Par un arrêt en date du 25 février 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité de la décision d’un jury d’examen déclarant un auditeur de justice inapte à l’exercice des fonctions judiciaires. En l’espèce, un élève de l’École nationale de la magistrature, à l’issue de sa formation, a fait l’objet d’une décision d’inaptitude prononcée par le jury de classement. En conséquence de cette décision, le garde des sceaux, ministre de la justice, a pris un arrêté mettant fin à ses fonctions d’auditeur de justice. L’intéressé a alors saisi la Haute Juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces deux décisions. Il soutenait que la décision du jury était intervenue au terme d’une procédure irrégulière, qu’elle était entachée d’un défaut de motivation et, enfin, qu’elle reposait sur une erreur manifeste d’appréciation de son aptitude. Il s’agissait donc pour le Conseil d’État de déterminer les limites du contrôle qu’il exerce sur l’évaluation de l’aptitude des auditeurs de justice, tant au regard des garanties procédurales que de l’appréciation portée par le jury. Le Conseil d’État a rejeté la requête, estimant que la procédure avait été régulière et que le jury n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en écartant l’auditeur. Cette décision vient ainsi préciser l’office du juge administratif face à l’appréciation souveraine d’un jury, en validant une application stricte du cadre procédural (I) et en confirmant la portée restreinte de son contrôle sur le fond de l’évaluation (II).
I. La confirmation du cadre procédural de l’évaluation de l’aptitude
Le Conseil d’État valide la procédure suivie par le jury en écartant les moyens tirés de la violation du principe du contradictoire et de l’absence de motivation. Il réaffirme ainsi une interprétation stricte des obligations procédurales qui s’imposent au jury.
A. Le rejet d’une conception extensive du principe du contradictoire
Le requérant estimait que le principe du contradictoire avait été méconnu, faute d’avoir pu débattre des appréciations portées sur lui avec ses maîtres de stage. Le Conseil d’État écarte ce moyen en vérifiant que l’ensemble des formalités prévues par les textes réglementaires ont bien été accomplies. Il relève ainsi que l’auditeur a reçu communication des rapports et avis pertinents, qu’il a pu présenter des observations écrites et qu’il a été entendu par le jury. Pour le juge, le respect du principe du contradictoire s’apprécie au regard des seules garanties organisées par les dispositions applicables. En précisant qu’une confrontation directe avec les évaluateurs « n’était pas prévue par les dispositions applicables », la Haute Juridiction refuse d’ajouter une exigence non formalisée par les textes. Cette approche positiviste consacre la spécificité de la procédure d’évaluation, qui n’est pas assimilée à une procédure disciplinaire où les droits de la défense sont plus étendus. La régularité est ainsi assurée dès lors que l’auditeur a été mis en mesure de prendre connaissance de son dossier et de faire valoir son point de vue devant l’instance décisionnaire.
B. L’absence consacrée d’obligation de motivation formelle
Le Conseil d’État se prononce ensuite sur l’obligation de motiver la décision d’inaptitude. Il juge qu’une telle obligation ne découle ni des textes spécifiques régissant la magistrature, ni du droit commun des relations entre l’administration et le public. La décision énonce clairement que la décision du jury « n’est pas non plus au nombre de celles dont l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration impose la motivation ». Cette solution confirme le statut particulier des décisions de jury, qui sont traditionnellement considérées comme l’expression d’une appréciation souveraine qui n’a pas à être explicitée dans ses détails. En dispensant le jury de cette obligation, le juge administratif préserve la confidentialité de ses délibérations et son autonomie d’évaluation. La légalité de la décision ne dépend donc pas de l’existence de motifs formels, mais du respect des règles de procédure et de l’absence d’illégalité interne.
Après avoir ainsi validé la régularité externe de la décision, le juge administratif s’est attaché à contrôler la légalité interne de l’appréciation portée par le jury.
II. La portée limitée du contrôle sur l’appréciation souveraine du jury
Sur le fond, le Conseil d’État exerce un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation. Cette retenue conduit à confirmer la décision du jury, illustrant la déférence du juge à l’égard des évaluations techniques et humaines complexes.
A. Le rappel de la consistance du contrôle de l’erreur manifeste
Le requérant soutenait que ses évaluations, malgré des difficultés, justifiaient un redoublement plutôt qu’une inaptitude. Face à cet argument, le Conseil d’État ne substitue pas sa propre appréciation à celle du jury, mais recherche si la décision de ce dernier est manifestement erronée. Pour ce faire, il se fonde sur les « pièces du dossier » et constate que l’auditeur « présentait à la fin de sa scolarité d’importantes lacunes affectant les différentes aptitudes attendues d’un magistrat ». Il relève également une « progression insuffisante » qu’une année supplémentaire de formation ne semblait pas pouvoir corriger. En jugeant que le jury n’a pas commis d’erreur manifeste, le Conseil d’État ne dit pas que la décision d’inaptitude était la seule possible, mais simplement qu’elle n’était pas incohérente ou disproportionnée au regard des éléments dont le jury disposait. Ce contrôle restreint est classique en matière d’appréciation de la valeur professionnelle ou des aptitudes d’un agent, où l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation.
B. Une décision d’espèce révélatrice de la déférence du juge
En définitive, cet arrêt s’analyse comme une décision d’espèce, qui ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais une application rigoureuse de principes bien établis. Sa portée réside principalement dans l’illustration de la déférence du juge administratif envers les jurys chargés d’évaluer l’aptitude à des fonctions aussi sensibles que celles de magistrat. En refusant d’étendre les garanties procédurales au-delà des textes et en n’annulant l’appréciation du jury qu’en cas d’erreur flagrante, le Conseil d’État réaffirme le caractère souverain de l’évaluation. La solution adoptée renforce l’autonomie de l’École nationale de la magistrature dans sa mission de sélection. Elle signifie qu’une décision d’inaptitude, bien que lourde de conséquences pour l’individu, est difficilement contestable sur le fond dès lors que la procédure a été scrupuleusement respectée et que l’appréciation du jury s’appuie sur des éléments de dossier concordants, même si ceux-ci ne sont pas unanimement négatifs.