En matière fiscale, le temps et la procédure sont deux maîtres exigeants dont la maîtrise conditionne l’étendue des droits du contribuable. Un arrêt rendu par le Conseil d’État le 15 janvier 2025 vient illustrer avec rigueur les conséquences d’une démarche de régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). En l’espèce, une société avait collecté et reversé au Trésor public une TVA afférente à une opération de cession de travaux d’études en 2011. L’administration fiscale, à l’occasion d’une vérification portant sur la société cliente, a par la suite estimé que cette opération n’aurait pas dû être soumise à la taxe, remettant en cause la déductibilité de celle-ci pour l’acquéreur. La société venderesse, venant aux droits de la société initiale, a alors cherché à obtenir le remboursement de la taxe indûment versée. Une première tentative, initiée par une facture rectificative et une demande de remboursement en 2016, fut rejetée par l’administration. Une seconde démarche, fondée sur une nouvelle facture rectificative et une nouvelle demande en avril 2018, fut quant à elle couronnée de succès, le remboursement intervenant en mai 2018. La société a alors sollicité le versement d’intérêts moratoires, estimant que ceux-ci devaient courir depuis le paiement initial de la taxe en 2011. Suite au rejet de cette demande par l’administration, le litige fut porté devant le tribunal administratif de Toulouse, puis devant la cour administrative d’appel de Toulouse, qui rejetèrent successivement les prétentions de la société par des décisions des 15 juin 2020 et 16 mars 2023. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État était ainsi conduit à trancher la question de la détermination du point de départ des intérêts moratoires dus au titre d’un remboursement de TVA consécutif, non à une réclamation contentieuse sur le bien-fondé de l’imposition, mais à une régularisation opérée par le redevable lui-même après avoir facturé une taxe par erreur. Il s’agissait plus précisément de savoir si ce point de départ devait être la date du versement initial de la taxe ou celle de la demande de remboursement qui a effectivement abouti. Par sa décision, la Haute Juridiction rejette le pourvoi, considérant que le remboursement ne portait pas sur la taxe initialement versée mais sur le crédit de TVA né de la régularisation, et que par conséquent, les intérêts ne pouvaient courir qu’à compter de la réclamation ayant fait apparaître ce crédit.
La solution adoptée par le Conseil d’État repose sur une qualification rigoureuse du mécanisme de remboursement de la TVA (I), distinction qui emporte des conséquences directes sur la charge procédurale incombant au redevable souhaitant faire valoir ses droits (II).
I. La qualification du remboursement de TVA, clé de la détermination du point de départ des intérêts moratoires
Le Conseil d’État fonde son raisonnement sur une analyse stricte de la nature juridique de la somme remboursée. Il écarte l’idée d’une simple restitution d’un paiement indu (A) pour consacrer la thèse de la naissance d’un crédit de taxe par l’effet de la procédure de régularisation (B).
A. Le rejet d’une assimilation du remboursement à une restitution de l’indu
La prétention du requérant reposait sur une logique simple : une taxe ayant été payée à tort en 2011, son remboursement ultérieur devait être assorti d’intérêts courant depuis cette date, comme pour la restitution d’un paiement effectué sans cause. Le Conseil d’État écarte cette analyse en s’appuyant sur le mécanisme propre à la TVA, et plus particulièrement sur le 3 de l’article 283 du code général des impôts. Aux termes de ce texte, toute personne qui mentionne la TVA sur une facture en est redevable du seul fait de cette facturation. La Haute Juridiction en tire une conséquence imparable : la taxe facturée en 2011, bien qu’erronée, « était légalement due au Trésor tant qu’aucune régularisation n’avait été entreprise ». Il n’y avait donc pas, au moment de son paiement, de perception indue par l’État. Le fait générateur de l’obligation de verser la taxe n’était pas l’opération économique sous-jacente, mais bien la mention de la taxe sur le document de facturation. Cette orthodoxie juridique empêche de considérer que l’État détenait sans droit les sommes depuis 2011, et fait obstacle au calcul des intérêts moratoires à partir de cette date. Le remboursement n’est donc pas la conséquence d’une erreur initiale de l’administration ou d’une perception ab initio illégale, mais l’aboutissement d’une démarche corrective initiée par le contribuable.
