Par une décision en date du 17 avril 2025, le Conseil d’État, statuant en sa qualité de juge de l’élection, s’est prononcé sur les conséquences du rejet du compte de campagne d’un candidat aux élections européennes.
En l’espèce, un candidat tête de liste aux élections des représentants au Parlement européen des 8 et 9 juin 2024 a déposé un compte de campagne ne faisant état d’aucune recette ni d’aucune dépense. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ayant constaté l’existence d’un site internet de campagne, a demandé des éclaircissements au candidat sur son financement. Face à l’absence de réponse, la commission a rejeté le compte le 10 octobre 2024 et a saisi le Conseil d’État le 12 décembre 2024, conformément à la procédure prévue par le code électoral. Le candidat, régulièrement informé de la saisine, n’a produit aucune observation en défense devant la haute juridiction administrative.
Le problème de droit soumis au Conseil d’État consistait à déterminer si l’absence de justification par un candidat sur les modalités de financement de ses outils de campagne, après le dépôt d’un compte nul, caractérise un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales justifiant le prononcé d’une peine d’inéligibilité.
À cette question, le Conseil d’État répond par l’affirmative. Il juge que le dépôt d’un compte ne pouvant être regardé comme sincère, en raison de l’absence de toute mention des dépenses liées à un site internet de campagne, constitue une méconnaissance délibérée d’une règle substantielle. Par conséquent, il prononce à l’encontre du candidat une sanction d’inéligibilité à toutes les élections pour une durée d’un an. Cette solution conduit à analyser la caractérisation par le juge d’un manquement délibéré aux obligations comptables (I), avant d’examiner la portée de la sanction prononcée en réponse à cette défaillance (II).
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I. La caractérisation d’un manquement délibéré aux règles de financement
Le Conseil d’État fonde sa décision sur une analyse rigoureuse de l’obligation de sincérité du compte de campagne (A), dont la violation est ici déduite du silence persistant du candidat (B).
A. Le rappel de l’exigence de sincérité du compte de campagne
Le juge de l’élection rappelle que l’obligation de dépôt d’un compte de campagne, prévue à l’article L. 52-12 du code électoral, ne se limite pas à une simple formalité matérielle. Ce compte doit retracer « l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection ». La haute juridiction souligne ainsi que la finalité de ce dispositif est de garantir la transparence et l’égalité entre les candidats. Le dépôt d’un compte « en blanc », alors même que des actions de communication ont manifestement été menées, contrevient directement à cet objectif.
En l’espèce, la présence d’un site internet dédié à la campagne électorale constituait un indice suffisant de l’existence de dépenses. Le juge considère que le compte déposé, en omettant totalement de mentionner les charges relatives à la création et au fonctionnement de cet outil, « ne peut être regardé comme comportant une description sincère des dépenses et des recettes relatives à l’élection ». Par cette formule, le Conseil d’État réaffirme que la sincérité est une condition substantielle de validité du compte, dont l’absence équivaut à un manquement grave, justifiant le rejet du compte par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
B. La déduction du caractère délibéré du manquement
Pour qu’une peine d’inéligibilité soit prononcée sur le fondement de l’article L. 118-3 du code électoral, le manquement doit non seulement être d’une particulière gravité, mais également présenter un caractère délibéré, en dehors de toute volonté de fraude. Le Conseil d’État opère ici une déduction logique pour établir cette intentionnalité. Il relève que le candidat a été « invité par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, dans le cadre de la procédure contradictoire, à préciser les modalités de financement ». L’absence totale de réponse à cette demande, puis le silence conservé durant l’instance contentieuse, sont déterminants.
Le juge estime que le candidat, en ne fournissant aucun élément de justification et en ne soutenant même pas que les dépenses litigieuses n’avaient pas été engagées, a sciemment choisi de se soustraire à ses obligations de transparence. Cette obstruction passive est interprétée comme la manifestation d’un refus de se conformer aux règles du financement électoral. Le Conseil d’État en conclut que l’intéressé doit être « regardé comme ayant méconnu, de manière délibérée, une règle substantielle de financement des campagnes électorales ». Le caractère intentionnel n’est donc pas présumé, mais inféré du comportement global du candidat tout au long de la procédure de contrôle.
Une fois la faute caractérisée dans son élément matériel et intentionnel, il revenait au juge d’en tirer les conséquences en matière de sanction, en appréciant la proportionnalité de la peine à la gravité des faits.
II. La portée de la sanction : entre mesure et avertissement
La décision du Conseil d’État se distingue par l’application mesurée de la peine d’inéligibilité (A), tout en adressant un avertissement clair sur le rôle du juge électoral en tant que gardien de la loyauté du processus démocratique (B).
A. Une application proportionnée de la peine d’inéligibilité
L’article L. 118-3 du code électoral dispose que l’inéligibilité peut être prononcée « pour une durée maximale de trois ans ». En fixant la sanction à une année, le Conseil d’État fait preuve de modération et met en œuvre son pouvoir d’appréciation pour proportionner la peine à la gravité du manquement. Plusieurs éléments ont pu motiver cette clémence relative. Le compte de campagne ne révélait pas un dépassement du plafond des dépenses ni des recettes illicites, mais plutôt une dissimulation dont le montant exact reste inconnu, mais probablement modeste s’agissant d’un seul site internet pour une liste ayant obtenu un faible score.
La sanction d’un an apparaît ainsi comme une réponse ferme mais non excessive. Elle punit un comportement qui porte atteinte à la discipline collective du financement politique, sans pour autant priver l’élu de ses droits civiques pour une durée qui serait apparue disproportionnée au regard de l’enjeu financier vraisemblablement limité. Cette modulation de la sanction confirme que le juge électoral ne se contente pas de constater un manquement, mais en évalue concrètement la portée pour ajuster sa réponse répressive, tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce.
B. Une décision à la portée pédagogique
Au-delà du cas d’espèce, cette décision constitue une illustration classique de l’office du juge de l’élection et de la portée de son contrôle. Elle rappelle avec force que les candidats ne sauraient rester passifs face aux demandes de l’organe de contrôle financier. Le refus de coopérer et de jouer le jeu de la transparence est en soi constitutif d’une faute grave. Le Conseil d’État envoie un signal clair : le silence face à une demande de justification circonstanciée n’est pas une stratégie de défense viable et sera interprété comme un aveu de manquement.
Cette jurisprudence, bien que s’inscrivant dans une ligne déjà établie, a une valeur pédagogique indéniable pour tous les futurs candidats. Elle réaffirme le caractère substantiel des règles de financement et le fait que le respect de la procédure contradictoire engagée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est une composante essentielle de la sincérité du scrutin. En sanctionnant l’obstruction silencieuse, le juge de l’élection renforce l’autorité de l’organe de contrôle et, par extension, la robustesse du système de financement politique français.