Par une décision en date du 11 mars 2025, le Conseil d’État se prononce sur les modalités de calcul du produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et, plus précisément, sur l’étendue du contrôle opéré par le juge de l’impôt sur les dépenses pouvant être légalement financées par cette taxe.
En l’espèce, une société s’était vu réclamer des cotisations de taxe d’enlèvement des ordures ménagères pour les années 2019 et 2020. Contestant le montant de cette imposition, elle avait saisi le tribunal administratif de Lille, qui lui donna raison en prononçant la décharge des cotisations par un jugement du 22 mars 2024. Le magistrat désigné avait en effet retranché certaines sommes des dépenses du service de collecte, au motif qu’il s’agissait d’opérations d’ordre comptable correspondant en réalité à des dépenses d’investissement. Le ministre de l’économie et l’établissement public de coopération intercommunale compétent ont alors formé un pourvoi en cassation contre ce jugement.
Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si le juge de l’impôt peut, pour apprécier la proportionnalité du taux de la taxe, écarter une dépense du calcul au seul motif qu’elle constitue une opération d’ordre entre sections comptables, sans rechercher si elle ne correspond pas à une charge légalement imputable au service en vertu du code général des impôts. Le Conseil d’État censure le raisonnement du premier juge, estimant qu’il a commis une erreur de droit en ne procédant pas à cette vérification. Il annule par conséquent le jugement et renvoie l’affaire devant le même tribunal.
Cette décision est l’occasion de rappeler la nature spécifique de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui impose un contrôle rigoureux de son assiette (I), et de souligner la portée de l’obligation de vérification qui pèse sur le juge administratif en la matière (II).
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I. La réaffirmation du contrôle strict de l’assiette de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères
Le Conseil d’État rappelle d’abord la finalité exclusive de cette taxe (A), avant de préciser la nature des dépenses pouvant y être intégrées, notamment celles liées à l’investissement (B).
A. Le principe d’une taxe exclusivement affectée au financement du service
La taxe d’enlèvement des ordures ménagères, bien qu’étant un impôt, ne constitue pas une recette générale pour le budget de la collectivité. La Haute juridiction administrative réaffirme avec constance que cette taxe « n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées ». Son produit doit donc être proportionné aux coûts du service de collecte et de traitement des déchets. Tout excédent manifestement disproportionné est illégal, car il romprait le lien nécessaire entre la taxe et le service rendu.
Cette jurisprudence constante vise à garantir que le contribuable ne finance, par cette voie, que les dépenses directement liées à la gestion des déchets. Le contrôle du juge porte ainsi sur le fait que le produit de la taxe, et donc son taux, ne soit pas « manifestement disproportionné » par rapport au montant des dépenses du service, déduction faite des autres recettes non fiscales. La décision commentée s’inscrit pleinement dans ce cadre en examinant la nature des charges prises en compte par la collectivité pour établir le montant de la taxe.
B. La prise en compte des dépenses d’ordre liées à l’investissement
La complexité du calcul réside dans la définition des dépenses éligibles. L’article 1520 du code général des impôts autorise l’intégration non seulement des dépenses réelles de fonctionnement, mais aussi de certaines dépenses d’ordre, notamment les dotations aux amortissements des immobilisations. Ces dotations représentent la constatation comptable de la perte de valeur d’un bien d’équipement (un camion de collecte, une usine d’incinération) du fait de son usure ou de son obsolescence. Elles constituent une charge pour la collectivité, même si elles n’entraînent pas de décaissement immédiat.
En l’espèce, le premier juge avait écarté des sommes au motif qu’il s’agissait d’opérations de transfert vers la section d’investissement. Or, ces écritures comptables pouvaient précisément correspondre à des dotations aux amortissements. En ne vérifiant pas si ces sommes relevaient du 2° du I de l’article 1520 du code général des impôts, le tribunal a ignoré une composante légale du coût du service, justifiant la censure du Conseil d’État.
II. La censure d’une analyse juridiquement insuffisante du juge du fond
Le Conseil d’État ne se prononce pas sur le fond du litige, mais sur la méthode du juge. Il critique une analyse purement comptable (A) et réaffirme l’obligation pour le juge de procéder à un examen concret et complet de la nature des dépenses (B).
A. Le rejet d’un raisonnement fondé sur la seule apparence comptable
L’erreur de droit sanctionnée par le Conseil d’État est caractérisée par une motivation insuffisante. Le juge de première instance s’est arrêté à une qualification comptable, celle « d’opérations d’ordre de transfert entre sections », pour exclure les dépenses litigieuses. Le Conseil d’État juge cette démarche lacunaire, car la qualification comptable ne préjuge pas de la nature juridique de la dépense au regard du droit fiscal. Une opération d’ordre peut parfaitement masquer une charge d’exploitation réelle et légitime, comme une dotation aux amortissements.
La Haute juridiction censure donc le premier juge pour s’être « bornant, pour retrancher des dépenses (…) à se fonder sur la seule circonstance que ces sommes auraient été identifiées comme des opérations d’ordre de transfert entre sections ». Cette formulation souligne que le juge ne peut se contenter d’une analyse superficielle. Il doit aller au-delà de l’écriture comptable pour en déterminer la substance économique et la conformité avec les dispositions légales applicables.
B. L’obligation d’une recherche active de la qualification juridique des dépenses
En conséquence, la décision renforce l’office du juge de l’impôt en matière de TEOM. Il ne doit pas seulement vérifier les calculs présentés par les parties, mais doit activement rechercher si les dépenses prises en compte par l’administration entrent bien dans le champ défini par la loi. La censure est prononcée au motif que le magistrat n’a pas recherché « si elles ne pouvaient pas relever des dispositions du 2° du I de l’article 1520 du code général des impôts ».
Cette exigence de recherche active garantit un contrôle juridictionnel effectif sur les décisions des collectivités. Elle implique que le juge doit examiner en détail les pièces du dossier et, le cas échéant, ordonner des mesures d’instruction pour clarifier la nature des flux financiers. En renvoyant l’affaire au tribunal administratif, le Conseil d’État lui impose de refaire cet examen approfondi et de statuer en pleine connaissance de la nature juridique, et non plus seulement comptable, des sommes en litige.