6ème chambre du Conseil d’État, le 24 juillet 2025, n°492934

Par une décision en date du 24 juillet 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur l’étendue de sa compétence en premier et dernier ressort concernant le contentieux de la fonction publique. En l’espèce, une magistrate avait été admise à faire valoir ses droits à la retraite par un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 18 janvier 2024, avec une date d’effet rétroactive au 7 septembre 2021. S’estimant lésée par cette décision individuelle, l’intéressée a saisi directement le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir tendant à son annulation. La haute juridiction administrative était ainsi conduite à s’interroger sur le point de savoir si un litige relatif à l’admission à la retraite d’un agent public, même relevant de l’ordre judiciaire, entrait dans le champ de sa compétence d’attribution ou relevait du juge administratif de droit commun. À cette question, le Conseil d’État répond par la négative, en affirmant que « Ni les dispositions (…) des 1° et 3° de l’article R. 311-1 du code de justice administrative, ni aucune autre disposition ne donnent compétence au Conseil d’État pour connaître en premier ressort » d’un tel recours. Par conséquent, il a attribué le jugement de l’affaire au tribunal administratif dans le ressort duquel se trouvait le lieu d’affectation de l’agent.

Cette décision, en appliquant de manière orthodoxe les règles de répartition des compétences contentieuses (I), vient réaffirmer la plénitude de juridiction du tribunal administratif en matière de contentieux de la fonction publique (II).

I. L’application orthodoxe des règles de répartition des compétences

Le Conseil d’État, pour décliner sa compétence, a procédé à une interprétation stricte des dispositions dérogatoires qui fondent sa saisine en premier et dernier ressort (A), ce qui l’a conduit à exclure l’acte de mise à la retraite du champ de cette compétence d’exception (B).

A. Le rappel du caractère dérogatoire de la compétence du Conseil d’État

La juridiction administrative suprême commence son raisonnement en rappelant la portée de l’article R. 311-1 du code de justice administrative, qui liste de manière limitative les cas où elle est compétente en premier et dernier ressort. En dehors de ces hypothèses spécifiquement énumérées, la compétence pour juger des litiges administratifs appartient, en première instance, au tribunal administratif. Cette solution repose sur une interprétation stricte des textes régissant la compétence de la haute juridiction administrative. Le principe est que la compétence d’attribution du Conseil d’État ne se présume pas et doit résulter d’un texte exprès. En l’espèce, le juge a examiné si la requête pouvait se rattacher aux cas prévus par les 1° et 3° de l’article précité, qui concernent respectivement les recours contre les décrets et les litiges liés au recrutement et à la discipline des agents publics nommés par décret du Président de la République. Cette démarche méthodique confirme que toute extension de sa compétence au-delà du texte serait une atteinte au principe du tribunal administratif juge de droit commun du contentieux administratif.

B. L’exclusion de l’acte de mise à la retraite du champ des compétences d’attribution

Après avoir posé le principe de l’interprétation restrictive, le Conseil d’État l’applique à l’espèce. Il juge que l’arrêté ministériel portant admission à la retraite d’une magistrate ne constitue ni une mesure de recrutement, ni une mesure disciplinaire. La mise à la retraite est un acte de gestion de la carrière d’un agent public qui marque la fin de ses services actifs, mais elle ne relève pas de la discipline, qui vise à sanctionner un manquement aux obligations professionnelles. De même, elle ne saurait être assimilée à un acte de recrutement. La décision commentée illustre donc le principe selon lequel la compétence d’attribution du Conseil d’État ne se présume pas. Le juge administratif souligne qu’« aucune autre disposition » ne vient fonder sa compétence, fermant ainsi la porte à une interprétation extensive ou analogique des textes. En conséquence, l’acte litigieux, bien que concernant un membre du corps judiciaire, reste un acte de gestion administrative individuelle relevant du contentieux de droit commun de la fonction publique.

II. La réaffirmation de la plénitude de juridiction du tribunal administratif

Cette décision de répartition des compétences, loin d’être purement technique, emporte des conséquences significatives en ce qu’elle consacre la position du tribunal administratif comme juge naturel du contentieux des agents publics (A) et offre une clarification bienvenue quant à la portée des règles de compétence (B).

A. La consécration du tribunal administratif comme juge de droit commun

En renvoyant l’affaire devant le tribunal administratif de Nîmes, le Conseil d’État conforte l’organisation juridictionnelle française qui place le tribunal administratif au premier plan. Cette juridiction est non seulement plus accessible pour le justiciable, mais sa saisine garantit également le respect du principe du double degré de juridiction. Si le Conseil d’État avait retenu sa compétence, la requérante aurait été privée d’une voie d’appel, la décision étant alors rendue en premier et dernier ressort. La solution retenue est donc protectrice des droits des justiciables et conforme à une bonne administration de la justice. Elle assure que l’examen de la légalité d’un acte administratif individuel, même pris par une autorité ministérielle, soit d’abord confié à un juge de première instance, qui dispose d’une connaissance approfondie du contexte local et des contentieux de masse, tels que ceux relatifs à la fonction publique.

B. La portée d’une solution classique : une clarification bienvenue

La décision rendue le 24 juillet 2025 ne constitue pas un revirement de jurisprudence, mais plutôt une décision d’espèce qui applique une solution bien établie. Sa portée réside principalement dans sa valeur pédagogique et clarificatrice. Elle rappelle aux praticiens et aux justiciables que la nature de l’acte et non le statut de l’agent est déterminante pour identifier le juge compétent. En distinguant nettement les actes de gestion de carrière, comme la mise à la retraite, des actes de recrutement ou de discipline, elle contribue à la sécurité juridique. Cette jurisprudence prévient les erreurs d’aiguillage procédural qui pourraient retarder le jugement au fond et nuire aux intérêts des requérants. Ainsi, bien que sa portée doctrinale soit limitée, la décision assure une application cohérente et prévisible du droit, réaffirmant les fondements logiques de la répartition des compétences au sein de l’ordre administratif.

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Hassan KOHEN
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