Par une décision rendue le 31 mars 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions de recevabilité d’une requête d’appel entachée d’un défaut de ministère d’avocat. En l’espèce, une administrée s’est vu réclamer par l’administration le remboursement d’un trop-perçu de rémunération, matérialisé par l’émission de plusieurs titres de perception et mises en demeure. L’intéressée a saisi le tribunal administratif d’Orléans d’une demande tendant à l’annulation de ces actes. Par un jugement du 6 février 2024, les premiers juges ont prononcé un non-lieu à statuer partiel et rejeté le surplus des conclusions de la demande. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Versailles. Par une ordonnance du 10 avril 2024, la présidente de la troisième chambre de la cour a rejeté l’appel comme manifestement irrecevable au motif que la requête n’avait pas été présentée par un avocat, alors que cette obligation était mentionnée dans la notification du jugement de première instance. L’appelante a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance, soutenant que sa requête avait été régularisée par la production d’un mémoire complémentaire présenté par un avocat avant que l’ordonnance attaquée ne soit rendue. Se posait ainsi au Conseil d’État la question de savoir si une requête d’appel, initialement irrecevable faute d’être présentée par un mandataire, peut être régularisée par une démarche spontanée de la partie avant que le juge ne statue. La Haute Juridiction administrative répond par l’affirmative, et casse l’ordonnance de la cour administrative d’appel. Elle juge en effet qu’en dépit de la faculté pour le juge d’appel de rejeter sans invitation à régulariser une requête ne respectant pas l’obligation du ministère d’avocat, une telle circonstance « ne fait pas obstacle à la régularisation spontanée de la requête avant que le juge ait statué ». En ne tenant pas compte du mémoire régularisateur produit avant son office, la juge d’appel a commis une erreur. Cette solution clarifie les conditions de régularisation des requêtes d’appel (I), tout en réaffirmant l’office du juge face aux pièces du dossier qui lui est soumis (II).
I. La clarification des modalités de régularisation de l’appel
La décision commentée offre une précision importante sur l’articulation entre le principe de l’obligation du ministère d’avocat et les possibilités offertes au requérant pour couvrir une irrecevabilité initiale. Si le principe demeure fermement appliqué (A), sa sanction se trouve tempérée par la consécration d’une faculté de régularisation spontanée (B).
A. Le rappel du principe de l’obligation du ministère d’avocat en appel
Le Conseil d’État prend soin de rappeler le cadre normatif applicable. En vertu de l’article R. 811-7 du code de justice administrative, la présentation d’un appel par un avocat est une condition de recevabilité de principe devant la cour administrative d’appel. Cette exigence vise à garantir la qualité du débat contentieux et à assurer que les moyens soulevés soient pertinemment formulés, dans une phase de la procédure où la technicité juridique est accrue. L’effectivité de cette règle est assurée par l’obligation d’information qui pèse sur les greffes, comme le précise l’article R. 751-5 du même code. La notification de la décision de première instance doit ainsi mentionner expressément cette obligation, ce qui fut le cas en l’espèce.
Le manquement à cette obligation formelle est sanctionné par l’irrecevabilité. L’article R. 612-1 du code de justice administrative distingue toutefois le sort de ces irrecevabilités. Si elles sont susceptibles d’être couvertes, le juge ne peut en principe les relever d’office qu’après avoir invité l’auteur de la requête à la régulariser. Cependant, le même article prévoit une exception notable en appel ou en cassation, permettant au juge de rejeter les conclusions « sans demande de régularisation préalable pour les cas d’irrecevabilité tirés de la méconnaissance d’une obligation mentionnée dans la notification de la décision attaquée ». Le juge d’appel disposait donc, en théorie, de la faculté de rejeter la requête sans autre formalité, ce qui justifiait la démarche de la présidente de la chambre de la cour administrative d’appel de Versailles.
