Par un arrêt rendu le 4 août 2025, le Conseil d’État a précisé les conditions d’appréciation de l’expérience professionnelle requise pour l’accès au corps judiciaire par la voie du nouveau concours professionnel. En l’espèce, une conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation, en poste depuis 2010, s’est vu refuser par le garde des sceaux l’autorisation de se présenter aux épreuves de ce concours pour la session 2025. L’administration a motivé son refus par le fait que la candidate ne justifiait pas de sept années d’un exercice professionnel la qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires, comme l’exige l’article 23 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée. La requérante a alors saisi la juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de cette décision. Le litige, initialement porté devant le tribunal administratif de Rouen, a été transmis au Conseil d’État. La candidate soutenait que son expérience professionnelle remplissait les conditions légales, tandis que le ministre de la justice affirmait le contraire, se fondant sur une appréciation de la nature des fonctions exercées par l’intéressée au cours de sa carrière. Il s’agissait donc pour la haute juridiction administrative de déterminer si l’administration peut légalement écarter une candidature à ce concours en ne retenant qu’une partie de l’expérience professionnelle acquise au motif d’une évolution statutaire du corps d’origine du candidat. Le Conseil d’État a répondu par l’affirmative et rejeté la requête, jugeant que le ministre n’avait pas commis d’erreur d’appréciation. Il a estimé que seule la période d’activité postérieure à la revalorisation statutaire du corps de la requérante pouvait être considérée comme la qualifiant particulièrement aux fonctions judiciaires, cette période étant en l’espèce insuffisante pour atteindre le seuil de sept années.
La solution retenue par le Conseil d’État vient ainsi encadrer le pouvoir d’appréciation de l’administration s’agissant des conditions d’accès au concours professionnel de la magistrature (I), tout en établissant une méthode d’évaluation objective de l’expérience des candidats fondée sur leur statut (II).
I. L’encadrement du pouvoir d’appréciation de l’administration
Le Conseil d’État rappelle d’abord la marge d’appréciation dont dispose l’administration pour évaluer la pertinence d’une expérience professionnelle (A), avant de la soumettre à un contrôle juridictionnel rigoureux garantissant le respect des objectifs de la réforme (B).
A. La reconnaissance d’un pouvoir d’appréciation pour l’évaluation de l’expérience
La décision commentée confirme que l’accès à la magistrature par cette nouvelle voie n’est pas subordonné à la seule vérification de conditions objectives. Le législateur a introduit une condition subjective tenant à ce que l’expérience professionnelle des candidats les qualifie « particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires ». Le Conseil d’État en déduit logiquement que l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation pour déterminer si l’expérience d’un candidat répond à cette exigence qualitative. Cette analyse est conforme à la nature même de la condition posée, qui implique une évaluation au cas par cas du parcours de chaque postulant, de la nature de ses missions et du niveau de responsabilité exercé. Le juge administratif reconnaît ainsi que l’administration est la mieux à même de porter un jugement sur l’adéquation d’un profil professionnel avec les attentes du corps judiciaire.
B. Un contrôle de l’erreur d’appréciation au service des objectifs de la loi
Toutefois, ce pouvoir d’appréciation n’est pas discrétionnaire et s’exerce sous le contrôle du juge. Le Conseil d’État précise que sa censure a pour finalité de « garantir la qualité des décisions rendues, l’égalité devant la justice et le bon fonctionnement du service public de la justice ». En exerçant un contrôle de l’erreur d’appréciation, il s’assure que le refus d’admission à concourir n’est pas fondé sur une analyse erronée des faits ou une interprétation illégale des textes. La haute juridiction vérifie ainsi que la décision du garde des sceaux est cohérente avec l’objectif de la loi organique du 20 novembre 2023, qui vise à diversifier les profils des magistrats tout en maintenant un haut niveau de compétence. Cette approche permet de concilier la souplesse nécessaire à l’évaluation des parcours professionnels et la rigueur indispensable à la sélection de futurs juges.
Après avoir ainsi défini le cadre de son contrôle, le Conseil d’État propose une méthode d’analyse concrète pour objectiver l’appréciation de la condition d’expérience particulièrement qualifiante.
II. L’objectivation de l’expérience qualifiante par le prisme du statut
Pour procéder à cette évaluation, le juge administratif établit une corrélation entre la qualification de l’expérience et le statut du corps d’appartenance du candidat (A), ce qui le conduit à valider une scission temporelle de l’expérience professionnelle de la requérante (B).
A. La revalorisation statutaire comme critère de qualification professionnelle
Le point central du raisonnement de l’arrêt réside dans la distinction opérée en fonction de l’évolution statutaire du corps des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Le Conseil d’État considère que l’expérience acquise dans ce corps « peut être retenue comme particulièrement qualifiante » uniquement pour la période postérieure au 1er février 2019, date de son reclassement en catégorie A de la fonction publique. Ce faisant, il établit une présomption selon laquelle le passage à la catégorie supérieure, qui s’accompagne en principe d’un niveau de responsabilité et d’expertise accru, confère à l’expérience professionnelle la qualité requise par la loi. Inversement, il estime qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier, pour la période antérieure, que la nature des missions confiées à l’intéressée en cette qualité permette de les caractériser ainsi ». Cette méthode d’analyse, qui s’appuie sur un critère objectif et facilement vérifiable, offre une sécurité juridique tant à l’administration qu’aux candidats.
B. Une dissociation temporelle de l’expérience justifiant le refus
L’application de ce critère conduit le Conseil d’État à diviser en deux la carrière de la requérante. La période de 2010 à janvier 2019 est écartée, car elle a été accomplie alors que le corps relevait de la catégorie B. Seule la période courant de février 2019 à la date du concours est jugée pertinente. Cette seconde période étant inférieure aux sept années exigées, la condition légale n’est pas remplie. En conséquence, le Conseil d’État conclut que le garde des sceaux « n’a pas commis d’erreur d’appréciation en retenant que [la requérante] ne justifiait pas d’au moins sept années d’exercice professionnel » la qualifiant particulièrement pour les fonctions judiciaires. Cette solution, bien que sévère pour la candidate, démontre la volonté du juge de donner une portée effective à l’adverbe « particulièrement », interprétant la condition de manière stricte afin de garantir que les lauréats de cette voie d’accès disposent d’un bagage professionnel solide et immédiatement valorisable.