Par une décision en date du 31 décembre 2024, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité du refus opposé par le ministre compétent à une demande visant à renforcer la réglementation relative aux cétacés détenus en captivité. Une association de protection des animaux avait sollicité, d’une part, l’interdiction de tout transfert et importation de ces animaux à des fins commerciales, sauf vers des sanctuaires, et, d’autre part, la modification d’un arrêté ministériel pour retirer les cétacés de la liste des espèces dont la détention est autorisée. Face au silence de l’administration, valant décision implicite de rejet, l’association a saisi la haute juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir. Elle soutenait que ce refus méconnaissait plusieurs dispositions du droit de l’environnement et du code rural, notamment celles issues d’une loi de 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale, et qu’il était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Le problème de droit soulevé consistait donc à déterminer si l’autorité administrative était tenue de prendre des mesures réglementaires d’interdiction générale et immédiate des mouvements de cétacés à des fins commerciales, en anticipation de l’entrée en vigueur d’une interdiction législative de leur détention programmée pour 2026, et ce alors qu’un régime d’autorisation individuelle encadre déjà ces opérations. Le Conseil d’État rejette la requête, considérant que le cadre juridique en vigueur, qui subordonne tout transfert à une autorisation administrative préalable, est suffisant pour assurer le respect des objectifs de protection animale et de contrôle des fins commerciales, sans qu’il soit nécessaire d’édicter une nouvelle interdiction générale avant l’échéance fixée par le législateur.
L’analyse de la décision révèle que le juge administratif a privilégié une application rigoureuse de la loi dans le temps tout en confirmant la solidité du dispositif de contrôle existant. En conséquence, la solution consacre une approche pragmatique qui, tout en écartant une anticipation de la loi, rappelle les obligations strictes pesant sur l’administration (I). Cette posture, juridiquement orthodoxe, conduit à une décision dont la portée doit être appréciée à l’aune de la période transitoire qu’elle vient éclairer (II).
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I. Une application rigoureuse du droit positif écartant toute interdiction générale anticipée
Le Conseil d’État fonde sa décision sur une double analyse : il écarte d’abord l’application d’une interdiction législative dont l’entrée en vigueur est différée (A), avant de confirmer que le cadre juridique actuel offre déjà des garanties suffisantes (B).
A. L’inoppérabilité d’une interdiction législative à effet différé
L’association requérante invoquait principalement les dispositions de la loi du 30 novembre 2021, qui interdit la détention et la reproduction en captivité des cétacés. Cependant, le législateur a explicitement prévu que cette interdiction n’entrerait en vigueur qu’à l’expiration d’un délai de cinq ans, soit le 2 décembre 2026. Le Conseil d’État applique sans surprise le principe de non-rétroactivité et de l’application de la loi dans le temps, en jugeant que l’association « ne peut utilement se prévaloir à l’encontre de la décision de refus qu’elle attaque de l’interdiction posée par l’article L. 413-12 du code de l’environnement, laquelle ne trouvera à s’appliquer qu’à compter du 2 décembre 2026 ». Cette approche confirme une jurisprudence constante selon laquelle une disposition légale à effet différé ne peut produire d’effets juridiques contraignants avant la date fixée par le législateur lui-même. En refusant d’imposer au pouvoir réglementaire une obligation d’anticiper cette échéance, le juge administratif respecte la volonté du Parlement, qui a précisément entendu ménager une période de transition pour les établissements concernés. La solution est donc une manifestation classique de la séparation des pouvoirs, où le juge se garde d’empiéter sur les prérogatives du législateur quant au calendrier d’application de la loi.
B. La reconnaissance de la suffisance du cadre juridique existant
Ayant écarté l’argument principal de la requérante, le Conseil d’État examine ensuite si le droit en vigueur imposait néanmoins au ministre de prendre les mesures sollicitées. La haute juridiction procède à un examen détaillé des dispositions nationales et européennes applicables, notamment le règlement (CE) n° 338/97 et les articles pertinents du code de l’environnement. Il en ressort que tout transfert, importation ou exportation de cétacés est déjà soumis à un régime d’autorisation administrative préalable. Le juge souligne que, dans le cadre de l’instruction de ces demandes d’autorisation, l’administration est tenue de vérifier le respect de conditions strictes. Ainsi, pour une exportation hors de l’Union européenne, l’autorité doit s’assurer que les spécimens « ne seront pas utilisés à des fins principalement commerciales ». Pour les transferts internes au territoire national ou à l’Union européenne, elle doit veiller au respect du bien-être animal et des interdictions de vente et d’exposition à des fins commerciales. Le Conseil d’État en déduit que, « compte tenu des conditions auxquelles est d’ores et déjà subordonnée la légalité des autorisations de transfert, déplacement et exportation de cétacés présents sur le territoire français, le refus de prendre des mesures supplémentaires d’encadrement réglementaire n’est pas entaché d’illégalité ». En d’autres termes, le contrôle au cas par cas est jugé suffisant pour atteindre les objectifs poursuivis par la requérante, rendant superfétatoire l’édiction d’une nouvelle interdiction générale et absolue.
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II. Une solution orthodoxe à la portée transitoire mesurée
Cette décision, qui s’inscrit dans une logique de stricte application du droit (A), a pour principale portée de clarifier l’état du droit applicable durant la période précédant l’interdiction définitive de 2026 (B).
A. Une solution orthodoxe, reflet d’un légalisme prudent
La position adoptée par le Conseil d’État est empreinte de classicisme et de prudence. En refusant d’imposer à l’administration une obligation de faire qui irait au-delà de ce que les textes prévoient expressément, le juge se conforme à une interprétation stricte de la hiérarchie des normes et de sa propre compétence. La décision n’est pas une prise de position sur le bien-fondé de la captivité des cétacés, question déjà tranchée par le législateur, mais une décision sur l’office du juge et du pouvoir réglementaire dans l’application de la loi. En validant le refus du ministre, le Conseil d’État juge que ce dernier n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur manifeste d’appréciation en s’en tenant au cadre existant. Cette approche peut paraître décevante pour les partisans d’une protection animale renforcée et immédiate, mais elle est juridiquement irréprochable. Elle démontre que le juge administratif, même dans un domaine sensible et en pleine évolution, n’entend pas se substituer au pouvoir réglementaire pour créer des normes nouvelles, surtout lorsque le législateur a lui-même fixé un horizon temporel précis.
B. La portée limitée d’une décision d’espèce clarifiant l’état du droit transitoire
Il convient de ne pas surinterpréter la portée de cet arrêt. Il ne s’agit pas d’un arrêt de principe qui viendrait infléchir l’état du droit en matière de protection animale. Il s’agit plutôt d’une décision d’espèce, dont la solution est étroitement liée au contexte temporel de la loi de 2021. Son principal apport est de clarifier le régime juridique applicable durant la période transitoire courant jusqu’au 2 décembre 2026. La décision confirme que durant cette phase, la gestion des populations de cétacés captifs ne relève pas d’une interdiction générale, mais d’un contrôle administratif individualisé via le système d’autorisations. L’arrêt a ainsi pour effet indirect de renforcer l’importance et la responsabilité de l’administration dans l’exercice de ce contrôle. Chaque demande d’autorisation de transfert devra faire l’objet d’un examen minutieux au regard des critères rappelés par le Conseil d’État, notamment l’absence de finalité principalement commerciale. La solution adoptée place donc les services de l’État en première ligne pour garantir que la période transitoire ne se traduise pas par une liquidation des parcs au seul profit d’intérêts commerciaux, en attendant l’application pleine et entière de la loi.