8ème chambre du Conseil d’État, le 13 mai 2025, n°493811

Par une décision portant sur la procédure préalable d’admission, le Conseil d’État se prononce sur le caractère sérieux des moyens soulevés à l’encontre d’un arrêt de cour administrative d’appel en matière fiscale.

Un contribuable a fait l’objet d’une cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2012, assortie de pénalités. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif d’Amiens, par un jugement du 27 octobre 2022, a prononcé la décharge d’une partie des pénalités mais a maintenu le rehaussement d’imposition. Le contribuable a interjeté appel de ce jugement. Par un arrêt du 22 février 2024, la cour administrative d’appel de Douai a non seulement rejeté son appel, mais a également, sur appel incident du ministre, substitué à la pénalité initialement appliquée une autre majoration prévue par le code général des impôts. C’est dans ces conditions que le contribuable a formé un pourvoi en cassation, soulevant plusieurs moyens à l’encontre de l’arrêt de la cour.

Le requérant soutenait principalement que la cour avait insuffisamment motivé sa décision, méconnu les droits de la défense en raison de la difficulté à produire des preuves dix ans après les faits, et commis des erreurs de droit et de qualification juridique des faits tant sur le bien-fondé de la réduction d’impôt que sur l’application de la nouvelle pénalité. Se posait alors la question de savoir si les arguments avancés par le contribuable, relatifs d’une part aux conditions de la remise en cause d’un avantage fiscal et d’autre part à la sanction appliquée, présentaient un caractère suffisamment sérieux pour justifier une admission du pourvoi en cassation.

Le Conseil d’État opère une distinction nette entre les moyens présentés. Il juge que ceux contestant la remise en cause de la réduction d’impôt ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi. En revanche, il admet les conclusions dirigées contre l’arrêt en tant qu’il a substitué une nouvelle majoration à la pénalité d’origine. La Haute juridiction effectue ainsi un filtrage rigoureux, ne retenant que la question de droit qui, à ses yeux, mérite un examen au fond.

Il convient d’analyser dans un premier temps le rejet des moyens relatifs au fond du litige (I), avant d’examiner dans un second temps l’admission du moyen portant sur la sanction appliquée (II).

***

I. Le rejet des moyens contestant le bien-fondé du rehaussement d’imposition

La décision de non-admission partielle du Conseil d’État confirme implicitement que les arguments du requérant touchant au rehaussement fiscal relevaient davantage d’une discussion sur les faits que d’une véritable question de droit nouvelle ou complexe. Cette position se manifeste à travers le rejet des moyens relatifs à la difficulté probatoire (A) et la consécration de l’appréciation des juges du fond (B).

A. Des moyens jugés insuffisants quant à la difficulté probatoire

Le pourvoi soulevait que la cour administrative d’appel avait « insuffisamment motivé sa décision en ne répondant pas au moyen tiré de la déperdition des preuves dix années après la réalisation de l’investissement ». Le requérant invoquait également une méconnaissance du principe des droits de la défense et de l’égalité des armes, arguant de la difficulté de prouver le respect des conditions d’un investissement longtemps après sa réalisation. En jugeant que ces moyens ne sont pas sérieux, le Conseil d’État rappelle de manière implicite la distinction entre le contrôle de la légalité et l’appréciation des faits.

La difficulté à réunir des éléments de preuve après une longue période est une circonstance factuelle. Le juge de cassation n’a pas pour office de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juges du fond, sauf en cas de dénaturation. En l’espèce, le Conseil d’État estime que le requérant n’a pas démontré en quoi le raisonnement de la cour administrative d’appel serait entaché d’une erreur de droit dans son traitement de cette argumentation. La simple invocation d’une difficulté matérielle, aussi réelle soit-elle, ne suffit pas à constituer un moyen sérieux si elle ne se rattache pas à la violation d’une règle de procédure ou de fond précise.

