Par une décision en date du 17 avril 2025, le Conseil d’État, statuant en sa qualité de juge de l’élection, s’est prononcé sur les conséquences du non-respect des règles de financement d’une campagne électorale. En l’espèce, une candidate tête de liste aux élections européennes n’avait pas ouvert de compte de dépôt unique pour sa campagne, comme l’exige le code électoral. L’ensemble des dépenses avait été réglé directement par un parti politique. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, après avoir rejeté le compte de la candidate, a saisi le Conseil d’État en vue du prononcé d’une peine d’inéligibilité. La candidate se défendait en indiquant avoir tenté d’ouvrir un compte, mais que sa demande était restée sans réponse de la part de son conseiller financier. Il revenait donc au juge de l’élection de déterminer si l’absence d’ouverture d’un compte de dépôt unique, en méconnaissance des obligations du code électoral, constituait un manquement d’une particulière gravité justifiant le prononcé d’une peine d’inéligibilité. Le Conseil d’État répond par l’affirmative en prononçant une inéligibilité d’une durée d’un an, considérant que la méconnaissance de cette exigence fondamentale porte atteinte à la transparence du financement de la campagne.
La décision commentée réaffirme avec fermeté le caractère substantiel des obligations de transparence financière (I), avant de qualifier la méconnaissance de ces règles de manquement justifiant une sanction d’inéligibilité (II).
I. L’exigence réaffirmée d’une formalité substantielle
Le Conseil d’État rappelle d’abord le caractère impératif de l’obligation d’ouvrir un compte de campagne unique (A), ce qui justifie logiquement le rejet du compte de la candidate (B).
A. Le caractère impératif de l’ouverture d’un compte unique
La haute juridiction administrative fonde son raisonnement sur les dispositions des articles L. 52-4 et L. 52-6 du code électoral, qui imposent à tout candidat la désignation d’un mandataire financier et l’ouverture par ce dernier d’un compte de dépôt unique. Ce compte doit retracer l’intégralité des opérations financières de la campagne, qu’il s’agisse des recettes ou des dépenses. Le Conseil d’État prend soin de rappeler la finalité de ces dispositions, qui est d’assurer la transparence et la traçabilité des flux financiers liés à une élection.
Il en déduit que cette obligation constitue une « formalité substantielle à laquelle il ne peut, en principe, pas être dérogé ». En qualifiant cette règle de « substantielle », le juge souligne qu’elle ne relève pas du simple formalisme, mais qu’elle est au cœur du dispositif de contrôle du financement politique. L’unique exception tolérée, concernant les menues dépenses, est strictement encadrée et ne saurait s’appliquer à une absence totale de compte. Cette position confirme une jurisprudence constante qui vise à garantir l’efficacité du contrôle exercé par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
B. Le rejet justifié du compte de campagne
La méconnaissance d’une formalité substantielle emporte des conséquences rigoureuses. En l’espèce, la candidate ne contestait pas l’absence d’ouverture d’un compte bancaire unique. Ses dépenses de campagne ayant été intégralement réglées par un parti politique, aucune opération n’a transité par un compte dédié, rendant toute vérification par la commission impossible. Le juge de l’élection écarte l’argument de la candidate selon lequel elle aurait tenté d’accomplir les démarches nécessaires.
Le fait qu’elle ait sollicité son conseiller financier démontre, pour le Conseil d’État, qu’elle « ne s’est pas méprise sur les obligations résultant pour elle des dispositions du code électoral ». Loin de constituer une excuse, cette démarche avortée établit sa pleine connaissance de la règle et, par conséquent, le caractère conscient de son manquement. Le paiement direct par un parti politique, s’il est possible, ne dispense nullement le candidat de l’obligation d’établir un compte de campagne qui doit d’ailleurs faire apparaître ces contributions. Le rejet du compte par la commission était donc parfaitement fondé en droit.
Le rejet du compte ne constitue cependant que la première étape du processus. Il revenait ensuite au juge d’apprécier la gravité du manquement pour se prononcer sur une éventuelle sanction d’inéligibilité.
II. La caractérisation du manquement d’une particulière gravité
Le Conseil d’État exerce son pouvoir d’appréciation pour qualifier le comportement de la candidate (A), ce qui le conduit à prononcer une sanction dont il convient de mesurer la portée (B).
A. L’appréciation souveraine du juge de l’élection
En application de l’article L. 118-3 du code électoral, le prononcé d’une inéligibilité n’est pas automatique en cas de rejet du compte de campagne. Hors les cas de fraude, le juge doit constater « un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales ». Pour ce faire, il vérifie si la règle méconnue est une règle substantielle et si le manquement présente un caractère délibéré.
Dans cette affaire, le Conseil d’État estime ces deux conditions remplies. Le caractère substantiel de l’obligation d’ouvrir un compte unique a déjà été établi. Quant au caractère délibéré, il est déduit du fait que la candidate, consciente de ses obligations, n’a pas mené les diligences nécessaires pour s’y conformer. Le juge considère que l’absence totale de compte dédié empêche la commission de remplir sa mission de contrôle, portant ainsi une atteinte directe et grave à la transparence de la campagne. Il qualifie donc ce manquement de « particulièrement grave », ouvrant la voie au prononcé d’une inéligibilité.
B. La portée de la sanction prononcée
En déclarant la candidate inéligible à toutes les élections pour une durée d’un an, le Conseil d’État adresse un signal clair. La sanction n’est pas seulement punitive pour la candidate, elle a une portée pédagogique et préventive pour tous les futurs candidats. Cette décision rappelle que les obligations comptables ne sont pas de simples contraintes administratives, mais des piliers de la démocratie électorale. Le juge se montre ainsi particulièrement strict face à un manquement qui rend le contrôle financier totalement inopérant.
La durée d’un an, inférieure au maximum de trois ans prévu par la loi, témoigne d’une volonté de proportionner la sanction à la situation d’espèce, en l’absence probable de volonté de fraude avérée. Néanmoins, la décision confirme que l’argument d’une campagne modeste ou de difficultés pratiques ne saurait exonérer un candidat de ses responsabilités. L’exigence de transparence s’impose à tous de la même manière, et sa méconnaissance expose son auteur à une mise à l’écart temporaire de la vie politique.