à fixer des orientations ou des objectifs en matière de gestion des poissons migrateurs » et « n’ont ni pour objet, ni pour effet de définir directement un ensemble significatif de critères et de modalités devant être mis en œuvre par les autorités compétentes pour autoriser des projets ». Ne constituant pas un cadre pour l’autorisation de projets au sens de la directive 2011/92/UE, ils ne relèvent pas de la catégorie des plans et programmes devant faire l’objet d’une évaluation systématique. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue les documents de planification stratégique des actes pré-décisionnels encadrant directement la réalisation de projets. En outre, la haute juridiction relève, à titre surabondant, que l’obligation d’évaluation environnementale s’impose de toute façon pour tout plan ayant une incidence notable sur un site Natura 2000, en vertu d’autres dispositions, rendant l’inscription sur la liste de l’article R. 122-17 du code de l’environnement inopérante à cet égard.
B. La suffisance confirmée des règles de consultation et de composition
La requête mettait également en cause la conformité du processus d’élaboration des arrêtés préfectoraux relatifs à la pêche avec le principe de participation du public. L’argument selon lequel la consultation du public devrait intervenir après la collecte des avis techniques et que ces derniers devraient être communiqués est rejeté. Le Conseil d’État rappelle qu’aucune disposition n’impose un tel ordonnancement, dès lors que le public dispose des informations suffisantes pour formuler des observations en toute connaissance de cause. De même, est écartée l’idée qu’un régime d’avis tacite favorable devrait s’appliquer aux consultations obligatoires. Par ailleurs, la haute juridiction examine la composition des comités de gestion des poissons migrateurs. Elle juge que l’absence de représentation des associations de protection de l’environnement agréées n’est pas illégale, d’une part parce que l’article L. 141-2 du code de l’environnement n’impose pas leur présence « dans tout organisme public concernant l’environnement », et d’autre part, car le pouvoir réglementaire n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation au regard des missions dévolues à ces comités.
II. La confirmation des pouvoirs de police de la gestion piscicole
Le Conseil d’État confirme la légalité des prérogatives de l’administration en matière de réglementation des pratiques de pêche (A) et clarifie l’articulation des sanctions pénales applicables (B).
A. La préservation des pouvoirs discrétionnaires de l’autorité préfectorale
Plusieurs critiques visaient des dispositions conférant au préfet une marge d’appréciation pour réglementer les activités de pêche. L’association contestait la faculté pour le préfet d’autoriser un allongement des filets mobiles, y voyant une méconnaissance de l’exigence de gestion équilibrée des ressources piscicoles. Le juge administratif rappelle qu’une telle dérogation, qui demeure une simple faculté, ne peut être exercée que dans le respect des objectifs fixés par l’article L. 430-1 du code de l’environnement. De la même manière, la possibilité pour le préfet d’interdire la « pêche en marchant dans l’eau » pour des motifs de protection du patrimoine piscicole est jugée conforme au droit. Le fait que cette interdiction ne soit pas systématique dans les zones de frayères n’est pas considéré comme illégal, car la prohibition générale de destruction de ces zones, posée par l’article L. 432-3 du même code, demeure applicable en toutes circonstances. L’arrêt souligne ainsi que l’existence de pouvoirs de police spécifiques n’exonère ni l’administration ni les usagers du respect des principes généraux de protection des milieux.
B. La clarification de l’articulation des sanctions pénales
La décision apporte un éclairage sur la coexistence de différentes sanctions pour des faits similaires. L’association arguait d’une contradiction entre la qualification contraventionnelle de la pêche de migrateurs en période prohibée, prévue à l’article R. 436-68 du code de l’environnement, et la qualification délictuelle prévue par la loi pour les mêmes faits concernant des espèces protégées comme le saumon ou l’anguille. Le Conseil d’État résout cette apparente contradiction en appliquant l’adage *specialia generalibus derogant*. Il juge que les dispositions législatives, plus récentes et spécifiques à certaines espèces, ont nécessairement abrogé implicitement les dispositions réglementaires antérieures et plus générales pour les faits et espèces qu’elles visent. Le juge administratif opère ici une lecture cohérente de l’arsenal répressif, assurant la primauté de la sanction la plus sévère, voulue par le législateur, pour les atteintes aux espèces les plus menacées. Il écarte enfin un moyen tiré de la violation du principe d’égalité, en jugeant que la différence de traitement entre personnes physiques et morales en matière de récidive contraventionnelle n’est pas inconstitutionnelle, celles-ci se trouvant dans une situation différente.