B. La confirmation de l’appréciation souveraine des juges du fond

Le requérant soutenait également que la cour avait commis « une erreur de droit, inexactement qualifié les faits de l’espèce et dénaturé les pièces du dossier » en jugeant qu’il ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de la réduction d’impôt. Ces critiques sont classiques dans le contentieux fiscal et visent à remettre en cause l’analyse portée par les juges sur les éléments constitutifs de l’avantage fiscal. En écartant ce moyen, le Conseil d’État réaffirme le principe selon lequel l’appréciation des faits et des pièces du dossier relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Le contrôle du juge de cassation se limite à vérifier que cette appréciation n’est pas entachée de dénaturation, c’est-à-dire d’une erreur matérielle grossière dans la lecture des documents soumis. Le fait que le requérant conteste la qualification juridique retenue n’a pas été suffisant pour convaincre la Haute juridiction de l’existence d’un moyen sérieux. Cela suggère que la cour administrative d’appel a correctement appliqué les critères légaux aux faits de l’espèce, sans les déformer. Le refus d’admission sur ce point ferme la porte à une nouvelle discussion sur le bien-fondé même du rehaussement fiscal.

Si les moyens relatifs à l’assiette de l’impôt sont écartés, la Haute juridiction adopte une solution distincte concernant la sanction infligée, jugeant cette question digne d’un examen approfondi.

II. L’admission du moyen relatif à la substitution de la sanction

À l’inverse du sort réservé aux autres moyens, le Conseil d’État admet le pourvoi en tant qu’il conteste la substitution de pénalité opérée par la cour. Cette admission révèle l’existence d’une question de droit jugée sérieuse, tenant au pouvoir du juge d’appel (A), et annonce une clarification potentielle de la part du juge de cassation (B).

A. La remise en cause du pouvoir de substitution du juge d’appel

La décision admet le pourvoi « en tant que l’arrêt attaqué a fait droit à l’appel incident du ministre tendant à ce qu’il soit substitué aux pénalités initialement appliquées la majoration de 10 % prévue par le I de l’article 1758 A du code général des impôts ». C’est donc le geste même de la cour administrative d’appel qui est au cœur du débat admis en cassation. En effet, la cour n’a pas simplement confirmé ou infirmé une pénalité, elle en a appliqué une nouvelle sur demande de l’administration, dans le cadre d’un appel incident.

Cette situation soulève une question de droit précise : le juge d’appel, saisi par l’administration, peut-il substituer une base légale de pénalité à une autre, potentiellement pour aggraver le sort du contribuable par rapport à la décision de première instance ? La question interroge les limites de l’office du juge administratif et les garanties offertes au contribuable. Le caractère sérieux de ce moyen tient à la nécessité de vérifier si la cour n’a pas excédé ses pouvoirs ou méconnu les règles de procédure applicables à la substitution de base légale en matière de sanctions fiscales.

B. La portée potentielle de la future décision au fond

L’admission de ce seul moyen circonscrit le débat à venir devant le Conseil d’État. La discussion ne portera plus sur le montant de l’impôt lui-même, mais uniquement sur la légalité de la majoration de 10 % appliquée en appel. La future décision au fond devra se prononcer sur l’étendue des pouvoirs du juge d’appel lorsqu’il statue sur un appel incident du ministre. Elle pourrait ainsi préciser les conditions dans lesquelles une pénalité peut être remplacée par une autre en cours d’instance.

La portée de cette future décision pourrait dépasser le cas d’espèce. Elle est susceptible de clarifier l’articulation entre le pouvoir de substitution du juge, le principe du contradictoire et les droits de la défense en matière de sanctions. En fonction de la solution retenue, elle pourrait soit conforter les prérogatives de l’administration et du juge en appel pour assurer l’application correcte de la loi fiscale, soit, au contraire, renforcer les garanties du contribuable contre une modification de la sanction en sa défaveur au stade de l’appel. La présente décision d’admission, par son caractère ciblé, prépare ainsi le terrain à un arbitrage juridique potentiellement important.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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