7ème – 2ème chambres réunies du Conseil d’État, le 11 février 2025, n°497777

    Le Conseil d’État a rendu le 11 février 2025 une décision majeure relative au contrôle déontologique de la mobilité professionnelle des agents publics. Une professeure agrégée a exercé les fonctions de conseillère au sein d’un cabinet ministériel entre les mois de mai 2022 et juillet 2023. Elle a informé son administration de son projet de mobilité vers une société nationale de programme audiovisuel pour diriger la stratégie éducative. L’autorité administrative compétente a rendu un avis d’incompatibilité le 25 juin 2024 en invoquant l’existence d’un risque pénal de prise illégale d’intérêts. La requérante a alors formé un recours gracieux, lequel a été rejeté par une seconde délibération en date du 9 juillet 2024. Elle saisit la juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir afin d’obtenir l’annulation de ces deux décisions restrictives de liberté. L’autorité de contrôle prétendait que l’avis rendu par l’intéressée sur une convention-cadre de partenariat caractérisait une situation de risque pénal manifeste. La question de droit porte sur l’aptitude d’une convention de partenariat sans portée juridique contraignante à fonder une décision d’incompatibilité professionnelle. La haute juridiction annule les délibérations attaquées en considérant que l’administration a commis une erreur d’appréciation dans la qualification du risque encouru. L’examen du cadre de prévention du risque pénal (I) précédera l’analyse de la nature juridique des actes de partenariat consultés (II).

I. Une appréciation rigoureuse du risque de prise illégale d’intérêts

    A. Le fondement du contrôle de la probité publique

    L’autorité administrative dispose d’une mission de vigilance destinée à « apprécier le risque » que les éléments constitutifs de certaines infractions pénales soient réunis. Le code général de la fonction publique impose un contrôle préalable pour les agents ayant occupé des fonctions sensibles au cours des trois dernières années. La juridiction précise que l’organe de contrôle ne doit pas vérifier la réalisation effective du délit mais seulement évaluer une éventualité dangereuse. Cette mission préventive s’exerce toutefois sous le contrôle vigilant du juge de l’excès de pouvoir qui veille à la juste qualification des faits. La haute juridiction valide la méthodologie de l’autorité qui consiste à rechercher si l’activité projetée pourrait placer l’intéressé dans une situation infractionnelle. Elle rappelle que le but est d’éviter que l’intéressé comme l’administration ne fassent l’objet d’une mise en cause pénale pour prise illégale d’intérêts.

    B. L’encadrement juridictionnel de l’appréciation administrative

    Le Conseil d’État exerce un contrôle de l’erreur d’appréciation sur les motifs retenus par l’autorité administrative pour justifier une interdiction de mobilité. L’instance de contrôle s’était fondée sur le fait que la conseillère avait formulé un avis sur une convention signée par son ancien ministère. Elle considérait cet acte comme un contrat de toute nature ou une décision relative à une opération réalisée par une entreprise de secteur concurrentiel. Le juge administratif censure ce raisonnement en estimant que l’appréciation portée sur la dangerosité de la situation professionnelle est erronée en l’espèce. En effet, la simple consultation sur un document d’orientation générale ne permet pas de caractériser une participation directe à une opération commerciale. La censure de l’erreur d’appréciation repose sur une analyse technique de la nature de la convention signée par le département ministériel concerné.

II. La qualification juridique restrictive de la convention-cadre

    A. L’identification d’un acte dépourvu de portée juridique

    La décision souligne que la convention de partenariat signée le 12 avril 2023 est dépourvue d’engagements financiers précis ou de contreparties au profit des signataires. Le texte de la convention « se contente de faire état d’intentions » et reste « dépourvu en lui-même de toute portée juridique » selon les termes du juge. Il ne s’agit pas d’un contrat de commande publique ni d’un engagement susceptible de procurer un avantage particulier à la société nationale de programme. Dès lors, l’avis rendu par l’agent sur cet instrument souple ne permet pas de caractériser le délit de prise illégale d’intérêts prévu par le code pénal. La haute juridiction refuse ainsi d’assimiler les actes de concertation politique ou pédagogique à des décisions opérationnelles créatrices de droits ou d’obligations. Cette approche restrictive de la notion de contrat au sens pénal favorise une interprétation stricte des causes d’incompatibilité opposables aux fonctionnaires.

    B. Une conciliation nécessaire avec la liberté de mobilité

    La portée de cet arrêt réside dans la préservation de la liberté de mobilité professionnelle face à un contrôle déontologique parfois jugé trop extensif. En exigeant une portée juridique réelle pour les actes antérieurs de l’agent, le juge administratif restreint le champ d’application des incompatibilités pénales préventives. Cette position facilite le passage des cadres de la fonction publique vers des organismes exerçant des missions de service public dans un cadre concurrentiel. Enfin, l’arrêt impose à l’administration de démontrer l’existence d’un risque concret reposant sur des actes juridiques tangibles plutôt que sur de simples intentions partenariales. La décision sécurise le parcours des anciens membres de cabinets ministériels en clarifiant les critères de distinction entre l’influence politique et l’infraction pénale. Le juge administratif assure ainsi un équilibre entre l’exigence de probité des agents publics et leur droit légitime à une carrière diversifiée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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