6ème chambre du Conseil d’État, le 2 mai 2025, n°494471

Par une décision en date du 2 mai 2025, le Conseil d’État se prononce sur l’étendue de la responsabilité civile professionnelle d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dans le cadre d’une commission d’office effectuée à titre onéreux. En l’espèce, un justiciable souhaitait contester deux jugements rendus en 2018, respectivement par le tribunal administratif de Paris et par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Ses demandes d’aide juridictionnelle pour former des pourvois en cassation ayant été rejetées, il a obtenu la désignation d’un avocat commis d’office par le président de l’ordre des avocats aux Conseils. Cette désignation précisait cependant que la mission serait exercée à titre payant.

Après plusieurs échanges, l’avocat a proposé des honoraires réduits pour les deux pourvois, mais le client a maintenu son incapacité à régler la somme demandée, insistant pour une prise en charge au titre de l’aide juridictionnelle ou pour que l’avocat demande à être déchargé de sa mission. Face au refus du client d’accepter la proposition d’honoraires, l’avocat n’a accompli aucune diligence, et les délais de pourvoi ont expiré. C’est dans ce contexte que le justiciable a saisi le Conseil d’État d’une action en responsabilité contre la société d’avocats, estimant avoir subi une perte de chance d’obtenir l’annulation des jugements en raison des manquements de l’avocat. Le conseil de l’ordre des avocats aux Conseils avait préalablement émis un avis estimant que l’avocat n’avait commis aucune faute.

La question soumise à la haute juridiction administrative était donc de savoir si un avocat aux Conseils, désigné d’office à titre onéreux, commet une faute de nature à engager sa responsabilité en s’abstenant de former un pourvoi en cassation, dès lors que son client, informé des délais et des conditions de son intervention, refuse la convention d’honoraires proposée. À cette question, le Conseil d’État répond par la négative, en jugeant que l’avocat « n’a manqué à aucune obligation professionnelle ». La requête du justiciable est par conséquent rejetée.

Cette décision, qui précise les contours des devoirs de l’avocat commis d’office, mérite d’être analysée sous l’angle de la stricte délimitation des obligations professionnelles qui en découle (I), avant d’envisager sa portée au regard du droit à un recours effectif (II).

I. La délimitation rigoureuse des obligations de l’avocat commis d’office

Le Conseil d’État fonde son raisonnement sur une appréciation pragmatique du comportement de l’auxiliaire de justice au regard de ses devoirs (A), tout en écartant l’existence d’obligations subsidiaires qui auraient pu peser sur lui (B).

A. L’absence de faute liée au refus de diligenter un pourvoi sans accord sur les honoraires

La haute juridiction analyse la responsabilité de l’avocat en vérifiant s’il « a normalement accompli, avec les diligences suffisantes, les devoirs de sa charge, à la condition que son client l’ait mis en mesure de le faire ». Le nœud du litige réside dans la nature onéreuse de la commission d’office. L’avocat n’a pas été désigné au titre de l’aide juridictionnelle, mais bien pour intervenir moyennant le paiement d’honoraires. Le Conseil d’État relève que l’avocat a fait des efforts pour rendre sa prestation accessible, en proposant à deux reprises une réduction substantielle de ses frais. Il souligne également que le montant final proposé « n’apparait pas, au regard de la complexité des dossiers, comme contraire aux principes de délicatesse et de modération ».

Dès lors que la relation professionnelle était conditionnée à un accord financier, le refus du client de consentir à la convention d’honoraires proposée constitue le point de rupture. Le Conseil d’État considère implicitement que le client n’a pas mis l’avocat en mesure d’accomplir sa mission. En l’absence de formalisation de leur accord contractuel, l’avocat ne pouvait être tenu d’engager des frais et d’accomplir des actes de procédure. La solution est logique : l’obligation de diligence de l’avocat est subordonnée à l’acceptation par le client des conditions de son intervention, particulièrement lorsque la question des honoraires est centrale et que le cadre de l’aide juridictionnelle a été explicitement écarté.

