Par une décision en date du 19 mai 2025, le Conseil d’État se prononce sur les conséquences d’une erreur de saisine d’une commission consultative fiscale ainsi que sur la charge de la preuve en matière de déductibilité des frais généraux. En l’espèce, une société a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration a réintégré à ses résultats des commissions versées en espèces à des guides touristiques, entraînant des cotisations supplémentaires d’impôt. Saisi par la société, le tribunal administratif de Paris a prononcé une décharge partielle de ces impositions par un jugement du 7 juin 2022. Toutefois, sur appel du ministre, la cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt du 19 janvier 2024, a annulé cette décharge et a intégralement rétabli les rehaussements. La société a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.
Le problème de droit soulevé était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si la saisine par l’administration d’une commission fiscale territorialement incompétente, bien que sollicitée par le contribuable, entache la procédure d’imposition d’une irrégularité substantielle. D’autre part, la question portait sur la justification des charges déduites, spécifiquement sur la répartition de la charge de la preuve entre le contribuable et l’administration s’agissant de paiements en espèces dont la réalité était contestée. Le Conseil d’État répond de manière distincte à ces deux interrogations. Il juge que l’administration est tenue de saisir l’organe compétent, même en cas d’erreur dans la demande du contribuable, et que le non-respect de cette obligation vicie la procédure. En revanche, il confirme que le contribuable supporte la charge initiale de prouver la réalité des prestations en contrepartie desquelles des charges ont été déduites. La Haute juridiction administrative clarifie ainsi l’étendue des obligations procédurales de l’administration (I), tout en confirmant sa jurisprudence constante sur l’exigence de justification des charges déductibles (II).
I. La sanction de l’obligation procédurale de l’administration en matière de saisine des commissions fiscales
Le Conseil d’État rappelle que les garanties offertes au contribuable durant la procédure de rectification doivent être scrupuleusement respectées par l’administration, sous peine de nullité de l’imposition. Il réaffirme ainsi l’obligation de diligence qui pèse sur l’administration (A) avant d’en tirer la conséquence rigoureuse qui s’attache à son non-respect (B).
A. La réaffirmation de l’obligation de diligence de l’administration dans la rectification de la saisine du contribuable
La décision commentée précise la portée de l’article L. 59 du livre des procédures fiscales, qui permet au contribuable de demander la soumission d’un désaccord persistant à une commission consultative. Le Conseil d’État énonce clairement qu’il « appartient à l’administration fiscale de porter le désaccord devant la commission légalement compétente pour en connaître, en rectifiant, le cas échéant, la demande du contribuable qui aurait sollicité à tort la saisine d’une commission incompétente ». Cette solution impose à l’administration un rôle actif et non une simple exécution passive de la demande formulée.
En effet, le contribuable, moins informé des subtilités de la compétence matérielle et territoriale des différentes commissions, peut se méprendre. Le juge administratif considère que l’administration, en sa qualité de professionnel du droit fiscal, doit pallier cette éventuelle erreur. Elle ne peut se retrancher derrière la formulation inexacte du contribuable pour saisir un organe manifestement incompétent, comme c’était le cas en l’espèce où la commission départementale a été saisie alors que seule la commission nationale était compétente au vu du chiffre d’affaires de la société. Cette obligation de rectification garantit l’effectivité du recours à ces instances de conciliation.
B. La conséquence rigoureuse de l’irrégularité procédurale : la décharge de l’imposition
La violation de cette obligation de diligence n’est pas dépourvue de sanction. Le Conseil d’État juge que le manquement de l’administration « a entaché d’irrégularité la procédure d’imposition » et que cette irrégularité est « de nature à entraîner la décharge de l’imposition ». En cassant l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris qui avait adopté une position contraire, la Haute juridiction réaffirme sa jurisprudence traditionnelle selon laquelle les garanties procédurales constituent des protections substantielles pour le contribuable.
Une telle irrégularité vicie l’ensemble de la procédure relative aux impositions concernées, ici l’impôt sur les sociétés et la contribution sociale afférente. La décharge n’est donc pas une simple faculté laissée à l’appréciation du juge mais la conséquence quasi automatique de la constatation du vice. Cette rigueur témoigne de l’importance attachée au respect des droits de la défense dans le dialogue entre l’administration et le contribuable, le recours aux commissions étant un élément essentiel de ce dialogue précontentieux. La solution est donc protectrice pour le contribuable, mais sa portée est limitée au seul champ procédural.
II. La rigueur maintenue de la preuve de la déductibilité des charges d’exploitation
Si la société obtient gain de cause sur le terrain de la procédure, le Conseil d’État se montre en revanche inflexible sur la question de fond relative à la preuve des charges. Il confirme la primauté de la charge probatoire qui pèse sur le contribuable (A) et valide l’appréciation souveraine des juges du fond quant à la valeur des éléments produits (B).
A. La primauté de la charge probatoire du contribuable quant à la réalité des charges
S’agissant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la déductibilité des commissions versées aux guides était au cœur du litige. Le Conseil d’État rappelle sa doctrine bien établie en matière de charge de la preuve. Il incombe au contribuable « de justifier tant du montant des charges qu’il entend déduire du bénéfice net […] que de la correction de leur inscription en comptabilité ». Cette justification passe par la production « de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie qu’il en a retirée ».
Ce n’est que si le contribuable satisfait à cette première obligation que la charge de la preuve est renversée, l’administration devant alors démontrer le caractère anormal de la charge. En l’espèce, la société se contentait d’affirmer la réalité des commissions sans produire de justificatifs permettant d’établir leur traçabilité, leurs bénéficiaires et la consistance des prestations fournies en retour. Le versement en espèces, par nature difficile à tracer, renforçait la nécessité d’une preuve circonstanciée que la société n’a pas été en mesure d’apporter. Le Conseil d’État entérine donc une logique probatoire exigeante pour le contribuable.
B. L’appréciation souveraine des juges du fond sur la valeur probante des éléments de preuve
Le second apport de la décision sur ce point réside dans le rappel du rôle du juge de cassation. La cour administrative d’appel avait estimé que la société ne produisait aucun document probant et n’établissait donc pas la réalité des prestations. Le Conseil d’État juge qu’en statuant ainsi, la cour a « porté, sans dénaturer les pièces du dossier, une appréciation souveraine sur la valeur probante des éléments qu’il appartient au contribuable de produire ».
Le juge de cassation ne refait pas le procès et ne se substitue pas aux juges du fond pour apprécier si les preuves sont suffisantes. Il contrôle uniquement que leur appréciation n’est pas entachée de dénaturation et qu’elle ne repose pas sur une erreur de droit. En l’occurrence, le Conseil d’État estime que la cour n’a commis aucune erreur en concluant à l’insuffisance des justifications apportées par la société. Cette position confirme que l’appréciation de la réalité d’une charge et de sa contrepartie relève par excellence du pouvoir souverain des juges du fond, une solution qui limite considérablement les chances de succès d’un pourvoi sur ce terrain.