7ème chambre du Conseil d’État, le 23 décembre 2024, n°491395

Le Conseil d’État a rendu une décision le 23 décembre 2024 relative à la réparation du préjudice né de l’éviction irrégulière d’un candidat évincé. Une personne publique a lancé une procédure de passation pour la gestion d’un complexe aquatique comprenant des bassins sportifs et des espaces de détente. Deux sociétés ont déposé une offre pour l’exploitation de cet équipement mais l’une d’elles a été choisie par le pouvoir adjudicateur. La société évincée a alors saisi la juridiction administrative afin d’obtenir l’indemnisation de son manque à gagner résultant de son éviction qu’elle jugeait fautive.

Le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande indemnitaire par un jugement rendu le 9 juin 2022 contre lequel la société a interjeté appel. La cour administrative d’appel de Nantes a annulé ce jugement le 1er décembre 2023 et a condamné la personne publique au versement d’une indemnité. Les deux parties ont formé un pourvoi en cassation pour contester tant le principe de la responsabilité que le montant des dommages et intérêts alloués. Le litige porte sur la qualification de l’offre irrégulière au regard du droit social et sur les modalités d’évaluation du préjudice par le juge administratif.

Le Conseil d’État a rejeté les pourvois en confirmant que l’offre de l’attributaire méconnaissait la convention collective applicable rendant ainsi la procédure irrégulière. Il convient d’étudier d’abord la caractérisation de l’irrégularité tenant au droit social avant d’analyser les principes d’évaluation du préjudice retenus par le juge de cassation.

I. La reconnaissance d’une irrégularité tenant à la méconnaissance des règles sociales

A. La détermination de la convention collective applicable à l’activité de gestion aquatique

Le juge administratif vérifie si l’offre d’un candidat respecte la législation sociale en vigueur lors de l’examen de la régularité des offres présentées. L’activité de gestion d’un complexe aquatique avec un bassin sportif relève de la convention collective nationale du sport plutôt que de celle des loisirs. Le Conseil d’État relève que cet équipement a « principalement une vocation sportive » même s’il comporte aussi des espaces ludiques ou de détente à titre accessoire. L’application de la mauvaise convention collective par un candidat constitue une méconnaissance des règles sociales rendant son offre irrégulière aux yeux du pouvoir adjudicateur.

B. L’existence d’une chance sérieuse d’emporter le contrat pour le candidat évincé

Une entreprise évincée par une faute de la personne publique peut prétendre à l’indemnisation de son manque à gagner si elle justifie de chances sérieuses. La cour administrative d’appel de Nantes a relevé que l’offre de la société évincée était « ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable » lors de son classement. Le juge retient que le candidat évincé se situait en deuxième position sur deux participants avec une note globale proche de celle de l’attributaire. Il existe un « lien direct de causalité » entre la faute résultant de l’irrégularité de la procédure et le préjudice subi par l’entreprise irrégulièrement écartée.

L’irrégularité de la procédure étant établie par les juges, il convient désormais d’examiner les critères guidant l’évaluation souveraine de la réparation du préjudice.

II. L’encadrement de l’évaluation du préjudice subi par l’entreprise évincée

A. La prise en compte des résultats effectifs de l’exploitation du contrat

Le juge administratif évalue le manque à gagner en tenant compte des charges réelles et des aléas affectant l’équilibre économique de l’exploitation du marché. La juridiction peut utiliser les éléments produits par la défense « tirés des résultats de l’exploitation » par l’entreprise attributaire pour affiner le montant de l’indemnité. Cette approche permet de mesurer le caractère certain du préjudice en intégrant des facteurs extérieurs comme la situation sanitaire ou les variations énergétiques. Le Conseil d’État valide l’utilisation d’éléments postérieurs à l’attribution pour apprécier la réalité du manque à gagner invoqué par la victime de l’éviction.

B. La souveraineté des juges du fond dans la détermination de l’indemnité

Le montant de la réparation relève d’une appréciation souveraine des juges du fond qui ne peut être censurée par le juge de cassation sans dénaturation. La cour administrative d’appel de Nantes n’est pas tenue de faire usage de ses pouvoirs d’instruction si elle s’estime suffisamment éclairée par les pièces produites. Le rejet des pourvois confirme la limitation de l’indemnisation à la somme fixée en appel malgré les critiques formulées par la société demanderesse au pourvoi. Cette décision rappelle que l’aléa inhérent aux contrats d’exploitation doit être scrupuleusement intégré dans le calcul de la réparation des chances sérieuses perdues.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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