B. Le rejet de l’obligation d’engager des démarches alternatives

Le justiciable reprochait également à l’avocat de ne pas avoir entrepris d’autres démarches, comme déposer de nouvelles demandes d’aide juridictionnelle ou demander à être déchargé de sa mission. Le Conseil d’État balaie ces arguments avec fermeté. D’une part, il écarte toute faute de l’avocat pour ne pas avoir présenté de nouvelles demandes d’aide juridictionnelle. La juridiction rappelle que de telles demandes avaient déjà été rejetées par des décisions confirmées en recours, et que, selon les textes, l’initiative de la demande appartient à l’intéressé. L’avocat, n’ayant pas reçu de mandat clair faute d’accord sur les honoraires, n’était pas tenu d’agir pour le compte de son client potentiel.

D’autre part, la juridiction estime qu’il ne « saurait être reproché à Me Rousseau de ne pas avoir demandé au président de l’ordre d’être déchargé de ses commissions d’office ». Cette affirmation est déterminante. Elle signifie qu’un avocat commis d’office à titre payant qui a accepté la mission et a formulé une proposition d’honoraires raisonnable a satisfait à ses obligations initiales. Le fait que le client refuse l’offre ne crée pas pour l’avocat une nouvelle obligation de se délier de sa mission. La responsabilité de l’échec de la relation contractuelle est ainsi entièrement imputée au client, qui, par son refus, a empêché l’exécution de la mission pour laquelle l’avocat avait été désigné.

Après avoir ainsi défini de manière restrictive les obligations de l’avocat, la décision invite à une réflexion sur sa valeur et ses conséquences pratiques.

II. La portée de la décision : entre orthodoxie juridique et questionnement sur l’accès au juge

La solution retenue par le Conseil d’État, si elle s’inscrit dans une logique juridique orthodoxe (A), n’en soulève pas moins des questions quant à ses implications pour les justiciables dans une situation financière précaire (B).

A. La confirmation d’une solution orthodoxe en matière de responsabilité professionnelle

En refusant de reconnaître une faute de l’avocat, le Conseil d’État applique sans surprise les principes généraux de la responsabilité contractuelle et professionnelle. La prestation d’un avocat, même désigné d’office, s’inscrit dans un cadre contractuel qui suppose un accord des parties sur la chose et sur le prix. En l’absence de consensus sur les honoraires, le contrat n’est pas formé et les obligations qui en découlent ne peuvent naître. La décision rappelle que le cadre de la commission d’office « à titre payant » ne déroge pas à ce principe fondamental. Elle ne crée pas une obligation pour l’avocat de travailler gratuitement ou dans l’incertitude d’être rémunéré.

Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la grille d’analyse classique de la faute de l’avocat, qui prend en compte « le comportement du client et de ses autres conseils ». Le client était parfaitement informé des échéances, comme le souligne la décision, et a fait le choix de refuser la proposition de l’avocat. En ce sens, la solution est juridiquement irréprochable car elle refuse de faire peser sur l’auxiliaire de justice le risque de l’insolvabilité de son client ou de son refus de contracter. Elle protège ainsi la profession d’avocat aux Conseils contre le risque de devoir accomplir des diligences importantes sans aucune garantie de paiement, hors du cadre protecteur de l’aide juridictionnelle.

B. La clarification du régime de la commission d’office à titre payant et ses implications

Au-delà de son caractère orthodoxe, l’arrêt a le mérite de clarifier le régime de la commission d’office à titre onéreux. Il confirme que cette procédure n’est pas une forme déguisée d’aide juridictionnelle, mais une simple modalité de désignation d’un avocat pour un justiciable qui n’en trouve pas par lui-même. La portée de la décision est cependant à nuancer au regard de l’accès au juge. Elle met en lumière une zone grise du droit pour les justiciables qui, sans être éligibles à l’aide juridictionnelle, ne disposent pas des liquidités suffisantes pour avancer les honoraires d’un avocat, surtout dans des procédures spécialisées et coûteuses.

Le justiciable en l’espèce se trouve dans une impasse : le bureau d’aide juridictionnelle a estimé qu’il disposait de ressources suffisantes, mais dans les faits, il n’a pu réunir la somme nécessaire à sa défense. La décision du Conseil d’État, en validant le comportement de l’avocat, entérine une situation où le droit au recours, bien que théoriquement ouvert, devient pratiquement inaccessible. Sans porter de jugement de valeur, la décision souligne que la commission d’office ne constitue pas une garantie de prise en charge financière. Elle fait peser sur le justiciable l’entière responsabilité de la contractualisation avec l’avocat désigné, y compris lorsque l’échec des négociations le prive de toute chance de voir son pourvoi examiné.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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