7ème – 2ème chambres réunies du Conseil d’État, le 14 février 2025, n°493140

Par un arrêt en date du 14 février 2025, le Conseil d’État a annulé un jugement du tribunal administratif de Dijon qui avait validé le refus d’une administration d’accorder un départ à la retraite à un fonctionnaire. En l’espèce, un gardien de la paix avait sollicité son admission à la retraite après avoir accompli les années de service requises par les textes applicables à son statut. L’autorité administrative a rejeté sa demande au motif qu’une procédure disciplinaire était envisagée à son encontre. Saisi du litige, le tribunal administratif a rejeté la requête du fonctionnaire visant à l’annulation de cette décision de refus. L’agent a alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que le tribunal avait méconnu les conditions légales régissant son droit à la retraite. Le juge de cassation était ainsi conduit à s’interroger sur la légalité d’un refus d’admission à la retraite opposé à un fonctionnaire qui remplit les conditions de liquidation de sa pension, au seul motif qu’une procédure disciplinaire est susceptible d’être engagée. Le Conseil d’État répond par la négative en affirmant qu’« aucun texte ni aucun principe ne permet à l’administration de rejeter, au motif qu’une procédure disciplinaire serait en cours ou envisagée, la demande d’admission à la retraite d’un fonctionnaire de l’Etat qui remplit les conditions requises pour obtenir la liquidation de sa pension civile de retraite ». En conséquence, la Haute Juridiction administrative censure pour erreur de droit le jugement du tribunal administratif.

Cette décision réaffirme la nature du droit à la retraite comme une prérogative légale et non une faculté laissée à la discrétion de l’administration (I), consacrant ainsi une stricte séparation entre la procédure d’admission à la retraite et l’exercice du pouvoir disciplinaire (II).

I. L’affirmation du caractère non discrétionnaire du droit à la retraite

Le Conseil d’État, en censurant le raisonnement des premiers juges, rappelle que la mise à la retraite d’un fonctionnaire qui en remplit les conditions est un droit et non une faveur. Cette solution se fonde sur une interprétation stricte des textes (A) qui exclut toute condition non prévue par la loi, comme l’absence de procédure disciplinaire (B).

A. Une liquidation de la pension fondée sur des conditions exclusivement légales

La décision commentée s’appuie sur une lecture rigoureuse des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite et de la loi du 8 avril 1957. Ces textes énumèrent de manière exhaustive les conditions d’âge et de durée de services effectifs nécessaires pour qu’un agent des services actifs de police puisse prétendre à une admission à la retraite. Le raisonnement de la Haute Juridiction souligne que la compétence de l’administration se limite à vérifier que ces critères objectifs sont réunis.

En l’espèce, le fonctionnaire justifiait des conditions posées par les dispositions législatives pour bénéficier de son droit à pension. L’administration ne pouvait donc légalement que constater l’ouverture de ce droit et procéder à la liquidation de sa pension. En jugeant le contraire, le tribunal administratif avait ajouté aux textes une condition qu’ils ne prévoyaient pas, commettant ainsi une erreur dans l’interprétation de la portée de la loi. La solution garantit la sécurité juridique pour les fonctionnaires, qui doivent pouvoir anticiper leur fin de carrière sur la base des seules règles de droit positif.

B. Le rejet d’une condition implicite liée à l’opportunité disciplinaire

La portée principale de l’arrêt réside dans le refus catégorique d’admettre qu’une procédure disciplinaire, qu’elle soit engagée ou simplement envisagée, puisse faire obstacle au départ à la retraite. Le Conseil d’État précise de manière lapidaire qu’« aucun texte ni aucun principe » n’autorise un tel refus. Cette formule péremptoire ferme la porte à toute tentative de l’administration de paralyser le droit à la retraite pour des motifs d’opportunité liés à sa situation disciplinaire.

En agissant ainsi, le juge administratif préserve l’automaticité du droit à pension dès lors que les conditions légales sont remplies. Permettre à l’administration de surseoir à la demande de l’agent reviendrait à lui reconnaître un pouvoir discrétionnaire non prévu par la loi. Une telle faculté pourrait de surcroît donner lieu à des abus, l’administration pouvant être tentée de menacer d’une procédure disciplinaire pour retenir un agent contre son gré. La décision écarte donc clairement cette possibilité et cantonne l’appréciation administrative au seul contrôle des conditions objectives fixées par le législateur.

Cette clarification du périmètre du droit à la retraite conduit logiquement à consacrer l’autonomie de cette procédure par rapport aux poursuites disciplinaires.

II. La consécration de l’autonomie de la procédure de retraite face au pouvoir disciplinaire

En érigeant une barrière étanche entre la liquidation de la pension et la procédure disciplinaire, le Conseil d’État renforce le statut du fonctionnaire (A) et réaffirme une distinction fondamentale entre deux logiques administratives indépendantes (B).

A. Une solution protectrice des garanties du fonctionnaire

La décision constitue une garantie importante pour les agents publics. En refusant que la simple éventualité d’une sanction puisse suspendre l’exercice d’un droit, elle protège le fonctionnaire d’une forme de précarité juridique. Admettre la solution inverse aurait permis à l’administration de maintenir un agent en activité dans une situation d’incertitude, en attendant l’issue d’une procédure qui peut être longue et dont le résultat est par définition aléatoire.

Cette position est d’autant plus justifiée que l’admission à la retraite ne fait pas obstacle à l’exercice de l’action disciplinaire. L’administration conserve en effet la possibilité de poursuivre la procédure, même après la radiation des cadres de l’agent. Les sanctions applicables à un fonctionnaire retraité, bien que différentes de celles visant un agent en activité, existent et peuvent notamment prendre la forme d’une exclusion du bénéfice des droits à pension. La solution retenue n’organise donc aucune impunité mais préserve un droit acquis.

B. La distinction claire des logiques de gestion de carrière et de sanction

L’apport essentiel de cet arrêt est de nature structurelle : il clarifie l’indépendance de deux mécanismes de la fonction publique. La mise à la retraite relève de la gestion de la carrière et obéit à une logique de droits objectifs ouverts par l’écoulement du temps et l’accomplissement de services. Le pouvoir disciplinaire, quant à lui, répond à une logique répressive visant à sanctionner un manquement aux obligations professionnelles.

En déclarant que ces deux procédures ne peuvent interférer, le Conseil d’État empêche que l’une soit instrumentalisée au service de l’autre. Le droit à la retraite ne saurait devenir un levier dans le cadre d’une procédure disciplinaire, ni le pouvoir disciplinaire un moyen de différer une fin de carrière. La portée de cet arrêt est donc celle d’un principe d’organisation, qui assure la cohérence du statut de la fonction publique en maintenant chaque pouvoir de l’administration dans son champ de compétence propre et pour les finalités qui lui ont été assignées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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