6ème chambre du Conseil d’État, le 31 décembre 2024, n°492793

Par un arrêt du 31 décembre 2024, le Conseil d’État a statué sur la légalité d’un décret modifiant la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités soumis à la police de l’eau. Des associations requérantes ont engagé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’un décret en date du 29 septembre 2023. Ce texte réglementaire a institué une nouvelle rubrique soumettant à un régime de simple déclaration divers travaux destinés à la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, tels que l’arasement d’ouvrages ou le déplacement du lit mineur d’un cours d’eau.

Les associations soutenaient que ces opérations, en raison des dangers potentiels qu’elles présentaient pour la sécurité publique et la ressource en eau, auraient dû relever d’un régime d’autorisation administrative, lequel est plus contraignant et inclut une évaluation environnementale. Elles arguaient d’une violation de plusieurs dispositions législatives du code de l’environnement, d’une atteinte au principe de non-régression en matière environnementale, ainsi que d’une méconnaissance du droit à la participation du public garanti par des textes nationaux et internationaux. Le litige posait ainsi au juge administratif la question de savoir si le pouvoir réglementaire pouvait légalement alléger le régime procédural applicable à des travaux de restauration écologique, sans méconnaître les exigences supérieures de protection de l’environnement et de sécurité.

À cette question, le Conseil d’État a répondu par la négative en rejetant les requêtes. La haute juridiction a considéré que le gouvernement avait pu, sans commettre d’erreur de droit ni d’appréciation, soumettre les travaux en cause à un régime de déclaration. Elle a fondé son raisonnement sur la double circonstance que ces projets poursuivent une finalité bénéfique pour les écosystèmes et que le décret exclut de son champ d’application les ouvrages dont la modification présenterait des dangers avérés.

I. La validation d’un régime de déclaration pour la restauration des milieux aquatiques

Le Conseil d’État justifie la légalité du régime de déclaration en s’appuyant tant sur l’objectif poursuivi par les travaux que sur les garanties prévues par le texte réglementaire lui-même. Cette approche permet de concilier simplification administrative et protection environnementale.

**A. Une simplification procédurale justifiée par la finalité écologique des travaux**

Le juge administratif retient en premier lieu la nature spécifique des opérations visées par le décret attaqué. Il relève que la nouvelle rubrique de la nomenclature a pour but de « simplifier la procédure pour les projets favorables à la protection de ces milieux, au renouvellement de la biodiversité et au rétablissement de la continuité écologique ». Cette prise en compte de l’intention du pouvoir réglementaire et de l’effet attendu des travaux est déterminante. En créant un régime allégé, le gouvernement a entendu encourager des actions considérées comme vertueuses pour l’environnement, en levant les lourdeurs d’une procédure d’autorisation qui pouvait s’avérer dissuasive.

Le raisonnement du Conseil d’État entérine ainsi une différenciation des régimes de police de l’eau non seulement en fonction des risques, mais aussi en fonction du bénéfice escompté pour les écosystèmes. Il admet qu’une opération qui, par nature, vise à restaurer un milieu ne présente pas le même type d’enjeux qu’un projet d’aménagement classique. Cette analyse pragmatique confère une pleine légitimité à la volonté de l’administration de favoriser activement la renaturation des cours d’eau, en cohérence avec les objectifs plus généraux de la politique de l’eau.

**B. Une légalité conditionnée par l’exclusion des ouvrages présentant un risque avéré**

La validation de cette simplification n’est cependant pas sans conditions. Le Conseil d’État prend soin de souligner en second lieu que « le pouvoir réglementaire a exclu du champ de cette rubrique les travaux portant sur des ouvrages dont la modification ou la suppression pourrait être susceptible de présenter des dangers pour la sécurité publique ou d’accroître le risque d’inondation, tels que les barrages ou les digues ». Cette exclusion constitue une garantie essentielle qui fonde la légalité du dispositif. Le juge vérifie que la simplification procédurale ne s’est pas faite au détriment des intérêts fondamentaux que la police de l’eau a pour mission de protéger.

En opérant cette distinction au sein même de la nouvelle rubrique, le décret a lui-même appliqué le critère de dangerosité posé par l’article L. 214-3 du code de l’environnement, qui réserve le régime de l’autorisation aux projets présentant les risques les plus élevés. Le Conseil d’État constate donc que le pouvoir réglementaire n’a pas procédé à une requalification arbitraire, mais a exercé son pouvoir d’appréciation dans le respect de la hiérarchie des normes et des impératifs de sécurité. C’est parce que le champ de la déclaration est précisément délimité aux opérations les moins risquées que le décret échappe à la censure.

II. La portée de la consécration d’une modulation procédurale

Au-delà du cas d’espèce, la décision du Conseil d’État éclaire la marge de manœuvre dont dispose le gouvernement pour moduler les procédures environnementales. Elle confirme son rôle dans la définition des seuils, tout en rappelant que cette nouvelle nomenclature ne saurait déroger aux législations protectrices transversales.

**A. La reconnaissance d’une marge d’appréciation du pouvoir réglementaire**

Cette décision réaffirme la compétence du pouvoir réglementaire pour définir, par décret en Conseil d’État, la nomenclature des opérations sur l’eau et les régimes qui leur sont applicables. Le juge exerce un contrôle sur cette classification, mais il se garde de substituer sa propre appréciation à celle de l’administration, dès lors que celle-ci n’est pas entachée d’une erreur manifeste. En l’espèce, le choix de soumettre à déclaration des travaux de restauration écologique a été jugé pertinent, ce qui a conduit le Conseil d’État à écarter par voie de conséquence l’ensemble des autres moyens soulevés par les requérantes.

Ainsi, les griefs tirés de la violation du droit à la participation du public ou du principe de non-régression sont rejetés, car ils découlaient de la prémisse erronée selon laquelle les travaux auraient dû être soumis à autorisation. De même, le moyen tiré de la rupture d’égalité est écarté, le juge considérant que la différence de traitement entre les travaux de restauration et d’autres types de projets repose sur des critères objectifs et rationnels. La décision illustre ainsi la latitude dont jouit le gouvernement pour mettre en balance les différents intérêts en présence et pour adapter les procédures en fonction des objectifs de sa politique.

**B. Le maintien de l’application des législations connexes**

Enfin, la portée de cette simplification administrative doit être correctement mesurée. Le Conseil d’État précise que la création de cette nouvelle rubrique ne saurait être interprétée comme une dérogation générale aux autres polices administratives. Il énonce de manière explicite que les dispositions attaquées « n’ont ni pour objet ni pour effet de méconnaître » d’autres corps de règles, citant notamment l’interdiction de destruction de certains ouvrages de retenue ou les dispositions protectrices du code du patrimoine et du code de l’urbanisme.

Cette précision est fondamentale. Elle signifie que le régime de déclaration institué par le décret du 29 septembre 2023 ne constitue pas un blanc-seing pour la réalisation de travaux de restauration. Ces derniers demeurent soumis à l’ensemble des autres législations qui leur sont applicables. Par exemple, l’arasement d’un seuil de moulin inscrit au titre des monuments historiques resterait subordonné au respect des règles spécifiques de protection du patrimoine. La décision confirme ainsi que la simplification opérée dans le cadre de la police de l’eau ne vient pas neutraliser les autres instruments de protection de l’environnement ou du patrimoine culturel, qui conservent leur pleine force et leur autonomie.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture