7ème – 2ème chambres réunies du Conseil d’État, le 12 février 2025, n°494075

Par une décision rendue le 12 février 2025, le Conseil d’État précise les conditions de légalité entourant le refus de titularisation d’un agent stagiaire. Cette affaire concerne un chargé de recherche licencié par un établissement public scientifique à l’issue de son année de stage probatoire. L’administration reprochait au fonctionnaire des manquements déontologiques graves relatifs à la citation de sources scientifiques dans des publications réalisées avant son recrutement.

Le tribunal administratif de Paris a d’abord annulé cette décision par un jugement du 28 juin 2023 en raison d’une erreur de droit. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Paris a confirmé cette annulation dans un arrêt du 6 mars 2024. Les juges d’appel ont estimé que des faits antérieurs à la période de stage ne pouvaient pas légalement fonder une mesure d’éviction pour insuffisance professionnelle. L’établissement public a alors formé un pourvoi en cassation contre cette solution devant la haute juridiction administrative.

La question posée au Conseil d’État est de savoir si l’administration peut légalement fonder un refus de titularisation sur des faits commis avant le stage. Il s’agit de déterminer si l’antériorité de manquements professionnels ou déontologiques fait obstacle à l’appréciation de l’aptitude du stagiaire à exercer ses fonctions futures.

Le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel en jugeant que la seule antériorité des faits ne s’oppose pas à ce qu’ils justifient un refus de titularisation. Les juges soulignent que l’appréciation de l’aptitude doit être globale et peut inclure des éléments révélés avant la nomination en qualité de stagiaire. L’étude de cette solution nécessite d’analyser l’élargissement temporel du contrôle de l’aptitude (I), puis l’articulation entre l’insuffisance professionnelle et la faute disciplinaire (II).

I. L’élargissement temporel du contrôle de l’aptitude professionnelle

A. Le caractère probatoire et provisoire de la période de stage

Un agent public recruté sous le statut de stagiaire se trouve dans une « situation probatoire et provisoire » selon les termes de la décision. Cette période permet à l’autorité compétente d’apprécier l’aptitude de l’intéressé à exercer ses missions et d’observer sa « manière de servir ». La décision de ne pas titulariser repose sur un jugement porté sur la personne même de l’agent plutôt que sur son seul travail. Cette spécificité juridique confère à l’administration un large pouvoir d’appréciation pour garantir la qualité et l’intégrité du service public concerné. Le refus de titularisation n’est donc pas une sanction mais la constatation d’une inadéquation entre le profil du stagiaire et les fonctions visées.

B. L’indifférence de l’antériorité des faits révélateurs d’une insuffisance

La haute juridiction écarte le critère strictement chronologique retenu par la cour administrative d’appel de Paris pour limiter le contrôle de l’administration. La « seule circonstance que les faits établissant l’insuffisance professionnelle […] soient antérieurs à la période du stage » ne saurait empêcher un refus de titularisation. Des manquements déontologiques passés peuvent révéler une inaptitude actuelle à occuper des fonctions de recherche exigeant une rigueur scientifique absolue. L’administration doit pouvoir écarter un candidat dont le comportement passé démontre qu’il ne présente pas les garanties nécessaires à l’exercice de ses missions. Cette solution renforce la protection de l’intérêt du service en permettant de prendre en compte l’ensemble du parcours de l’agent.

II. L’articulation entre le motif d’insuffisance et le régime disciplinaire

A. La validité du motif mixte pour fonder le refus de titularisation

Le Conseil d’État rappelle qu’un même fait peut caractériser simultanément une insuffisance professionnelle et une faute disciplinaire sans vicier la procédure. L’autorité administrative peut légalement se fonder sur des manquements qualifiables de fautifs pour justifier un refus de titularisation pour inaptitude. Les « graves manquements aux obligations déontologiques » mentionnés dans l’arrêt illustrent cette porosité entre les deux concepts juridiques dans le cadre du stage. La décision n’est illégale que si elle revêt un caractère « exclusivement disciplinaire » sans rapport avec l’appréciation de l’aptitude professionnelle requise. Le juge administratif vérifie simplement que les faits retenus sont matériellement exacts et qu’ils ne procèdent d’aucune erreur manifeste d’appréciation.

B. L’exigence de garanties procédurales en présence d’une qualification disciplinaire

Le respect des droits de la défense demeure impératif lorsque les motifs du licenciement comportent une dimension disciplinaire évidente ou sous-jacente. L’intéressé doit avoir été « mis à même de faire valoir ses observations » avant que l’administration ne prononce son éviction définitive du service. Cette garantie protège le stagiaire contre l’arbitraire tout en préservant la faculté pour l’administration de rejeter les profils jugés inadaptés ou indélicats. Le Conseil d’État refuse ici de substituer un motif procédural à l’erreur de droit commise par les premiers juges sur le fond. La protection du stagiaire est ainsi assurée par le contrôle de la procédure, sans toutefois restreindre le champ des éléments d’appréciation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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