Par une décision en date du 5 février 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la nature de la voie de recours ouverte contre un jugement de tribunal administratif statuant sur une action indemnitaire. Cette action visait à réparer le préjudice né du défaut d’affiliation d’un agent public contractuel à ses régimes de retraite.
En l’espèce, un professeur de musique employé par une commune de 1986 à 2004, puis par des établissements publics de coopération intercommunale successifs à partir de 2005, a constaté, au moment de liquider ses droits à la retraite, qu’il n’avait pas été affilié aux régimes de retraite obligatoires pour une partie de sa carrière. Il a saisi le tribunal administratif d’une première demande indemnitaire dirigée contre l’établissement public lui ayant succédé en dernier lieu. Par un jugement du 19 novembre 2019, le tribunal a partiellement fait droit à sa demande pour la période postérieure à 2005, mais a rejeté ses conclusions pour la période antérieure, estimant qu’elles étaient mal dirigées et auraient dû viser la commune initialement employeur. L’agent a alors engagé une seconde action, cette fois contre la commune, pour la période de 1986 à 2004. Par un jugement du 12 septembre 2023, le même tribunal a rejeté cette nouvelle demande au motif qu’elle aurait dû être dirigée contre l’établissement public successeur, créant ainsi une situation de contrariété de jugements. Le requérant a contesté cette seconde décision, et son recours a été transmis au Conseil d’État en tant que pourvoi en cassation.
La question de droit soumise au Conseil d’État était donc de déterminer si un jugement statuant sur une action en responsabilité d’une collectivité publique, pour défaut d’affiliation d’un agent contractuel à la Caisse nationale d’assurance vieillesse et à l’IRCANTEC, est rendu en premier et dernier ressort, ou s’il est susceptible d’appel.
Le Conseil d’État juge que la qualification de la voie de recours dépend de la nature du régime de retraite concerné. Il énonce que « le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges en matière de pensions de retraite des agents publics, ainsi que sur les litiges indemnitaires se rapportant à de tels litiges ». Il précise cependant qu’il « en va toutefois différemment dans le cas où un litige indemnitaire, relevant de la compétence de la juridiction administrative, se rapporte à un litige relatif à une pension dont le contentieux ne ressortit pas à la compétence de la juridiction administrative ». Le litige étant relatif à des régimes de retraite dont le contentieux principal n’appartient pas au juge administratif et la demande indemnitaire excédant 10 000 euros, le jugement est susceptible d’appel. Le Conseil d’État a par conséquent requalifié le pourvoi en requête d’appel et a renvoyé l’affaire devant la cour administrative d’appel de Versailles.
Cette décision, en clarifiant la voie de recours applicable, assure une meilleure protection des droits des justiciables (I), tout en confirmant une interprétation stricte des règles de compétence d’appel (II).
I. Une clarification procédurale protectrice des droits du justiciable
La solution retenue par le Conseil d’État permet de sortir d’une impasse procédurale en ouvrant la voie d’un rejugement complet de l’affaire. Elle repose sur une distinction subtile entre les différents types de contentieux liés aux retraites (A), offrant ainsi une garantie effective au requérant face à un potentiel déni de justice (B).
A. La distinction opérée selon la nature du régime de retraite
Le Conseil d’État fonde son raisonnement sur une lecture combinée des dispositions du code de justice administrative relatives à la compétence des tribunaux administratifs. Il rappelle que si les litiges relatifs aux pensions des agents publics relèvent en principe du premier et dernier ressort, cette règle connaît une exception majeure. La Haute juridiction précise que lorsque l’action indemnitaire est simplement connexe à un litige principal qui, lui, ne relève pas de la compétence administrative, le droit commun des voies de recours retrouve son empire.
En l’espèce, l’action visait à obtenir réparation pour un défaut d’affiliation à la Caisse nationale d’assurance vieillesse et à l’IRCANTEC. Or, le contentieux de ces régimes de retraite pour les agents non titulaires relève de la compétence du juge judiciaire. Le Conseil d’État en déduit logiquement que l’exception ne s’applique pas. Le litige indemnitaire, bien que porté devant le juge administratif au titre de la responsabilité de l’employeur public, est donc soumis au principe du double degré de juridiction. Cette interprétation assure une cohérence dans la répartition des compétences et évite une extension excessive du champ des jugements rendus en dernier ressort.
B. La garantie d’un double degré de juridiction face à un déni de justice
L’intérêt majeur de cette décision réside dans sa conséquence pratique pour le justiciable. En requalifiant le pourvoi en appel, le Conseil d’État ne se contente pas de corriger une erreur d’aiguillage ; il offre au requérant la possibilité de voir son affaire entièrement rejugée en fait et en droit par la cour administrative d’appel. Cette perspective est fondamentale dans un contexte où les deux jugements rendus par le tribunal administratif étaient contradictoires et aboutissaient à une impasse, s’apparentant à un déni de justice.
L’appel permettra en effet à la cour de se prononcer sur le fond du litige, et notamment de trancher la question de savoir laquelle des deux collectivités, l’employeur initial ou son successeur, devait supporter la charge de la réparation. Une telle analyse complète aurait été impossible dans le cadre d’un pourvoi en cassation, lequel est limité à l’examen des erreurs de droit. La solution adoptée constitue donc une garantie procédurale essentielle, assurant que le requérant obtiendra une décision sur le fond de sa demande.
II. Une portée significative pour les contentieux indemnitaires
Au-delà de la résolution du cas d’espèce, la décision précise le périmètre des jugements rendus en premier et dernier ressort (A), et consolide ainsi la sécurité juridique pour les actions indemnitaires futures liées aux retraites des agents publics (B).
A. La consolidation d’une interprétation stricte de la compétence en dernier ressort
Le Conseil d’État réaffirme ici que les exceptions au principe du double degré de juridiction doivent être interprétées strictement. La compétence des tribunaux administratifs pour statuer en premier et dernier ressort est limitée aux litiges dont l’objet principal est la pension elle-même, relevant de la compétence administrative. La solution est claire : « l’action de M. B… tend à obtenir la somme de 90 000 euros en réparation des préjudices résultant de la faute commise en omettant de l’affilier à la Caisse nationale de l’assurance vieillesse des travailleurs salariés et à l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’Etat et des collectivités (IRCANTEC) ».
En liant la voie de recours de l’action indemnitaire à la nature du régime de retraite en cause, la décision établit un critère objectif et prévisible. Elle évite que le juge administratif ne s’arroge une compétence en dernier ressort sur des contentieux qui ne lui appartiennent que de manière incidente. Cette orthodoxie juridique renforce la lisibilité de la répartition des compétences entre les ordres de juridiction et assure une application cohérente des règles procédurales.
B. La sécurisation des futures actions indemnitaires connexes
La portée de cette décision est importante pour l’ensemble des agents contractuels de la fonction publique. En cas de manquement de leur employeur à ses obligations d’affiliation, ils sont désormais assurés que leur action indemnitaire, si elle excède le taux de ressort de droit commun, bénéficiera d’un double degré de juridiction. Cette solution prévient le risque de voir des affaires complexes, impliquant des questions de succession d’employeurs ou de prescription, être tranchées définitivement par un seul juge du fond.
La clarification apportée par le Conseil d’État devrait ainsi limiter les erreurs de procédure, tant de la part des justiciables que des juridictions elles-mêmes. Elle établit une feuille de route procédurale claire pour des litiges qui, par leur nature, se situent à la frontière des contentieux administratif et judiciaire. La prévisibilité du droit s’en trouve renforcée, ce qui constitue un apport essentiel pour la bonne administration de la justice.