Le Conseil d’État a rendu, le 22 juillet 2025, un arrêt relatif aux conditions de suspension des sanctions administratives et à l’autorité des ordonnances de référé. Une entreprise de sécurité privée a été sanctionnée par une autorité de régulation d’une interdiction d’exercer de dix-huit mois ainsi que d’une amende substantielle. La juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté une première demande de suspension de cette sanction le 13 mars 2025. Une seconde demande, invoquant des éléments nouveaux, a été également rejetée par cette même juridiction par une ordonnance datée du 18 avril 2025. La société requérante a alors formé deux pourvois en cassation devant la haute juridiction administrative pour contester la validité de ces décisions successives. La juridiction suprême doit déterminer si le rejet d’une seconde demande de référé prive d’objet le pourvoi formé contre le rejet de la première saisine. Le Conseil d’État juge que l’intervention d’une seconde ordonnance rend sans objet les conclusions dirigées contre la première, tout en censurant la dénaturation des faits. La solution retenue impose ainsi la suspension de la sanction en raison d’un doute sérieux sur sa légalité et d’une situation d’urgence manifeste.
I. La flexibilité procédurale liée au caractère provisoire des ordonnances
A. L’absence d’autorité de la chose jugée attachée aux mesures de référé
Les décisions rendues par le juge de l’urgence ne bénéficient pas de la stabilité habituelle reconnue aux jugements statuant définitivement sur le fond. Le Conseil d’État rappelle que les ordonnances de référé sont, « compte tenu de leur caractère provisoire, dépourvues de l’autorité de chose jugée ». Cette absence d’autorité permet à un justiciable de soumettre à nouveau une demande identique à la juridiction administrative malgré un premier échec. L’article L. 521-1 du code de justice administrative autorise le requérant à invoquer des moyens ou des éléments nouveaux pour justifier sa demande. La jurisprudence administrative consacre ici une conception souple de l’accès au juge afin de garantir une protection efficace des droits des administrés. Cette faculté de réitérer la demande est ouverte alors même que les éléments invoqués auraient pu être produits lors de la première instance.
B. L’extinction de l’objet du litige par l’intervention d’une nouvelle décision
L’exercice d’un recours gracieux ou la présentation de nouveaux éléments modifie le cadre juridique dans lequel s’exerce le contrôle du juge de cassation. Le juge note que l’intervention d’une seconde ordonnance « rend, eu égard à la nature de la procédure de référé, sans objet les conclusions dirigées contre la première ». La décision postérieure se substitue en pratique à la précédente, privant ainsi d’intérêt juridique le maintien du premier pourvoi en cassation. Cette règle de procédure évite la multiplication inutile des débats juridiques sur des mesures qui ont déjà été remplacées par une nouvelle appréciation. Le Conseil d’État constate donc qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’annulation de l’ordonnance rendue le 13 mars 2025. La stratégie contentieuse de la société requérante se déplace alors nécessairement vers l’examen de la seconde ordonnance rendue par le tribunal administratif.
II. Le rétablissement du contrôle effectif de la légalité et de l’urgence
A. La sanction de la dénaturation des faits par le juge du premier ressort
Le juge des référés peut rejeter une demande sans audience lorsqu’elle lui semble manifestement infondée en application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative. La juge du tribunal administratif de Paris avait estimé que les moyens soulevés n’étaient pas assortis d’éléments nouveaux et identifiés comme tels. Le Conseil d’État censure ce raisonnement en considérant que la juge a « entaché son ordonnance de dénaturation des pièces du dossier » soumis à son examen. La haute juridiction relève que la société avait effectivement présenté des justifications inédites qui imposaient une analyse approfondie de la part du magistrat. Cette erreur d’appréciation factuelle entraîne l’annulation de l’ordonnance du 18 avril 2025 et permet au Conseil d’État de régler l’affaire au titre du référé. Le juge de cassation exerce ici un contrôle strict sur la procédure simplifiée afin de prévenir tout arbitraire dans l’éviction des requêtes.
B. La suspension de la sanction pour doute sérieux sur sa légalité
L’urgence est caractérisée lorsque l’exécution de l’acte porte atteinte de manière grave et immédiate à la situation financière ou à la pérennité du requérant. L’interdiction d’exercer pendant dix-huit mois préjudicie de manière « irrémédiable à la pérennité » de l’entreprise qui emploie près de cinq mille salariés. Sur le fond, la société conteste la proportionnalité de la sanction disciplinaire infligée par la commission de discipline du Conseil national des activités privées de sécurité. Le juge estime que le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction est de nature « à susciter un doute sérieux sur la légalité de la décision ». Les manquements reprochés, relatifs à la vigilance sociale et aux tarifs de sous-traitance, ne semblaient pas justifier une mesure d’une telle sévérité. La suspension de l’exécution de la décision du 30 janvier 2025 est donc ordonnée pour protéger l’activité économique de la structure.