7ème – 2ème chambres réunies du Conseil d’État, le 17 avril 2025, n°499654

Par une décision en date du 17 avril 2025, le Conseil d’État, statuant en sa qualité de juge de l’élection, s’est prononcé sur les conséquences du rejet du compte de campagne d’un candidat à l’élection des représentants au Parlement européen. En l’espèce, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques avait rejeté le compte d’une tête de liste, au motif principal que des opérations de recettes et de dépenses avaient été réalisées en dehors du compte bancaire unique de campagne. La Commission relevait également que le règlement effectif de certaines factures n’était pas démontré. Saisie par la Commission, conformément à l’article L. 52-15 du code électoral, la haute juridiction administrative était invitée à prononcer l’inéligibilité du candidat en cause. Le problème de droit soumis au juge de l’élection était donc de déterminer si des irrégularités affectant des opérations financières qui n’auraient pas dû figurer au compte de campagne sont de nature à justifier le prononcé d’une sanction d’inéligibilité. Le Conseil d’État répond par la négative, considérant que de telles opérations, relatives en l’espèce à la campagne officielle, ne peuvent entacher le compte d’irrégularité et qu’il n’y a donc pas lieu de déclarer le candidat inéligible.

La solution retenue par le juge de l’élection repose sur une analyse rigoureuse des obligations comptables pesant sur les candidats, le conduisant à neutraliser les griefs initialement formulés (I). Cette décision, par son approche pragmatique, illustre une application mesurée du droit des sanctions électorales, tout en soulignant la complexité persistante de la matière (II).

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I. La neutralisation des irrégularités par une stricte qualification juridique

Le Conseil d’État fonde sa décision sur une distinction fondamentale entre les règles de forme, dont il rappelle le caractère substantiel (A), et la nature même des dépenses examinées, qui permet en l’espèce d’écarter l’application de ces règles (B).

A. Le rappel du caractère substantiel des règles du compte de campagne

La haute juridiction prend soin de rappeler le cadre normatif exigeant qui régit le financement des campagnes électorales. Elle cite les articles L. 52-4 et L. 52-6 du code électoral qui imposent à tout candidat la désignation d’un mandataire financier et l’ouverture d’un « compte de dépôt unique retraçant la totalité de ses opérations financières ». Le juge administratif souligne que le respect de ces dispositions constitue une « formalité substantielle à laquelle il ne peut pas, en principe, être dérogé ». Cette affirmation réitère une jurisprudence constante qui voit dans le compte unique un instrument essentiel de transparence et de contrôle, garantissant l’égalité entre les candidats et prévenant les financements occultes.

Le raisonnement du Conseil d’État rappelle également la portée limitée des dérogations admises, qui ne concernent que les « menues dépenses » sous de strictes conditions cumulatives de montant. En posant ce cadre, le juge de l’élection prépare le terrain à l’analyse des faits de l’espèce, en réaffirmant que toute entorse significative aux obligations de suivi des flux financiers est, par principe, constitutive d’une irrégularité grave. La décision de la Commission, qui avait relevé des mouvements financiers pour près de 10 000 euros hors du compte unique, semblait ainsi s’inscrire logiquement dans cette orthodoxie juridique.

B. L’exclusion salvatrice des dépenses de la campagne officielle

C’est toutefois par une requalification des opérations litigieuses que le Conseil d’État va anéantir la portée des manquements constatés. Il opère une distinction cruciale, prévue par l’article L. 52-12 du code électoral, entre les dépenses engagées en vue de l’élection et les dépenses de la campagne officielle. Ces dernières, qui concernent notamment l’impression et l’affichage des professions de foi et des bulletins de vote, sont prises en charge par l’État et ne doivent pas figurer dans le compte de campagne du candidat.

Le juge constate en l’espèce que « toutes ces opérations financières se rapportent à des dépenses de la campagne officielle qui […] n’avaient pas à figurer au compte de campagne ». Dès lors, la conclusion s’impose avec la force de l’évidence : des opérations qui n’avaient pas leur place dans le compte ne peuvent, par leur traitement irrégulier, vicier ledit compte. Le raisonnement est imparable : l’obligation d’utiliser le compte unique ne s’applique qu’aux dépenses qui doivent légalement y être retracées. En considérant les dépenses en cause comme étrangères au périmètre du compte, le Conseil d’État les neutralise et juge qu’elles « ne sont pas de nature à entacher ce compte d’irrégularité ». Par conséquent, le rejet du compte par la Commission n’était pas fondé et la condition nécessaire à une déclaration d’inéligibilité sur le fondement du 3° de l’article L. 118-3 du code électoral fait défaut.

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Si la solution procède d’une logique juridique rigoureuse, elle n’en révèle pas moins une approche pragmatique du contentieux électoral (II), dont il convient de mesurer la portée.

II. La portée d’une interprétation pragmatique du droit du financement électoral

Cette décision illustre le refus d’un formalisme excessif au profit d’une approche proportionnée de la sanction (A), mais elle met aussi en lumière la difficulté persistante pour les acteurs de la vie politique de maîtriser des règles techniques complexes (B).

A. Le refus d’un formalisme excessif au service de la proportionnalité

En refusant de s’arrêter à l’apparence des irrégularités formelles, le Conseil d’État fait prévaloir la substance sur la forme. Plutôt que de sanctionner une erreur de ventilation comptable, il recherche la nature exacte des dépenses pour apprécier la gravité réelle du manquement. Cette démarche s’inscrit dans la lignée de sa propre jurisprudence, qui exige, pour prononcer une inéligibilité, un « manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales ». En l’absence de volonté de fraude, le juge doit apprécier si le manquement est à la fois caractérisé, délibéré et porte sur une règle substantielle.

Ici, en jugeant que les règles substantielles du compte unique n’étaient pas applicables aux dépenses en cause, le Conseil d’État évite de prononcer une sanction qui aurait été manifestement disproportionnée. L’inéligibilité, sanction la plus lourde en matière de financement politique, est ainsi réservée aux atteintes les plus sérieuses portées aux principes de transparence et d’égalité. La décision témoigne d’une volonté de ne pas priver un élu de son mandat ou un candidat de son droit de se présenter pour ce qui s’apparente à une erreur de gestion, certes significative dans son montant, mais sans incidence sur la sincérité globale du financement de sa campagne électorale.

B. La persistance de la complexité de la qualification des dépenses

Si la solution est équitable en l’espèce, elle souligne indirectement la complexité du droit du financement politique. La distinction entre les dépenses du compte de campagne et celles de la campagne officielle, si elle est claire en théorie, peut s’avérer délicate en pratique pour des candidats et des mandataires financiers qui ne sont pas toujours des professionnels du droit ou de la comptabilité. Le fait qu’un compte ait été rejeté par la Commission pour des irrégularités finalement jugées non pertinentes par le juge illustre le risque d’erreur d’appréciation.

Cette décision sert ainsi de rappel pédagogique. Elle confirme que le périmètre du compte de campagne est strictement défini et que les dépenses liées à la campagne officielle en sont exclues. Pour les candidats, la leçon est double : non seulement ils doivent veiller au respect scrupuleux des circuits de paiement pour les dépenses de campagne, mais ils doivent aussi s’assurer en amont de la correcte qualification de chaque dépense. L’intervention du juge a permis de corriger une erreur d’analyse, mais elle ne saurait être une garantie pour l’avenir, et la rigueur demeure la meilleure protection contre le risque de sanction.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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