Par un arrêt en date du 1er juillet 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions d’application de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux leçons dispensées à titre personnel. En l’espèce, un enseignant de danse exerçant à titre individuel a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a remis en cause le bénéfice de cette exonération. L’administration lui a notifié des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et a réintégré certaines charges à ses bénéfices non commerciaux. Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Grenoble afin d’obtenir la décharge de ces impositions, mais sa demande a été rejetée par un jugement du 8 juillet 2021. Il a interjeté appel de cette décision devant la cour administrative d’appel de Lyon, laquelle a confirmé le jugement par un arrêt du 24 novembre 2022. Le requérant a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, soutenant que les juges du fond avaient commis une erreur de droit en lui refusant le bénéfice de l’exonération. Il convenait donc de déterminer si un enseignant qui dispense des cours avec le concours de tiers peut prétendre à l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée pour les leçons qu’il donne personnellement. Le Conseil d’État rejette le pourvoi, considérant que le recours à des tiers pour dispenser des leçons fait obstacle à ce que l’activité soit regardée comme exercée à titre personnel, privant ainsi l’enseignant du bénéfice de l’exonération pour l’ensemble des cours dispensés au sein de sa structure.
La Haute Juridiction administrative adopte une lecture restrictive de la condition de l’enseignement « à titre personnel », liant l’exonération à l’absence de toute intervention de tiers dans l’organisation de l’activité (I). Cette interprétation rigoureuse emporte des conséquences logiques sur le plan probatoire et procédural, renforçant les obligations qui pèsent sur le contribuable (II).
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I. Une conception restrictive du caractère personnel de l’enseignement
Le Conseil d’État précise les contours de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée en liant celle-ci à une condition d’exercice exclusif de l’activité par l’enseignant (A), rendant inopérante toute distinction comptable interne à l’entreprise (B).
A. L’exclusion de l’exonération en cas de concours de tiers
L’article 261 du code général des impôts, qui transpose la directive européenne sur la taxe sur la valeur ajoutée, exonère « les cours ou leçons relevant de l’enseignement scolaire, universitaire, professionnel, artistique ou sportif, dispensés par des personnes physiques qui sont rémunérées directement par leurs élèves ». Le Conseil d’État, pour interpréter cette disposition, juge que « les leçons qu’un enseignant donne en bénéficiant du concours d’autres personnes, notamment salariées, ne peuvent, par suite, quelles que soient les fonctions exercées par ces personnes, bénéficier d’une telle exonération ». Cette formule, par sa généralité, établit un critère organique strict : dès lors que la structure dans laquelle les leçons sont données implique l’intervention d’autres personnes, l’exonération est écartée dans son ensemble.
En l’espèce, le requérant dirigeait une école de danse et avait eu recours, pour les années 2014 et 2015, à des tiers prestataires. Le juge en déduit que cette seule circonstance suffisait à écarter le bénéfice de l’exonération pour l’ensemble de l’activité de l’école. Cette solution confirme une approche globale de l’activité, où le caractère « personnel » de la prestation ne s’évalue pas leçon par leçon, mais au niveau de l’organisation même de l’entreprise. La décision s’attache donc moins à la personne qui dispense physiquement le cours qu’à la structure économique qui le propose, laquelle ne doit reposer que sur l’enseignant lui-même pour que l’exonération soit applicable.
B. L’indifférence de la ventilation comptable des recettes
Face à cette organisation collective, le contribuable tentait de sauver une partie de l’exonération en isolant, par sa comptabilité, les recettes issues des cours qu’il dispensait personnellement. Le Conseil d’État balaye cet argument en précisant que le mode d’organisation de l’activité primait sur les modalités de comptabilisation. Les leçons dispensées par l’intéressé lui-même ne pouvaient ouvrir droit à l’exonération « alors même que les recettes afférentes à ces leçons auraient été distinguées, dans la comptabilité de l’assujetti, des recettes tirées de ses autres activités ».
Cette précision est essentielle car elle rend inopérante toute tentative de scission artificielle de l’activité. Permettre une telle ventilation reviendrait à affaiblir la portée du critère organique posé par la jurisprudence. La solution retenue a le mérite de la clarté et prévient les montages visant à optimiser la charge fiscale en créant des compartiments étanches au sein d’une même structure. Le caractère personnel de l’enseignement est une condition de fond qui s’apprécie au regard de la réalité économique de l’activité, et non des écritures comptables qui en retracent les flux financiers. Cette rigueur dans l’appréciation de la condition d’exonération se double d’une exigence probatoire tout aussi stricte.
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II. Les conséquences probatoires et procédurales du défaut d’éligibilité
Le rejet de la demande d’exonération entraîne des conséquences en chaîne, d’abord en matière de charge de la preuve (A), puis quant à la régularité des procédures de rectification mises en œuvre par l’administration (B).
A. La charge de la justification pesant sur le contribuable
Pour la période au cours de laquelle le contribuable n’avait pas eu recours à des tiers, la question de la preuve devenait centrale. La cour administrative d’appel avait relevé que le requérant n’avait « pas justifié des recettes de l’activité d’enseignement exercée personnellement ». Le Conseil d’État valide ce raisonnement en soulignant que le contribuable n’avait conservé « aucune pièce justificative de ses recettes », à l’exception de quelques factures dont le montant était dérisoire au regard du total des recettes enregistrées. En statuant ainsi, les juges du fond ont fait une application orthodoxe des règles de dévolution de la charge de la preuve en matière fiscale.
Il appartient en effet au contribuable qui se prévaut d’un régime dérogatoire, telle une exonération, de démontrer qu’il en remplit toutes les conditions. Faute de pouvoir produire les pièces justificatives permettant à l’administration de vérifier « la concordance et l’exactitude des recettes ainsi que le bien-fondé de leur répartition », le requérant ne pouvait valablement prétendre à l’exonération. Le Conseil d’État rappelle ici que l’appréciation des faits et des pièces du dossier par les juges du fond est souveraine, et qu’elle ne peut être remise en cause en cassation sauf dénaturation, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. L’absence de justification emporte donc des conséquences radicales.
B. La validation des procédures de taxation d’office et de calcul du chiffre d’affaires
La défaillance du contribuable sur le terrain de la preuve et son interprétation erronée du champ de l’exonération justifient la régularité des procédures subséquentes. D’une part, le Conseil d’État juge que l’administration avait pu « régulièrement recourir à la procédure de taxation d’office » prévue par le livre des procédures fiscales. En effet, le contribuable, se croyant à tort exonéré, n’avait pas souscrit les déclarations de chiffre d’affaires requises, ce qui constitue un manquement justifiant le recours à cette procédure.
D’autre part, la Haute Juridiction valide le calcul du chiffre d’affaires opéré pour déterminer si le régime de la franchise en base de taxe était applicable. Elle juge que « l’intégralité de son chiffre d’affaires, y compris celui dont il soutenait qu’il correspondait à des leçons dispensées à titre personnel, devait être retenu ». Cette solution est la conséquence logique du rejet de l’exonération : les recettes issues des leçons, devenues taxables, devaient être intégralement prises en compte dans le calcul du seuil de la franchise. L’arrêt illustre ainsi l’effet domino qui caractérise souvent le contentieux fiscal : une erreur d’analyse initiale sur une condition de fond entraîne la perte de régimes de faveur et la mise en œuvre de procédures de rectification plus contraignantes pour le contribuable.