B. L’affirmation de la naissance d’un crédit de taxe par la régularisation
Si le remboursement n’est pas la restitution d’un indu, sa nature doit être autre. Le Conseil d’État la définit avec clarté : il s’agit d’un « crédit de taxe né de sa régularisation ». En émettant une facture rectificative qui annule et remplace la précédente, le redevable n’efface pas rétroactivement son obligation passée, mais constate une créance sur le Trésor. Cette créance vient s’inscrire dans ses déclarations de chiffre d’affaires et génère, comme tout excédent de TVA déductible sur la TVA collectée, un crédit de taxe. Dès lors, le régime applicable aux intérêts moratoires est celui prévu par l’article L. 208 du livre des procédures fiscales pour les remboursements de crédits de TVA. Pour ces derniers, en l’absence de paiement antérieur du contribuable à restituer, la jurisprudence constante fixe le point de départ des intérêts « à compter de la date de la réclamation qui fait apparaître le crédit remboursable ». La solution est donc une application directe de ce principe : la régularisation ayant créé un crédit, seuls les retards imputables à l’administration dans le traitement de la demande de remboursement de ce crédit peuvent ouvrir droit à intérêts, et ce à compter de ladite demande.
II. Une solution orthodoxe réaffirmant la rigueur procédurale en matière fiscale
La décision commentée, au-delà de sa technicité, constitue un rappel de la prééminence des règles de procédure en droit fiscal. Elle souligne la portée limitée d’une première demande infructueuse et non contestée (A) et rappelle ainsi la diligence qui pèse sur l’assujetti pour la sauvegarde de ses droits (B).
A. La portée limitée de la première demande de remboursement infructueuse
Un aspect essentiel du litige tenait à l’existence de deux demandes de remboursement successives, l’une en 2016 rejetée, l’autre en 2018 acceptée. Le requérant aurait pu soutenir que la seconde n’était que la continuation de la première, l’administration étant simplement revenue sur son refus initial. Le Conseil d’État balaye cette argumentation en relevant que la demande de 2018, fondée sur une nouvelle facture rectificative et une nouvelle déclaration, portait sur un crédit de taxe distinct et ouvrait « une instance fiscale distincte de celle qui avait été ouverte précédemment ». En ne contestant pas le rejet de sa demande de 2016, la société a laissé cette décision administrative devenir définitive. La nouvelle demande de 2018 ne pouvait donc être analysée comme une réclamation tendant à la réparation d’une erreur commise par l’administration dans son premier refus. Elle constituait une démarche entièrement nouvelle, ouvrant un nouveau délai et une nouvelle appréciation. Cette approche, très formaliste, démontre que chaque acte procédural en matière fiscale est autonome et que l’inaction du contribuable face à une décision de rejet a pour effet de clore définitivement le débat relatif à la demande initiale.
B. Le rappel de la charge procédurale pesant sur l’assujetti
En définitive, cette décision a une portée pédagogique importante pour les redevables. Elle confirme qu’une erreur de facturation de TVA place le contribuable dans une situation où il est à la fois redevable de la taxe et créancier potentiel de sa restitution, mais que la transformation de cette créance potentielle en droit effectif au remboursement est subordonnée à une procédure de régularisation menée avec diligence. Le droit aux intérêts moratoires, accessoire du droit au remboursement, est lui-même conditionné par la célérité et la correction de cette procédure. L’arrêt souligne que la date à partir de laquelle le temps joue en faveur du contribuable n’est pas celle de son erreur initiale, mais celle où il met l’administration en demeure de la corriger par une demande en bonne et due forme. En jugeant que la seconde demande de 2018 était une nouvelle instance, le Conseil d’État confirme qu’une procédure mal engagée ou un refus non contesté ne peuvent être rattrapés. La solution, bien que sévère pour le contribuable qui a attendu plusieurs années son remboursement, apparaît ainsi comme une application logique des principes directeurs du contentieux fiscal, qui exigent des acteurs une rigueur procédurale sans faille.