Par une décision en date du 20 juin 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur l’admission d’un pourvoi en cassation relatif à la déductibilité de certaines sommes du bénéfice imposable d’un professionnel libéral.
Un avocat a fait l’objet de cotisations supplémentaires d’impôt au titre de l’année 2017. L’administration fiscale a notamment réintégré dans ses revenus imposables une somme de 157 272 euros correspondant au remboursement d’honoraires jugés excessifs à l’une de ses clientes. Ce remboursement faisait suite à une décision du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, laquelle fut confirmée par le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris. Le contribuable a contesté ce redressement.
Le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 29 mars 2023, a rejeté sa demande. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 26 septembre 2024, a partiellement réformé le jugement de première instance mais a confirmé le refus de déduction de la somme de 157 272 euros. Les juges du fond ont estimé que ce remboursement ne pouvait être regardé comme une charge se rattachant à l’exercice normal de la profession. Le requérant a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, soutenant que la cour avait commis une erreur de droit et une inexacte qualification juridique des faits.
La question de droit soulevée par cette procédure d’admission était donc de savoir si le moyen contestant le refus de qualifier de charge professionnelle déductible le remboursement d’un trop-perçu d’honoraires, effectué en exécution d’une décision ordinale, présentait un caractère sérieux justifiant une instruction au fond par le juge de cassation.
Le Conseil d’État, par la présente décision, admet les conclusions du pourvoi sur ce point précis. Il juge que le moyen soulevé est suffisamment sérieux pour que l’affaire soit examinée sur le fond. En revanche, il rejette les autres moyens qui ne présentaient pas le même degré de pertinence.
Il s’agira d’analyser le filtrage opéré par la haute juridiction administrative qui consacre le caractère sérieux du moyen relatif à la déductibilité de la charge (I), avant d’étudier la portée de cette admission quant à la définition des dépenses inhérentes à l’exercice d’une profession libérale (II).
I. La consécration du caractère sérieux du moyen relatif à la déductibilité d’une charge professionnelle
La décision rendue par le Conseil d’État opère un tri parmi les arguments du requérant en application de la procédure d’admission des pourvois (A), pour ne retenir que la question substantielle concernant la nature de la dépense litigieuse (B).
A. Le mécanisme d’admission des pourvois en cassation
Le Conseil d’État, en vertu de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, exerce une fonction de filtrage des pourvois dont il est saisi. Cette procédure préalable d’admission lui permet de refuser, par une décision juridictionnelle, les pourvois irrecevables ou ceux qui ne sont fondés sur aucun moyen sérieux. L’objectif est de réserver l’intervention du juge de cassation aux affaires qui soulèvent des questions de droit présentant un réel intérêt. En l’espèce, la haute juridiction a examiné les trois moyens soulevés par le contribuable.
Elle a ainsi écarté le grief relatif à une somme de 1 000 euros et celui contestant une substitution de motifs opérée par l’administration. Ces moyens ont été jugés insuffisamment sérieux pour justifier l’annulation de l’arrêt d’appel. La décision d’admission est donc une application rigoureuse de ce mécanisme de régulation du contentieux de cassation. Elle concentre le débat sur le seul point de droit qui, aux yeux du Conseil d’État, mérite un examen approfondi, témoignant d’une volonté de ne statuer au fond que sur les questions juridiques qui le justifient.
B. L’identification d’une question de droit substantielle
Le moyen jugé sérieux est celui qui conteste l’analyse de la cour administrative d’appel de Paris. Celle-ci avait estimé que le remboursement d’un trop-perçu d’honoraires, bien qu’ordonné par les instances professionnelles, ne constituait pas une charge « se rattachant à l’exercice normal de la profession ». Le pourvoi soutenait qu’une telle interprétation procédait d’une erreur de droit et d’une qualification juridique inexacte des faits. En admettant ce moyen, le Conseil d’État considère que la question n’est pas évidente et que la solution retenue par les juges du fond est critiquable.
La discussion porte sur le lien de causalité entre la dépense et l’activité professionnelle. Le caractère obligatoire du remboursement, découlant d’une décision du bâtonnier, soulève la question de savoir si une telle charge perd son caractère professionnel du simple fait qu’elle sanctionne une pratique tarifaire jugée excessive. En qualifiant ce moyen de « sérieux », le Conseil d’État reconnaît implicitement que la notion « d’exercice normal de la profession » pourrait avoir été interprétée de manière trop restrictive par la cour.
La présente décision d’admission ouvre ainsi la voie à un examen au fond qui permettra de clarifier les critères de déductibilité d’une charge née d’un litige avec un client. Cette étape préfigure une potentielle remise en cause de la position des juges du fond sur la notion de dépense professionnelle.
II. La portée de l’admission quant à la qualification de dépense professionnelle
L’admission de ce pourvoi, même si elle ne préjuge pas de la solution au fond, invite à une réflexion sur la conception de la charge déductible (A) et laisse entrevoir une possible clarification de la notion de dépense inhérente à l’exercice d’une profession libérale (B).
A. La remise en cause d’une conception restrictive de la charge déductible
La cour administrative d’appel a jugé que le remboursement forcé d’honoraires ne relevait pas de l’exercice normal de la profession. Cette approche semble lier la déductibilité d’une charge à l’absence de toute faute ou de tout manquement déontologique. Or, une telle vision peut paraître restrictive. Une dépense peut être engagée dans l’intérêt direct de l’exploitation, même si elle trouve son origine dans une erreur de gestion ou un différend avec un tiers. Le remboursement litigieux, bien que contraint, a pour objet d’apurer une dette née de l’activité même de l’avocat, à savoir la facturation de ses prestations.
Refuser la déduction d’une telle somme revient à considérer que la charge est la conséquence d’une faute personnelle détachable de l’activité professionnelle. En admettant le pourvoi, le Conseil d’État signale que cet argument n’est pas suffisant. Il sera amené à déterminer si une dépense qui corrige une perception de revenus, ultérieurement jugée indue dans son montant, conserve un lien direct avec l’activité qui a généré ces mêmes revenus. La solution qui sera rendue au fond aura donc une incidence importante sur la délimitation des charges d’exploitation.
B. Vers une clarification de la notion de dépense inhérente à l’exercice de la profession
Au-delà du cas d’espèce, la future décision du Conseil d’État est attendue pour sa portée de principe. La question est de savoir si une dépense résultant d’une décision d’une autorité ordinale, qui sanctionne une pratique professionnelle, doit être systématiquement exclue des charges déductibles. Une réponse positive créerait une insécurité pour de nombreux professionnels libéraux, dont l’activité est encadrée par des règles déontologiques strictes. L’arbitrage entre la nécessité de préserver les intérêts du Trésor et la prise en compte de la réalité économique des professions réglementées est ici au cœur du débat.
En se donnant l’opportunité de statuer au fond, le Conseil d’État pourra préciser si le critère de la « normalité » de la gestion s’oppose à la déduction de charges qui, bien que nées d’un dysfonctionnement, sont néanmoins exposées dans le cadre et pour les besoins de l’activité. La solution future permettra de définir plus clairement la frontière entre les dépenses professionnelles et les pénalités ou sanctions à caractère personnel non déductibles. L’admission de ce pourvoi constitue donc le prélude à une clarification jurisprudentielle potentiellement significative pour l’ensemble des professions libérales.