Par un arrêt non publié en date du 11 juin 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions formelles d’exercice de l’option pour le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge bénéficiaire, applicable aux revendeurs d’œuvres d’art. En l’espèce, une société spécialisée dans ce secteur d’activité a fait l’objet de rappels de taxe au titre d’une période courant de 2014 à 2016, l’administration fiscale lui reprochant d’avoir appliqué ce régime dérogatoire sans y avoir préalablement et expressément opté. Saisi d’une demande en décharge, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la requête par un jugement du 8 août 2022. Cette décision a été confirmée en appel par la cour administrative d’appel de Marseille le 17 octobre 2024. La société a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, soulevant également, à cette occasion, une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre des dispositions de l’article 297 B du code général des impôts. La requérante soutenait pour l’essentiel que le dépôt de ses déclarations de chiffre d’affaires, calculées sur la base de sa seule marge bénéficiaire, devait être regardé comme une manifestation de volonté suffisante pour exercer l’option. Il était donc demandé au Conseil d’État si l’option pour le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, prévue par l’article 297 B du code général des impôts, exigeait une démarche formelle et expresse auprès de l’administration, ou si elle pouvait résulter implicitement du comportement déclaratif du contribuable. La Haute Juridiction administrative a répondu par la négative, jugeant que l’application de ce régime particulier est subordonnée à une demande explicite. En conséquence, elle a estimé que la question prioritaire de constitutionnalité ne présentait pas de caractère sérieux et a refusé d’admettre le pourvoi. Cette décision, en confirmant le formalisme attaché à une option fiscale, réaffirme une conception stricte de la norme au nom de la sécurité juridique (I), bien que cette solution rigoureuse interroge quant à ses implications pratiques pour le contribuable (II).
I. La confirmation d’un formalisme rigoureux pour l’option de taxation sur la marge
Le Conseil d’État, par sa décision, consacre une interprétation littérale de la loi fiscale en exigeant une manifestation de volonté claire pour le bénéfice d’un régime dérogatoire (A), justifiant cette approche par la nécessité de garantir la sécurité juridique des opérations (B).
A. L’exigence d’une manifestation de volonté expresse et préalable
La solution retenue par le juge de cassation repose sur une lecture stricte des dispositions de l’article 297 B du code général des impôts. Il en ressort que l’assujetti revendeur qui souhaite bénéficier du régime de la marge doit formuler une demande en ce sens auprès de l’administration. Le Conseil d’État écarte ainsi toute possibilité d’une option implicite qui serait déduite du seul comportement du contribuable. Il précise en effet que « L’option ne peut résulter de ce que l’assujetti revendeur n’aurait mentionné, dans la déclaration de chiffre d’affaires déposée en application de l’article 287 du code général des impôts, s’agissant des opérations mentionnées au premier alinéa de l’article 297 B réalisées au cours de la période couverte par cette déclaration, qu’un chiffre d’affaires correspondant à la marge bénéficiaire de ces opérations et non à leur montant total ». Cette position réaffirme le principe selon lequel une option fiscale, en tant que dérogation au droit commun, ne se présume pas et doit résulter d’un acte positif et non équivoque. Le simple fait de déposer une déclaration de taxe sur la valeur ajoutée sur une base réduite ne suffit donc pas à matérialiser le choix du régime spécial.
B. La justification du formalisme par la sécurité juridique
En refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil d’État valide la conformité de ce formalisme aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques. Il juge que l’exigence d’une demande expresse constitue un « critère de distinction objectif et rationnel au regard du but poursuivi par la loi ». Ce but est d’offrir une simple faculté, dont l’exercice est encadré pour garantir la prévisibilité et la clarté des relations entre l’administration et le contribuable. Le formalisme de l’option permet d’éviter toute incertitude sur le régime applicable, sécurisant ainsi la détermination de l’assiette de l’impôt tant pour l’assujetti que pour les services fiscaux. En soumettant l’ensemble des revendeurs aux mêmes conditions procédurales, la loi ne crée aucune rupture d’égalité. La démarche requise n’est pas considérée comme une charge excessive, mais comme la contrepartie nécessaire à la prévisibilité offerte par le dispositif.
II. La portée d’une solution orthodoxe en matière fiscale
Bien que juridiquement fondée, cette approche rigoureuse conduit à écarter une interprétation plus pragmatique de la volonté du contribuable (A) et rappelle l’autonomie des régimes d’option en droit fiscal, dont le bénéfice reste conditionné au strict respect des règles de forme (B).
A. Le rejet d’une interprétation pragmatique au profit de la lettre du texte
La société requérante mettait en avant une approche matérielle, considérant que sa volonté d’opter pour le régime de la marge était clairement établie par ses pratiques comptables et déclaratives constantes. En suivant cette logique, le mode de calcul de la taxe révélait sans ambiguïté l’intention de l’assujetti. Toutefois, le Conseil d’État a privilégié la lettre du texte sur l’intention supposée du contribuable. Cette décision illustre la prévalence du principe de légalité fiscale et le refus d’une gestion des options au cas par cas, qui serait source d’insécurité et de contentieux potentiels. La solution peut paraître sévère pour un contribuable dont la bonne foi n’est pas remise en cause, mais elle a le mérite de la clarté. Elle démontre que, en matière fiscale, la forme et le fond sont indissociables, et que la négligence d’une formalité, même perçue comme mineure, peut emporter des conséquences financières significatives.
B. L’affirmation de l’autonomie des régimes d’option en droit fiscal
Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt rappelle la nature des régimes optionnels en fiscalité. Ces dispositifs ne sont pas des droits acquis, mais des facilités offertes par le législateur, dont le bénéfice est subordonné au respect scrupuleux des conditions posées. L’abrogation future de l’article 297 B, mentionnée dans la décision, ne prive pas le raisonnement de sa portée. Le principe d’une option expresse demeure une clé de lecture fondamentale pour de nombreux autres régimes fiscaux dérogatoires. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui traite avec rigueur les conditions d’exercice de ces choix. Elle sert de mise en garde aux opérateurs économiques quant à la nécessité d’une vigilance particulière dans leurs démarches déclaratives. En définitive, le Conseil d’État réaffirme que la sécurité juridique, principe cardinal du droit fiscal, bénéficie à la fois à l’administration et au contribuable, à condition que ce dernier respecte les règles du jeu fixées par la loi.