7ème chambre du Conseil d’État, le 11 juillet 2025, n°496653

Par une décision en date du 11 juillet 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité d’une sanction disciplinaire infligée à un officier de gendarmerie. En l’espèce, un capitaine de gendarmerie a fait l’objet d’un blâme pour des faits de harcèlement moral, de dénigrement et de pression excessive sur ses subordonnés, commis entre 2019 et 2023 alors qu’il commandait une brigade territoriale.

L’officier a saisi le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir afin d’obtenir l’annulation de cette sanction. Au cours de la procédure, il a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 4137-1 du code de la défense, mais celle-ci a été écartée, le Conseil constitutionnel ayant déjà statué sur la disposition contestée dans une décision du 30 avril 2025. Sur le fond, le requérant soutenait notamment que la procédure disciplinaire était irrégulière, faute d’avoir été informé de son droit de se taire. Il contestait également la matérialité des faits et le caractère proportionné de la sanction.

Il appartenait donc aux juges du Palais-Royal de déterminer, d’une part, les modalités d’application du droit de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire administrative et les conséquences de sa méconnaissance, et d’autre part, si les faits reprochés à l’agent justifiaient la sanction prononcée.

Le Conseil d’État rejette le recours, en précisant les conditions d’information du droit de se taire et en validant la sanction au regard des fautes commises. Il juge que si le droit de se taire, qui découle du principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser », s’applique bien en matière disciplinaire, son absence de notification ne vicie la procédure que si la sanction repose de manière déterminante sur les déclarations de l’agent. Il estime par ailleurs que les faits de management toxique étaient établis et que le blâme n’était pas une sanction disproportionnée.

Cette décision est l’occasion pour la haute juridiction de consacrer l’existence du droit au silence en matière disciplinaire tout en en modulant la portée (I), avant de procéder à un contrôle classique du bien-fondé de la sanction (II).

***

I. La consécration d’un droit au silence modulé en matière disciplinaire

La décision commentée tire les conséquences d’une jurisprudence constitutionnelle récente pour affirmer l’applicabilité du droit au silence en matière disciplinaire (A), tout en encadrant strictement les conséquences d’une éventuelle violation de cette garantie (B).

A. L’affirmation du principe et de son champ d’application

Le Conseil d’État consacre explicitement l’application du droit de se taire aux procédures disciplinaires visant les agents publics. Il se fonde sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont découle le principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire ». Cette solution étend la portée d’une garantie traditionnellement associée à la procédure pénale au contentieux disciplinaire, en précisant que « ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition ».

La haute juridiction administrative définit ensuite le périmètre temporel de cette obligation d’information. Elle juge que l’agent doit être avisé de son droit « avant d’être entendu pour la première fois », et ce pour l’ensemble de la procédure disciplinaire. En revanche, le Conseil d’État exclut l’application de cette garantie aux échanges qui précèdent l’engagement formel des poursuites. Ainsi, « sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique ». Cette distinction pragmatique permet de ne pas paralyser l’action administrative et le pouvoir de contrôle de la hiérarchie, tout en garantissant les droits de la défense une fois la phase répressive formellement engagée.

B. La portée limitée de la sanction de sa violation

Après avoir posé le principe, le Conseil d’État en précise la sanction de manière restrictive. L’irrégularité tenant au défaut d’information du droit de se taire n’entraîne pas automatiquement l’annulation de la sanction. L’annulation n’est encourue que si cette irrégularité a exercé une influence décisive sur la décision de l’autorité disciplinaire.

Pour ce faire, le juge de l’excès de pouvoir doit vérifier si la sanction « repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit ». Cette approche pragmatique, inspirée de la jurisprudence Danthony sur les viciations de procédure, subordonne l’annulation à la preuve que, sans les déclarations recueillies irrégulièrement, la sanction n’aurait pas été prise ou aurait été différente. En l’espèce, le juge estime qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que la sanction litigieuse reposerait de manière déterminante sur des propos tenus par l’intéressé ». En conditionnant ainsi la censure, le Conseil d’État garantit l’effectivité du droit au silence sans pour autant en faire un moyen de nullité systématique, évitant un formalisme excessif qui serait préjudiciable à l’efficacité de l’action disciplinaire.

***

II. Le contrôle classique du bien-fondé de la sanction disciplinaire

Au-delà de l’apport sur le droit au silence, la décision applique de manière orthodoxe les principes du contrôle juridictionnel sur les sanctions administratives, en confirmant la qualification juridique des faits (A) puis en validant la proportionnalité de la sanction retenue (B).

A. La qualification incontestée des manquements managériaux

Le Conseil d’État exerce un contrôle de la qualification juridique des faits reprochés à l’officier. Il s’assure que les comportements établis constituent bien des fautes de nature à justifier une sanction. Les faits retenus par l’autorité disciplinaire incluaient « l’utilisation d’un vocabulaire grossier », le « dénigrement de certains de ses subordonnés », une « pression excessive » et un « comportement et ses propos inappropriés ».

Le juge administratif rappelle les obligations déontologiques qui pèsent sur un militaire exerçant un commandement, issues du code de la défense et du code de la sécurité intérieure. Il souligne que le supérieur a des « responsabilités et des devoirs proportionnels à son rang » et que ses rapports avec ses subordonnés doivent être fondés sur « une loyauté et un respect mutuels ». Face à un comportement ayant provoqué « un mal-être au travail conduisant à des arrêts de travail et à des démissions », le Conseil d’État conclut que l’autorité disciplinaire n’a pas commis d’erreur en estimant que « de tels faits constituaient des fautes de nature à justifier une sanction ». Ce faisant, il confirme une jurisprudence constante qui sanctionne les pratiques managériales toxiques comme des manquements graves aux devoirs de la fonction.

B. La validation de la proportionnalité de la sanction

Enfin, le juge de l’excès de pouvoir procède au contrôle de la proportionnalité de la sanction par rapport à la gravité des fautes commises. Il s’agit de vérifier que la sanction n’est pas manifestement excessive au regard des faits de l’espèce. Le requérant s’était vu infliger un blâme, sanction du premier groupe prévue à l’article L. 4137-2 du code de la défense.

Le Conseil d’État juge que cette sanction n’est pas disproportionnée. Il prend en considération la nature des fautes, mais également le niveau de responsabilité de l’agent. Il relève ainsi qu’« eu égard aux responsabilités de M. A…, qui assurait le commandement d’une unité de gendarmerie », et ce, « alors même que sa manière de servir aurait par ailleurs donné satisfaction », le blâme n’apparaît pas excessif. Le juge refuse de minimiser la gravité des faits au prétexte d’un « contexte dégradé » de l’unité ou d’une bonne notation par ailleurs. En validant une sanction qui, bien que n’étant pas la plus sévère, marque clairement la réprobation de l’administration, le Conseil d’État réaffirme l’exigence d’exemplarité qui s’attache à l’exercice du commandement.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture