Par une décision du 27 juin 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les modalités de contestation de la désignation des délégués d’une commune au sein d’un syndicat intercommunal. En l’espèce, un conseil municipal avait procédé le 6 novembre 2024 à la désignation de ses représentants au sein d’un syndicat intercommunal à vocation scolaire. Un requérant a saisi le tribunal administratif de Rouen d’une demande d’annulation de ces opérations électorales. Par une ordonnance du 4 décembre 2024, la présidente de la formation de jugement a rejeté la protestation pour tardiveté. Le requérant a alors formé un appel contre cette ordonnance devant le Conseil d’État, soutenant d’une part qu’une réclamation avait été consignée au procès-verbal de la séance, et d’autre part que la réponse tardive du maire à l’une de ses questions aurait dû proroger le délai de recours. Il s’agissait donc pour la haute juridiction de déterminer si le délai de recours spécial du contentieux électoral pouvait être écarté ou aménagé au regard des circonstances invoquées par le protestataire. Le Conseil d’État rejette la requête, confirmant que la désignation constitue une opération électorale soumise au bref délai de l’article R. 119 du code électoral, et que les faits avancés par le requérant ne sauraient ni interrompre ni prolonger ce délai impératif.
Il convient d’analyser la qualification retenue par le juge administratif et l’application rigoureuse du délai de recours qui en découle (I), avant d’examiner la portée de ce contrôle formel et le rejet des moyens soulevés par le requérant (II).
I. La soumission de la désignation des délégués au régime strict du contentieux électoral
Le Conseil d’État rappelle d’abord que le choix des délégués d’une commune au sein d’une structure intercommunale constitue bien une opération électorale (A), ce qui entraîne l’application d’un délai de recours dérogatoire et particulièrement bref (B).
A. La qualification d’opération électorale, clé de la procédure applicable
La décision commentée énonce sans ambiguïté que « les désignations, par l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale, des délégués de cette collectivité au sein d’un syndicat de communes, constituent des opérations électorales ». Cette qualification n’est pas nouvelle mais elle demeure fondamentale car elle conditionne l’ensemble du régime contentieux applicable au litige. En effet, en rattachant cette désignation à la catégorie des opérations électorales, le juge administratif l’exclut du champ du contentieux de droit commun des actes administratifs. Cette solution assure une cohérence dans le traitement des différents modes de désignation des élus locaux et de leurs représentants, qu’il s’agisse d’un suffrage direct ou, comme en l’espèce, d’une élection au second degré par une assemblée délibérante. Le statut d’électeur et la nature du mandat conféré priment ainsi sur la forme de l’acte de désignation, qui aurait pu être analysé comme une simple délibération. Par cette approche, le Conseil d’État confirme que la contestation de la régularité de la désignation des délégués intercommunaux relève bien du juge de l’élection et des règles de procédure qui lui sont propres.
B. L’application impérative du délai de cinq jours de l’article R. 119 du code électoral
La conséquence directe de cette qualification est la soumission du litige aux dispositions des articles R. 119 à R. 123 du code électoral. La décision rappelle que le délai de recours contentieux expire « au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l’élection ». Ce délai, particulièrement bref, se substitue au délai de droit commun de deux mois applicable à la plupart des recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’État en fait une application stricte en l’espèce, constatant que la désignation a eu lieu le 6 novembre 2024 et que la protestation n’a été enregistrée au greffe du tribunal administratif que le 15 novembre 2024. Le juge en conclut logiquement que la requête « était tardive et, par suite, manifestement irrecevable ». L’objectif de ce délai resserré est d’assurer la sécurité juridique et la stabilité des assemblées nouvellement constituées, en purgeant rapidement tout litige électoral. Le caractère d’ordre public de ce délai explique la rigueur avec laquelle le juge l’applique, sans qu’il soit nécessaire pour lui d’examiner au fond les irrégularités alléguées.
Cette application rigoureuse du délai conduit le juge à écarter avec fermeté les arguments du requérant visant à justifier la tardiveté de son recours, affirmant ainsi le caractère intangible des règles procédurales en matière électorale.
II. L’hermétisme du délai de recours face aux justifications du requérant
Le Conseil d’État examine et rejette successivement les deux arguments soulevés pour contourner la forclusion, en se fondant d’abord sur l’absence de preuve d’une réclamation régulière (A), puis en écartant l’influence de circonstances extérieures au processus électoral (B).
A. Le rejet des allégations factuelles non étayées
Le requérant soutenait avoir formulé une réclamation durant la séance du conseil municipal, laquelle aurait dû être consignée au procès-verbal. Une telle consignation aurait eu pour effet de le dispenser du respect du délai de cinq jours pour saisir le tribunal. Le Conseil d’État oppose une fin de non-recevoir à cet argument en se fondant sur une analyse purement matérielle des pièces du dossier. Il relève que « la copie du procès-verbal qu’il produit à l’appui de ces allégations ne comporte aucune mention d’une telle réclamation ». Cette approche illustre le principe selon lequel la charge de la preuve incombe au demandeur. En l’absence de toute trace écrite sur le document officiel censé en attester, l’allégation du requérant est considérée comme non établie. La décision confirme ainsi la primauté de l’écrit et la force probante du procès-verbal des séances des assemblées délibérantes, qui constitue le seul support recevable pour prouver la formulation d’une réclamation en séance.
B. L’inefficacité des circonstances extérieures au déroulement du scrutin
Le second argument du requérant reposait sur une prétendue faute de l’administration, à savoir la réponse tardive du maire à une question de droit électoral, qui aurait empêché le protestataire d’agir en temps utile. Le Conseil d’État écarte ce moyen avec une particulière netteté, affirmant qu’une telle circonstance « ne pouvait en tout état de cause avoir pour effet de modifier les règles de délai applicables à la contestation des opérations électorales ». Cette formule, par son caractère général, confère à la décision une portée significative. Elle signifie que le délai de recours électoral est intangible et non susceptible d’être prorogé, même en cas de diligences de l’électeur auprès de l’administration ou de réponse tardive de cette dernière. Le juge refuse ainsi de créer une cause de suspension ou d’interruption du délai non prévue par les textes. Cette solution, sévère pour le requérant, est justifiée par la nécessité de garantir la conclusion rapide et définitive des processus électoraux, un impératif supérieur à la situation individuelle du protestataire, qui se doit de connaître et de respecter les délais stricts qui régissent ce contentieux.