7ème chambre du Conseil d’État, le 19 juin 2025, n°499810

Par une décision en date du 19 juin 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité d’une sanction disciplinaire infligée à un officier de l’armée de terre. Cette décision offre une illustration du contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures prises par l’autorité militaire à l’encontre de ses subordonnés.

En l’espèce, un lieutenant s’était vu infliger une sanction de quinze jours d’arrêts. Il lui était reproché d’avoir, lors d’un entretien relatif à son projet de mobilité, exprimé un sentiment de mépris à l’égard d’un capitaine et d’avoir « remis en cause l’honnêteté et la valeur de la parole » de cet officier supérieur. Le militaire sanctionné a alors saisi la haute juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir, demandant l’annulation de cette sanction. Il soutenait principalement que les faits qui lui étaient reprochés n’étaient pas de nature à justifier une sanction disciplinaire, et subsidiairement, que la sanction prononcée était disproportionnée par rapport à la gravité de la faute commise. Le problème de droit soumis au Conseil d’État consistait donc à déterminer si l’expression d’un mépris envers un supérieur hiérarchique suffisait à caractériser une faute disciplinaire et, dans l’affirmative, selon quels critères la proportionnalité d’une sanction de quinze jours d’arrêts devait être appréciée par le juge.

Le Conseil d’État rejette la requête. Il juge que les faits, matériellement établis et reconnus par l’intéressé, sont bien constitutifs d’une faute disciplinaire. Il estime en outre que l’autorité militaire n’a pas pris une sanction disproportionnée au regard de la gravité de cette faute, compte tenu notamment des responsabilités de l’officier et de ses antécédents disciplinaires.

Cette décision, par sa motivation claire et pédagogique, rappelle les principes directeurs du contrôle juridictionnel exercé sur les sanctions disciplinaires militaires (I), avant de procéder à une application concrète de ces principes pour apprécier la proportionnalité de la mesure contestée (II).

I. La méthode du contrôle juridictionnel sur les sanctions militaires

Le Conseil d’État profite de cette affaire pour réaffirmer sa compétence en matière de contentieux disciplinaire militaire, en précisant d’abord la manière dont il qualifie la faute (A), puis en rappelant l’étendue de son contrôle sur la sanction elle-même (B).

A. La qualification de la faute disciplinaire

La haute juridiction s’attache en premier lieu à vérifier la matérialité des faits reprochés. Elle relève qu’il « est constant que M. B… a admis avoir exprimé, lors de l’entretien du 17 septembre 2024 (…) son sentiment de mépris ». Cette constatation factuelle est corroborée par le témoignage d’un tiers présent, ce qui permet au juge de tenir les faits pour établis.

Une fois les faits avérés, le Conseil d’État confirme qu’ils sont bien de nature à justifier une sanction. En se fondant implicitement sur l’article L. 4122-1 du code de la défense, qui dispose que « les militaires doivent obéissance aux ordres de leurs supérieurs », le juge considère que le comportement du lieutenant constitue une violation de ses obligations professionnelles. L’expression d’un mépris et la mise en cause de l’honnêteté d’un supérieur portent directement atteinte au principe de discipline et de respect hiérarchique qui structure l’institution militaire. La solution est sans équivoque : de tels agissements constituent une faute disciplinaire.

Après avoir validé l’existence d’une faute, il appartient au juge de s’assurer que la sanction choisie par l’administration est adéquate.

B. L’étendue du contrôle de proportionnalité

La décision énonce de manière didactique la portée de l’office du juge de l’excès de pouvoir en la matière. Celui-ci doit « rechercher si les faits reprochés à un agent public (…) sont établis, constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ». Cet attendu de principe, classique dans le contentieux de la fonction publique, est ici appliqué avec rigueur au domaine militaire.

Le Conseil d’État confirme ainsi qu’il exerce un contrôle normal, et non plus restreint à l’erreur manifeste d’appréciation, sur l’adéquation entre la faute et la sanction. Le juge ne se limite pas à vérifier que la sanction n’est pas manifestement disproportionnée ; il examine si elle est, de manière plus générale, proportionnée. Ce contrôle approfondi garantit aux militaires des droits équivalents à ceux des autres agents publics, tout en tenant compte des spécificités de leur statut.

C’est en appliquant cette méthode que le Conseil d’État va ensuite analyser les circonstances propres à l’affaire.

II. L’application concrète du contrôle de proportionnalité

La seconde partie de la décision est consacrée à l’examen in concreto de la proportionnalité de la sanction. Le Conseil d’État met en balance plusieurs éléments pour forger sa conviction, en tenant compte des particularités du parcours de l’agent (A) pour finalement confirmer le pouvoir d’appréciation de l’autorité militaire (B).

A. La prise en compte du contexte et des antécédents

Pour évaluer la proportionnalité des quinze jours d’arrêts, le juge ne s’en tient pas à la seule faute commise. Il examine la situation globale du requérant, en opérant une balance entre les éléments à charge et à décharge. Le Conseil d’État relève ainsi les « responsabilités du requérant » en tant qu’officier, qui impliquent un devoir d’exemplarité accru.

De plus, il prend en considération le fait que l’intéressé « a déjà été sanctionné de sept jours d’arrêts, le 10 janvier 2022, pour un manque de discernement ». Cet antécédent disciplinaire, même s’il est sans lien direct avec les nouveaux faits, a pesé de manière significative dans l’appréciation de l’autorité militaire, et le juge valide cette prise en compte. En contrepoint, la haute juridiction note que la « manière de servir donnerait pleinement satisfaction », mais cet élément positif n’est pas jugé suffisant pour disqualifier la sanction. La réitération d’un comportement fautif, même de nature différente, est donc un facteur aggravant déterminant.

Cette analyse fine des circonstances de l’espèce conduit le juge à valider la décision de l’administration.

B. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’autorité hiérarchique

En concluant que l’autorité militaire « n’a pas (…) pris une sanction disproportionnée », le Conseil d’État ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l’administration. Il se borne à constater que celle-ci n’a pas excédé le pouvoir d’appréciation dont elle dispose pour choisir, parmi l’échelle des sanctions, celle qui lui paraît la plus adaptée.

La décision commentée s’inscrit ainsi dans la catégorie des décisions d’espèce. Elle ne crée pas de règle de droit nouvelle mais constitue une application orthodoxe d’une jurisprudence bien établie. Sa portée est avant tout illustrative : elle montre que si le juge administratif contrôle entièrement la qualification des faits et la proportionnalité de la sanction, il laisse à l’autorité militaire une marge d’appréciation nécessaire à la préservation de la discipline. La solution rappelle que le statut militaire impose des devoirs stricts et que leur manquement peut être sanctionné avec une sévérité que les antécédents de l’agent peuvent justifier.

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