B. La consécration de la régularisation spontanée de la requête
C’est sur la portée de cette faculté de rejet immédiat que la décision apporte son principal éclairage. Le Conseil d’État établit une distinction essentielle entre l’absence d’obligation pour le juge d’inviter à régulariser et l’interdiction pour le requérant de le faire de sa propre initiative. En affirmant que les dispositions de l’article R. 612-1 « ne font pas obstacle à la régularisation spontanée de la requête avant que le juge ait statué », la Haute Juridiction consacre le droit pour le justiciable de corriger son erreur procédurale tant que la messe n’est pas dite. Cette solution pragmatique évite qu’un requérant diligent, ayant pris conscience de son omission, ne soit piégé par la célérité du juge.
La régularisation est donc possible, et même encouragée, à tout moment de la procédure d’appel avant que le juge ne rende sa décision. En l’espèce, la requérante avait initialement déposé seule sa requête le 15 mars 2024, mais un avocat avait ensuite produit un mémoire complémentaire en son nom le 5 avril 2024. L’ordonnance de rejet n’étant intervenue que le 10 avril 2024, la régularisation était donc intervenue en temps utile. Le Conseil d’État indique ainsi clairement que le droit de procéder à une régularisation spontanée prime sur la faculté de rejet sans invitation ouverte au juge. Cette clarification renforce la sécurité juridique des justiciables et privilégie une approche moins formaliste de la procédure.
II. La réaffirmation de l’office du juge et de ses limites
Au-delà de la question de la régularisation, l’arrêt se prononce sur l’étendue du contrôle du juge et sanctionne sévèrement son manquement. Il retient une qualification rigoureuse de l’erreur commise par le juge d’appel (A), ce qui contribue à renforcer la protection des droits des justiciables (B).
A. La sanction d’une lecture erronée du dossier par la dénaturation
Pour censurer l’ordonnance attaquée, le Conseil d’État ne se fonde pas sur une erreur de droit dans l’interprétation des textes, mais sur un moyen plus radical : la dénaturation des pièces du dossier. Cette qualification est réservée aux cas où le juge, en statuant, a méconnu le contenu clair et non sujet à interprétation d’un document régulièrement versé au débat. En retenant cette qualification, la Haute Juridiction considère que la présidente de la chambre n’a pas seulement mal apprécié la portée de la régularisation ; elle n’a, matériellement, pas pris en compte l’existence même du mémoire complémentaire qui avait été enregistré au greffe.
La sanction est ainsi particulièrement forte. Elle souligne l’obligation pour le juge de fonder sa décision sur l’intégralité des pièces qui lui sont soumises à la date où il statue. En jugeant que « en rejetant comme irrecevable la requête de Mme A…, au motif qu’elle n’avait pas été présentée par un avocat alors que ce défaut avait été régularisé, la présidente de la 3ème chambre de la cour administrative d’appel de Versailles a dénaturé les pièces du dossier », le Conseil d’État rappelle que l’office du juge ne s’arrête pas à la requête initiale. Il doit s’assurer, avant de clore l’instruction et de statuer, qu’aucun nouvel élément, tel qu’un mémoire régularisateur, n’a été produit. L’erreur du juge n’est donc pas une simple divergence d’interprétation mais une faute matérielle dans l’exercice de sa fonction de juger.
B. Une portée protectrice pour le justiciable
En censurant l’ordonnance, cette décision revêt une portée protectrice significative pour les justiciables. Elle envoie un signal clair aux juridictions du fond sur la nécessité d’un examen exhaustif et actualisé des dossiers, même dans le cadre d’une procédure d’ordonnance supposément rapide. Elle garantit que le droit d’accès au juge d’appel ne soit pas anéanti par un formalisme excessif, dès lors que le requérant a fait preuve de diligence pour corriger son manquement initial. La solution adoptée trouve un juste équilibre entre la nécessité d’encadrer la procédure d’appel et la préservation des droits de la défense.
En définitive, cet arrêt rappelle que si les règles de procédure doivent être respectées, elles ne sauraient constituer des pièges pour des justiciables qui, bien qu’ayant commis une erreur initiale, manifestent la volonté de se conformer aux exigences du code de justice administrative. La possibilité d’une régularisation spontanée jusqu’au prononcé de la décision est une garantie fondamentale, dont le respect est assuré par le contrôle rigoureux du juge de cassation sur la manière dont les juges du fond appréhendent les pièces du dossier. L’affaire est ainsi renvoyée à la cour administrative d’appel de Versailles pour qu’elle statue, cette fois, au fond.