Par une décision du 15 janvier 2025, le Conseil d’État se prononce sur les conditions de recevabilité de l’action en remboursement d’une créance de crédit d’impôt recherche ayant fait l’objet d’une cession.
Une société mère, agissant en qualité de tête d’un groupe fiscalement intégré, a déclaré des crédits d’impôt recherche au titre de dépenses engagées par l’une de ses filiales. Par la suite, cette société a cédé les créances correspondantes à un établissement de crédit, conformément aux dispositions du code monétaire et financier relatives à la cession de créances professionnelles. L’établissement cessionnaire a présenté des réclamations auprès de l’administration fiscale afin d’obtenir le remboursement de ces créances, mais n’a obtenu qu’une satisfaction partielle. En conséquence, la société cédante a saisi le tribunal administratif de Toulouse pour demander le versement du reliquat. Sa demande fut rejetée, tout comme l’appel qu’elle a interjeté par la suite devant la cour administrative d’appel de Toulouse. Les juges du fond ont estimé que la société cédante ne pouvait se prévaloir des réclamations préalables formées par le cessionnaire pour justifier la recevabilité de sa propre action en justice. La société a alors formé un pourvoi en cassation.
Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si l’entreprise qui cède une créance fiscale conserve la qualité pour agir en justice afin d’en obtenir le paiement, et si elle peut, pour ce faire, invoquer la réclamation préalable soumise à l’administration par l’établissement de crédit cessionnaire. La Haute Juridiction administrative censure l’arrêt d’appel, affirmant que le cédant comme le cessionnaire ont qualité pour agir en paiement de la créance devant le juge de l’impôt. Elle précise que « Pour justifier de la recevabilité de l’instance qu’il a directement introduite devant le tribunal administratif tendant au paiement de la créance qu’elle a cédée, l’entreprise cédante peut se prévaloir de la réclamation préalable présentée par l’établissement cessionnaire à l’administration fiscale, eu égard à l’objet de celle-ci ».
Cette solution clarifie ainsi les droits procéduraux respectifs des parties à une cession de créance fiscale (I), tout en consacrant une approche pragmatique de l’articulation entre la réclamation préalable et l’action contentieuse (II).
I. La clarification des prérogatives procédurales des parties à la cession
Le Conseil d’État reconnaît explicitement une qualité pour agir partagée entre le cédant et le cessionnaire (A), tout en détachant la recevabilité de l’action des formalités propres à la cession (B).
A. L’affirmation d’une qualité pour agir concurrente
La décision énonce clairement que « l’établissement de crédit cessionnaire, comme le cédant, a qualité pour agir devant le juge de l’impôt afin d’obtenir le paiement de cette créance ». Cette position met fin à une incertitude juridique préjudiciable à l’efficacité du mécanisme de cession de créances professionnelles. Bien que la cession transfère la propriété de la créance au cessionnaire, le cédant conserve un intérêt direct à son recouvrement. En effet, l’article L. 313-24 du code monétaire et financier prévoit que, sauf convention contraire, le signataire de l’acte de cession est garant solidaire du paiement des créances cédées.
Cette garantie solidaire justifie que le cédant ne soit pas désarmé sur le plan procédural si le cessionnaire se montre passif ou si le recouvrement s’avère difficile. L’intérêt à agir du cédant découle donc directement de l’obligation de garantie qui pèse sur lui. La solution retenue par le Conseil d’État est donc une lecture cohérente des textes régissant la cession de créances, qui aligne les droits procéduraux sur les obligations substantielles des parties. Elle assure que celui qui garantit le paiement puisse également en poursuivre l’exécution.
B. L’indifférence des formalités de notification au débiteur
Le Conseil d’État précise que cette double qualité pour agir existe « indépendamment des procédures de notification de la cession de créance ou d’acceptation de cette cession par le débiteur ». Cette mention est d’une importance pratique considérable car elle simplifie l’accès au juge. Elle signifie que la recevabilité de l’action du cédant ou du cessionnaire n’est pas subordonnée à l’accomplissement des formalités prévues pour rendre la cession opposable au débiteur, en l’espèce l’État. Ces formalités, telles que la notification de la cession, ont pour principale fonction d’informer le débiteur du changement de créancier.
En dissociant la qualité pour agir de ces formalités, la Haute Juridiction adopte une approche fonctionnelle du contentieux. Le droit d’agir en justice est attaché à la seule qualité de partie à l’opération de cession, et non aux démarches ultérieures visant à en assurer la pleine efficacité à l’égard des tiers. Cela évite que des questions de forme, relatives à l’opposabilité de la cession, ne viennent faire obstacle à un débat sur le fond du droit à la créance. La solution renforce ainsi la sécurité juridique pour les deux acteurs principaux de l’opération.
II. Une conception pragmatique de la liaison du contentieux
Au-delà de la clarification sur la qualité pour agir, l’arrêt se distingue par sa conception souple de la réclamation préalable (A), dont la portée est de nature à sécuriser le financement des entreprises (B).
A. La reconnaissance de la fongibilité de la réclamation préalable
L’apport majeur de la décision réside dans la possibilité pour le cédant de se prévaloir de la réclamation déposée par le cessionnaire. La cour administrative d’appel avait retenu une interprétation formaliste, considérant que seule la personne ayant introduit la réclamation pouvait ensuite agir en justice. Le Conseil d’État la censure en se fondant sur une analyse substantielle de cet acte, en considération de « l’objet de celle-ci ». L’objet de la réclamation est le paiement d’une créance fiscale déterminée, et non la défense d’un intérêt propre et exclusif de son auteur.
Dès lors que le contentieux a été lié avec l’administration fiscale sur le principe et le montant de cette créance, il importe peu que l’instance contentieuse soit ensuite introduite par le cédant plutôt que par le cessionnaire. Cette solution évite une duplication inutile des procédures, qui imposerait au cédant de déposer une nouvelle réclamation, identique sur le fond à la première, pour préserver ses droits. Elle s’inscrit dans une logique de bonne administration de la justice, en privilégiant l’examen au fond des droits des contribuables sur un formalisme excessif.
B. La sécurisation du recours à la cession de créances fiscales
Sur le plan économique, la portée de cet arrêt est significative. Le crédit d’impôt recherche est un dispositif essentiel pour la compétitivité des entreprises, et sa mobilisation par voie de cession constitue une source de financement et de trésorerie importante. En garantissant au cédant qu’il ne perd pas sa capacité à agir en recouvrement et qu’il peut bénéficier des démarches déjà entreprises par le cessionnaire, la décision renforce la fiabilité de ce mécanisme de financement. Elle offre une protection au cédant contre l’éventuelle inertie du cessionnaire dans la conduite du contentieux.
Cette jurisprudence est donc de nature à rassurer les entreprises qui recourent à la cession de leurs créances publiques. Elles ont désormais l’assurance qu’en cas de litige avec l’administration sur le montant de la créance, leur droit d’accès au juge est préservé de manière effective, sans dépendre entièrement du bon vouloir ou de la diligence de leur partenaire financier. La prévisibilité et la sécurité juridique de l’ensemble de l’opération de cession de créances fiscales s’en trouvent ainsi améliorées.