7ème chambre du Conseil d’État, le 12 mai 2025, n°495109

Par une décision en date du 12 mai 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité d’une instruction ministérielle relative aux modalités de gestion d’un régime indemnitaire dans la fonction publique. En l’espèce, un syndicat de fonctionnaires a demandé l’annulation pour excès de pouvoir d’une instruction du 17 mai 2024 qui précisait les conditions d’application du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP). Le requérant soutenait que cet acte administratif avait été pris en méconnaissance des règles de consultation des instances représentatives du personnel et qu’il était, sur plusieurs points, entaché d’illégalité interne. La procédure engagée consistait en un recours pour excès de pouvoir porté directement devant la Haute juridiction administrative, mettant en cause la légalité de l’acte unilatéral de l’administration. Il revenait donc au Conseil d’État de se prononcer sur la question de savoir si une autorité ministérielle peut, par voie d’instruction, fixer les modalités d’application d’un régime indemnitaire sans consultation préalable des instances représentatives du personnel sur cet acte spécifique et sans excéder son pouvoir réglementaire. À cette question, le Conseil d’État a répondu par la négative en rejetant la requête, considérant que l’instruction n’entrait pas dans le champ de la consultation obligatoire et que ses dispositions matérielles n’étaient pas contraires aux normes juridiques supérieures. La Haute juridiction administrative a ainsi confirmé la légalité de l’acte sur le terrain de la consultation des instances représentatives (I), avant de valider sa conformité au droit positif quant à son contenu matériel (II).

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I. La confirmation d’une compétence normative exercée hors du champ du dialogue social obligatoire

Le Conseil d’État a d’abord examiné les moyens de légalité externe soulevés par le syndicat requérant, en adoptant une interprétation stricte du périmètre de la consultation obligatoire des comités sociaux d’administration (A), ce qui l’a conduit à écarter l’application du principe constitutionnel de participation des travailleurs dans ce contexte particulier (B).

A. Une interprétation stricte du périmètre de la consultation des comités sociaux d’administration

Le syndicat requérant faisait valoir que l’instruction attaquée aurait dû être soumise pour avis aux comités sociaux d’administration, en application du décret du 20 novembre 2020. Selon lui, l’acte contesté constituait un projet de texte réglementaire relatif à l’organisation des services ou aux règles statutaires. Le Conseil d’État écarte ce raisonnement en affirmant que « Les dispositions de l’instruction attaquée ne présentent pas de caractère statutaire et ne concernent pas le fonctionnement et l’organisation des services ». Ce faisant, la Haute juridiction opère une distinction classique entre les textes qui fixent les règles générales d’organisation ou le statut des agents, lesquels exigent une consultation, et les mesures d’application qui en précisent les modalités de gestion courante. En qualifiant l’instruction de simple mesure d’application, il la situe en dehors du champ de la consultation obligatoire, considérant qu’elle ne modifie ni le statut des fonctionnaires ni l’architecture des services ministériels. Cette solution réaffirme que le pouvoir d’organisation du service permet à l’autorité administrative de prendre des mesures internes de portée générale sans pour autant que celles-ci ne constituent des textes réglementaires soumis à la procédure consultative.

B. La portée limitée du principe de participation des travailleurs

Conséquence directe de cette première analyse, le Conseil d’État a également rejeté le moyen tiré de la méconnaissance du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui consacre le principe de participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail. La juridiction administrative a estimé que, dès lors que les dispositions réglementaires fixant les cas de consultation obligatoire n’avaient pas été méconnues, le principe constitutionnel ne pouvait pas davantage être considéré comme violé. En effet, elle juge que les moyens tirés de la violation de l’article 48 du décret et, « par voie de conséquence, du principe de participation des travailleurs (…) ne peuvent dès lors qu’être écartés ». Cette position confirme que le principe de participation, bien que de valeur constitutionnelle, trouve ses modalités d’application dans les dispositions législatives et réglementaires. Son invocation ne saurait donc prospérer de manière autonome lorsque les textes qui l’organisent n’imposent pas de consultation pour l’acte en cause. Le Conseil d’État rappelle ainsi que la portée de ce principe est conditionnée par les règles de compétence et de procédure qui en assurent la mise en œuvre concrète au sein de la fonction publique.

II. La validation de la conformité matérielle de l’instruction aux normes supérieures

Après avoir écarté les moyens de légalité externe, le Conseil d’État a procédé à l’examen des critiques portant sur le fond de l’instruction. Il a validé la compatibilité des modalités de réexamen de l’indemnité avec le décret qui l’institue (A), tout en rejetant les autres griefs relatifs à la situation de certains agents et à l’autonomie d’établissements publics (B).

A. La conciliation des modalités de réexamen de l’indemnité avec le cadre réglementaire

Le syndicat requérant soutenait que l’instruction méconnaissait l’article 3 du décret du 20 mai 2014, qui prévoit un réexamen de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) « au moins tous les quatre ans ». L’instruction attaquée, quant à elle, subordonnait une revalorisation à l’occupation d’un même poste depuis au moins deux ans, puis prévoyait des réexamens après des périodes de trois puis quatre ans. Le Conseil d’État a jugé que le ministre n’a pas méconnu les dispositions du décret, « qui fixent à quatre ans la périodicité minimale du réexamen du montant de l’indemnité dans cette hypothèse, étant rappelé au surplus que ce réexamen n’implique pas nécessairement une augmentation de ce montant ». La Haute juridiction souligne ici une distinction fondamentale entre l’obligation de « réexamen », qui impose à l’administration de réévaluer la situation de l’agent, et la « revalorisation », qui constitue une simple faculté. Le décret n’impose qu’un réexamen quadriennal minimal, non une augmentation. L’instruction, en fixant des paliers temporels pour une éventuelle revalorisation, ne contredit pas cette exigence mais en organise les modalités de gestion, ce qui relève de la compétence ministérielle.

B. Le rejet des griefs relatifs à la création d’une position statutaire et à l’autonomie des établissements publics

Le requérant avançait également que l’instruction créait une nouvelle position statutaire illégale en définissant le régime indemnitaire des « agents en attente d’affectation pérenne ». Le Conseil d’État réfute cet argument en jugeant que cette disposition « ne crée pas une nouvelle position statutaire des fonctionnaires ». Il considère que l’instruction se borne à décrire une situation factuelle pour des agents qui demeurent en position d’activité, sans innover sur le plan statutaire. Enfin, s’agissant des établissements publics, le syndicat estimait que l’instruction portait atteinte à leur autonomie de gestion. Le Conseil d’État écarte le moyen en relevant les termes mêmes de l’acte attaqué, qui stipule qu’il « est recommandé que les principes, les plafonds et les socles indemnitaires (…) servent de référence ». L’emploi du verbe « recommander » prive cette partie de l’instruction de tout caractère impératif à l’égard des établissements publics. L’acte se contente d’émettre une préconisation, non une obligation, préservant ainsi l’autonomie de gestion de ces entités. Par cette analyse, le Conseil d’État confirme que la portée juridique d’un acte administratif doit s’apprécier au regard de la nature de ses prescriptions.

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Hassan KOHEN
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