Par une décision rendue le 2 mai 2025, le Conseil d’État précise les conditions de recevabilité d’un recours formé par un administré dont la mesure de protection a pris fin. Une ressortissante allemande, entrée sur le territoire français en 2018, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour en qualité de citoyenne de l’Union européenne. Par une décision du 28 mars 2022, le préfet de la Moselle a rejeté cette demande d’admission au séjour. Le tribunal administratif de Strasbourg a écarté sa contestation par un jugement du 15 juin 2023. Saisie d’un appel, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté la requête par une ordonnance du 26 janvier 2024 pour irrecevabilité manifeste.
Parallèlement, la cour d’appel de Metz avait ordonné le placement de la requérante sous le régime de la curatelle simple par un arrêt du 26 octobre 2021. Toutefois, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Sarreguemines a prononcé la mainlevée de cette mesure par une ordonnance du 22 mai 2023. La cour administrative d’appel de Nancy a néanmoins considéré que la requête d’appel, déposée le 4 août 2023, devait être signée par le curateur. La requérante soutient que son action était régulière puisque la mesure de protection judiciaire n’existait plus au moment de l’introduction de l’instance.
La question posée au Conseil d’État est de savoir si l’absence de signature d’un ancien curateur sur une requête d’appel constitue une irrecevabilité alors que la curatelle a été levée. La Haute Juridiction administrative censure le raisonnement des juges d’appel en soulignant que la fin de la protection rend à l’intéressée sa pleine capacité d’ester en justice. Cette solution repose sur la constatation impérative de l’extinction de la mesure de protection (I), dont les effets sur l’instance contentieuse rétablissent la validité de l’action individuelle (II).
I. La constatation impérative de l’extinction de la mesure de protection
A. Le rétablissement de la pleine capacité juridique par la mainlevée
Le Conseil d’État rappelle que le régime de la curatelle impose normalement l’assistance du curateur pour introduire une action en justice ou pour y défendre. Cette règle, prévue par l’article 468 du code civil, vise à protéger les intérêts du majeur dont les facultés sont temporairement altérées ou affaiblies. Cependant, l’article 442 du même code autorise le juge des tutelles à mettre fin à cette mesure de protection à tout moment de la procédure. Dès que la mainlevée est prononcée, l’administré retrouve immédiatement l’exercice autonome de ses droits civils et le droit de mener ses propres actions contentieuses.
Dans cette affaire, le juge des tutelles du tribunal judiciaire de Sarreguemines a formellement mis fin au régime de protection par une ordonnance du 22 mai 2023. Cette décision judiciaire a eu pour effet direct de supprimer l’exigence d’assistance qui pesait sur la ressortissante étrangère lors de ses démarches administratives. La requérante n’était donc plus soumise aux restrictions de capacité qui auraient pu limiter son droit fondamental d’accès au juge de l’excès de pouvoir.
B. L’erreur de droit tirée du maintien erroné de l’exigence d’assistance
La magistrate désignée par la présidente de la cour administrative d’appel de Nancy a méconnu la portée des décisions judiciaires relatives à l’état des personnes. Elle a considéré à tort que la requête restait « manifestement irrecevable au motif qu’elle n’était pas revêtue de la signature du curateur précédemment désigné par le juge judiciaire ». Cette appréciation ignorait l’ordonnance de mainlevée intervenue plusieurs mois avant le dépôt du recours devant la juridiction d’appel au mois d’août 2023. Le juge administratif doit pourtant vérifier la réalité de la capacité juridique des parties à la date à laquelle elles introduisent leur demande.
Le Conseil d’État relève ainsi que la requérante « est fondée à soutenir que la magistrate désignée (…) a commis une erreur de droit » dans son analyse de la recevabilité. Cette censure souligne l’obligation pour le juge administratif de prendre en compte l’évolution des mesures de protection civile signalées dans les pièces du dossier. L’annulation de l’ordonnance d’appel découle logiquement de cette méconnaissance des règles régissant la capacité d’agir des majeurs antérieurement placés sous curatelle.
II. Les effets du rétablissement de la capacité sur l’instance contentieuse
A. L’ouverture du recours juridictionnel sans assistance
La décision commentée confirme que le droit d’agir en justice ne peut être restreint au-delà de la durée strictement nécessaire à la protection de l’individu. Dès lors que la mesure est levée, l’exigence de signature conjointe du curateur disparaît totalement pour tous les actes de la vie civile et judiciaire. La requête présentée le 4 août 2023 devant la cour administrative d’appel de Nancy était donc régulière dès son enregistrement auprès du greffe. Le juge ne pouvait plus exiger l’intervention de l’association qui avait été initialement désignée en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
Cette solution garantit une application rigoureuse du principe de liberté d’action des citoyens dont la santé ne justifie plus un encadrement juridique spécifique. En annulant l’ordonnance attaquée, le Conseil d’État protège l’administré contre une exigence procédurale devenue sans fondement légal suite à la décision du juge judiciaire. L’affaire est ainsi renvoyée devant la cour administrative d’appel de Nancy pour qu’elle soit jugée au fond sur le droit au séjour.
B. Le cadre strict de l’application de l’aide juridictionnelle
Le Conseil d’État apporte une précision complémentaire concernant les conclusions financières présentées par la requérante au titre des frais exposés durant l’instance de cassation. La décision rappelle que le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale ne peut obtenir la condamnation de l’État à son profit pour des frais déjà couverts. Le juge souligne qu’il peut seulement condamner la partie perdante à verser une somme à l’avocat du bénéficiaire sur le fondement de la loi du 10 juillet 1991. L’avocat doit alors renoncer expressément à percevoir la part contributive de l’État pour pouvoir recouvrer la somme allouée par le magistrat.
En l’espèce, les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées car l’avocat n’a pas formulé la demande adéquate. La Haute Juridiction note que « l’avocat n’a pas demandé la condamnation de l’État à lui verser » la somme correspondant aux honoraires non compris dans les dépens. Cette rigueur procédurale rappelle que le succès au fond sur la question de la recevabilité n’entraîne pas automatiquement l’octroi d’une indemnité de procédure. Le respect des formes prescrites par la législation sur l’aide juridique demeure une condition indispensable pour obtenir le remboursement des frais d’avocat.