6ème chambre du Conseil d’État, le 4 août 2025, n°502659

Par une décision en date du 4 août 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions d’accès au concours professionnel de la magistrature. En l’espèce, une candidate avait sollicité l’autorisation de participer aux épreuves de ce concours, institué par la loi organique du 20 novembre 2023. Elle se prévalait d’une expérience professionnelle variée, incluant des fonctions d’assistante de justice, d’analyste en recouvrement au sein de services contentieux, de gérante d’entreprise et de mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Le garde des Sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande par une décision du 3 mars 2025, au motif que son parcours ne remplissait pas la condition d’un exercice professionnel la « qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires », telle que prévue par l’ordonnance statutaire. La candidate a alors formé un recours pour excès de pouvoir devant la haute juridiction administrative, contestant l’appréciation portée sur son expérience et demandant l’annulation de ce refus. Il revenait donc au Conseil d’État de déterminer l’étendue du contrôle qu’il exerce sur l’appréciation par l’administration du caractère particulièrement qualifiant de l’expérience professionnelle des candidats à l’entrée dans le corps judiciaire. Par la décision commentée, le Conseil d’État rejette la requête, estimant que le ministre de la justice a pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que les fonctions exercées par l’intéressée ne la qualifiaient pas particulièrement pour l’exercice des fonctions judiciaires.

La décision précise ainsi le cadre du contrôle juridictionnel sur l’accès au concours professionnel de la magistrature (I), tout en livrant une interprétation exigeante de la notion d’expérience qualifiante (II).

***

I. La délimitation du contrôle juridictionnel sur l’accès au concours

Le Conseil d’État établit un équilibre entre la reconnaissance d’une marge d’appréciation pour l’administration et l’exercice d’un contrôle de la qualification juridique des faits. Il admet en ce sens le large pouvoir d’appréciation du garde des Sceaux (A) tout en le soumettant à un contrôle de l’erreur d’appréciation (B).

A. La reconnaissance d’un large pouvoir d’appréciation du garde des Sceaux

La haute juridiction reconnaît que l’administration « dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer si l’expérience professionnelle d’un candidat le qualifie particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires ». Cette position est classique s’agissant des décisions administratives qui reposent sur l’évaluation des mérites ou des aptitudes d’une personne, notamment en matière d’accès à la fonction publique. Le caractère indéterminé de la notion d’expérience « particulièrement qualifiante » invite en effet à laisser une latitude importante à l’autorité chargée de la sélection, qui est la mieux à même de définir les profils recherchés.

Cette latitude se justifie également par la finalité de la procédure. Le concours professionnel vise à diversifier les profils au sein de la magistrature en y intégrant des professionnels expérimentés. L’appréciation ne peut donc se limiter à une simple vérification de conditions objectives, comme la durée de l’expérience ou la nature du diplôme. Elle implique un jugement qualitatif sur la pertinence du parcours du candidat au regard des exigences complexes de la fonction de magistrat. Reconnaître ce large pouvoir d’appréciation, c’est admettre que la sélection ne relève pas d’une science exacte, mais d’une évaluation contextuelle et prospective.

B. Un pouvoir encadré par le contrôle de l’erreur d’appréciation

Toutefois, ce large pouvoir d’appréciation n’est pas discrétionnaire. Le Conseil d’État se réserve le droit d’exercer son contrôle sur la décision ministérielle, en précisant qu’il lui « appartient (…) d’apprécier si le garde des sceaux, ministre de la justice a pu légalement refuser l’admission à concourir ». Il effectue ainsi un contrôle de la qualification juridique des faits, en examinant si l’expérience professionnelle du candidat pouvait, sans erreur d’appréciation, être jugée comme n’étant pas particulièrement qualifiante.

Pour guider ce contrôle, la décision énonce un critère directeur. L’appréciation doit porter non seulement sur la « qualification juridique des intéressés », mais aussi et surtout sur leur « aptitude à juger ». Le Conseil d’État lie cette exigence à des objectifs constitutionnels tels que « la qualité des décisions rendues, l’égalité devant la justice et le bon fonctionnement du service public de la justice ». En introduisant cette finalité dans son raisonnement, il donne une substance au contrôle et impose à l’administration de ne pas se fonder sur des motifs arbitraires ou étrangers à la bonne administration de la justice.

II. L’application d’une conception exigeante de l’expérience qualifiante

Au-delà du principe de son contrôle, le Conseil d’État en précise la mise en œuvre concrète à travers une analyse détaillée de l’expérience de la requérante. Il développe une approche qualitative des fonctions exercées (A), dont la portée se révèle être un avertissement pour les futurs candidats (B).

A. Une analyse qualitative et hiérarchique des fonctions exercées

Le Conseil d’État ne se contente pas d’énumérer les postes occupés par la candidate, il en analyse la substance. Il écarte ainsi les fonctions exercées au sein d’une étude de commissaires de justice et des services contentieux d’établissements bancaires, en se fondant sur « la teneur et au positionnement hiérarchique » de ces postes. Ce faisant, il signifie que la nature juridique d’une activité ne suffit pas à la rendre « particulièrement qualifiante ». Le niveau de responsabilité, d’autonomie et la complexité des tâches accomplies sont des éléments déterminants de l’appréciation.

De même, concernant l’activité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, le juge constate qu’il ne « ressort pas des pièces du dossier que l’intéressée puisse (…) se prévaloir de missions spécifiques de nature à caractériser ainsi cet exercice ». Cette formule suggère qu’un même intitulé de poste peut recouvrir des réalités très différentes. Il appartient donc au candidat de démontrer en quoi ses missions, concrètement, l’ont préparé à l’exercice des fonctions judiciaires. L’appréciation se fait donc *in concreto*, en fonction des éléments produits dans le dossier de candidature.

B. La portée de la décision : un signal pour les futures candidatures

En validant le refus opposé à une candidate au parcours pourtant riche et entièrement tourné vers le droit, la haute juridiction envoie un signal clair sur le niveau d’exigence attendu. Cette décision, bien que rendue en application des faits de l’espèce, acquiert une portée normative pour l’interprétation de la loi organique de 2023. Elle tempère l’idée d’une ouverture large et indifférenciée du corps judiciaire. L’objectif de diversification des profils ne saurait se traduire par un abaissement du niveau de recrutement.

L’arrêt souligne que l’aptitude à juger, qui constitue le cœur de la fonction de magistrat, doit pouvoir se déduire de manière évidente de l’expérience professionnelle antérieure. Les candidats à cette voie d’accès latérale sont donc implicitement invités à présenter des parcours démontrant non seulement une expertise technique, mais aussi des qualités de discernement, d’analyse et de prise de décision à un haut niveau de responsabilité. La décision commentée constitue ainsi une première pierre dans l’édifice jurisprudentiel précisant les contours de cette nouvelle voie d’accès à la magistrature.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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