Par une décision du 25 septembre 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur le caractère sérieux d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d’assurance.
Une société d’assurance a été assujettie à des cotisations de taxe sur les excédents de provisions pour sinistres au titre des exercices 2020 à 2022. Contestant ces impositions devant le tribunal administratif de Montreuil, la société a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de l’article 235 ter X du code général des impôts aux droits et libertés garantis par la Constitution. Par une ordonnance du 9 juillet 2025, le tribunal administratif a transmis cette question au Conseil d’État. La société requérante soutenait que les dispositions contestées méconnaissaient les principes d’égalité devant la loi et les charges publiques, la garantie des droits, le droit de propriété, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.
Il revenait au Conseil d’État de déterminer si les griefs formulés à l’encontre des dispositions législatives instaurant la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d’assurance présentaient un caractère sérieux justifiant une saisine du Conseil constitutionnel.
Le Conseil d’État a répondu par la négative à cette question. Il juge que la question soulevée ne présente pas de caractère sérieux, écartant ainsi la transmission au Conseil constitutionnel au motif que les dispositions critiquées ne portent pas une atteinte caractérisée aux principes constitutionnels invoqués.
Le Conseil d’État a ainsi validé la spécificité du régime fiscal applicable aux entreprises d’assurance en rejetant les griefs tirés d’une rupture du principe d’égalité (I), avant de confirmer l’office restreint du juge dans le contrôle de la loi fiscale en écartant les autres moyens soulevés (II).
I. Le rejet des griefs tirés d’une rupture du principe d’égalité
Le Conseil d’État a considéré que la différence de traitement instituée par le législateur n’était pas contraire au principe d’égalité devant la loi fiscale (A) et ne constituait pas une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques (B).
A. L’absence d’une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi fiscale
La société requérante arguait d’une différence de traitement injustifiée entre les entreprises d’assurance de dommages, soumises à la taxe litigieuse, et les entreprises d’autres secteurs économiques qui, bien que constituant également des provisions, n’y sont pas assujetties. Le Conseil d’État écarte ce moyen en rappelant qu’il est loisible au législateur de ne faire reposer une imposition que sur une seule catégorie de contribuables, à condition que la différence de traitement qui en résulte ne soit pas injustifiée.
Pour ce faire, le juge se fonde sur les particularités du secteur de l’assurance. Il estime que, « eu égard notamment à leur domaine d’intervention, à la nature de leur activité et à la fonction spécifique des provisions pour sinistres dans le modèle économique des entreprises d’assurance de dommages », ces dernières ne se trouvent pas dans une situation identique à celle des entreprises d’autres secteurs. La différence de traitement est donc considérée comme étant en rapport direct avec les objectifs de la loi, à savoir neutraliser un avantage de trésorerie et inciter à une provision plus juste. La spécificité du risque assurantiel et de sa gestion technique justifie ainsi une approche fiscale distincte.
B. L’absence d’une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques
La requérante soutenait également que le taux de la taxe, fixé à 0,40 % par mois, ne reposait plus sur des critères objectifs et rationnels depuis qu’il était devenu supérieur au taux de l’intérêt de retard de droit commun. Le Conseil d’État rejette ce grief en soulignant que le législateur, pour assurer le respect du principe d’égalité, doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose.
Le juge estime que le législateur n’a pas entraîné de « rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques » en maintenant ce taux. Le choix d’un taux supérieur à celui de l’intérêt de retard est justifié par la double finalité de la norme : non seulement compenser le préjudice pour l’État, mais aussi inciter les entreprises à la prudence dans le provisionnement. Le Conseil d’État reconnaît ainsi au législateur une marge d’appréciation pour fixer les modalités d’une imposition, dès lors que celles-ci ne sont pas manifestement disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
II. La confirmation de l’office restreint du juge dans le contrôle de la loi fiscale
Au-delà de la question de l’égalité, le Conseil d’État a écarté les autres arguments de la requérante, en refusant de reconnaître une atteinte à la garantie des droits (A) et en déclarant inopérants les griefs tirés de l’incompétence négative et de l’inintelligibilité de la loi (B).
A. Le rejet du grief fondé sur la méconnaissance de la garantie des droits
La société requérante invoquait une atteinte aux effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs. Elle estimait que la décorrélation du taux de la taxe avec celui de l’intérêt de retard, après une longue période de coïncidence, violait une attente légitime. Le Conseil d’État oppose une fin de non-recevoir à cet argument en relevant que la critique porte sur une absence d’évolution de la loi et non sur une remise en cause d’une situation légalement acquise.
Le juge précise que « la seule circonstance que le niveau du taux de la taxe sur les excédents de provisions pour sinistres des entreprises d’assurance ait pu, en pratique, coïncider de 1988 à 2017 avec celui de l’intérêt de retard », n’était pas de nature à créer une attente légitime protégée par la Constitution. Cette solution rappelle la stricte interprétation de la notion de garantie des droits, qui ne protège pas contre les déceptions nées d’une modification des politiques législatives ou de l’absence de leur adaptation.
B. Le rejet des griefs inopérants tirés de l’incompétence négative et de l’inintelligibilité de la loi
Enfin, le Conseil d’État écarte les derniers moyens soulevés par la requérante en se fondant sur les règles procédurales propres à la question prioritaire de constitutionnalité. Il rappelle que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence, ou incompétence négative, ne peut être invoquée que si elle affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
De même, si l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi a une valeur constitutionnelle, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être utilement invoquée dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Par cette motivation, le Conseil d’État confirme son rôle de filtre, qui le conduit à vérifier non seulement le sérieux des arguments de fond, mais également leur opérance au regard des conditions spécifiques de recevabilité des griefs dans ce contentieux particulier. Il ferme ainsi la porte à une contestation de la loi fiscale fondée sur des critiques générales de sa qualité formelle.